jeudi 5 juillet 2012

Pause estivale !



Chers amis lecteurs et lectrices, je vous quitte avec ces mots pour un petit mois !
Quand bien même l'image illustrant cet article donne à rêver et invite l'imagination au vagabondage, la météo actuelle est loin de m'appeler sur les plages de France, mais sait-on jamais ? J'espère pouvoir profiter de mon mois de Juillet...

Je vous dis à très bientôt sur Deslectures !

mardi 26 juin 2012

Guy de Maupassant - Une Vie





Jeanne, ma pauvre et délicate Jeanne, comment saurais-tu les plaintes que j’ai pu soupirer, pousser à ton égard ! Eplorée, rompue de chagrin et de trahisons toutes plus dignes d’abominations les unes que les autres, obtenant un mari trompeur et un fils dilapidateur comme accessit envers ta pureté d’âme et ya noblesse de cœur !
Jeanne, ma pauvre et attendrissante Jeanne, comment seulement fut-il possible que tu ne sois point parvenue à susciter l’amour, tes qualités d’altruisme et d’abnégation ne pouvaient pourtant qu’engendrer la plus inaltérée des sympathies ; et pourtant cette vie ne fut qu’une effroyable succession de cauchemars auquel il est difficile de porter créance tant leur horreur semble prompt à dépasser l’entendement même.

C’est toi, vertueuse et probe dame, qui domine l’entièreté de l’œuvre de Guy de Maupassant (né en mille huit cent cinquante et mort en mille huit cent quatre-vingt-treize), opus dont le plus probable processus créatif vit le jour à la manière des fleurs printanières de cette saison de mille huit cent soixante-dix-huit, une genèse couplée à une maturation lente et accaparante, à la création presque douloureuse tant elle fut gourmande en heures, jours, mois fuyants… !
Face à ton monisme Jeanne, personnage principal dont le rayonnement paraît effacer tout autre personnage gravitant autour de ta personne, s’offre au lecteur la dualité dispensatrice de sentiments, nous levant le voile de tes attentes qui se pareront du châle triste et morne des désillusions, grandissantes en même temps que ton âge. L’auteur naturaliste nous offre la possibilité de suivre ton pas aérien et hésitant, observer ta lente évolution, tout comme brosser un gracile et mouvant portrait physique comme psychologique, se glisser impudiquement en tes pensées les plus intimes ; et découvrir peut-être, ta maladive passivité face aux affres du temps et du destin qui semble s’être attitré comme ton persécuteur personnel.
Nous te découvrons, toi et les effluves de ton existence, dans cette œuvre courte, mais à l’intensité débordant du méprisable cadre d’une simple page limitant le texte, mais nullement son ampleur et son intensité dramatique. Une vie, s’intitule le récit de ton passage sur cette terre.
Et pourtant, paradoxe propre au désappointement du lecteur distrait s’apprêtant à insuffler un peu de sa personne en ton existence tourmentée, le titre de l’œuvre ne te rend nullement hommage, face à ton indéniable hégémonie ; l’intitulé se veut comme une dissolution de cette domination en posant volontairement une détérioration de l’idée même d’unicité en usant de l’article indéfini « une », occultant peut-être la personnalisation de l’opus qu’on tient entre nos mains. Le titre s’enclave ainsi dans la généralité, étayant peut-être par là l’idée mûrissant en l’esprit de l’auteur telle que ta vie, Jeanne, pourrait se réclamer de n’importe quelle femme de ton époque. Mais que d’égarements de ma part ! Il n’est pas nécessaire d’un titre davantage révélateur quant aux mots que l’on nous proposera à lire, n’est-ce pas ?
L’essaim de tes malheurs, tels les mouches fléau d’Egypte, souventes fois j’ai voulu le disperser du dos de ma main, tant de fois j’ai voulu écarter de mes frêles paumes l’étau qui semblait t’enclaver dans le malheur, mais que pouvais-je, pauvre impuissante, face à ton caractère propre à la soumission, enténébrant toujours plus tes perspectives d’avenir, t’occultant l’empyrée que peut représenter un bonheur conjugal et maternel ; toujours tu te vois affranchie de tes droits de réactivité, subissant les tourments de ton entourage nauséabond ou tout aussi passif que toi. Tant et si bien que tu me fis parfois songer à l’engeance légendaire de Gustave Flaubert, contemporain de l’homme de Lettres qui te créa, Emma Bovary. L’extrace n’est pas hasardeuse, les deux écrivains se connaissaient fort bien et se fréquentaient régulièrement, jusqu’à ce que les tourments de la folie ne finissent pas emporter prématurément Maupassant, finissant pauvre fou écarté du reste du monde rebuté à l’idée de contempler l’image repoussante de la folie propre à nous renvoyer à nos propres tourments intérieurs. Les aliénés voient et perçoivent ce que les sains d’esprits ne sauraient même imaginer, aussi faut-il les occulter, à défaut de pouvoir les montrer, comme on le fait des monstres.

Extravagance de la plume d’un auteur souffrant déjà des prémisses de sa lente déréliction provoquée par la syphilis, mal de ce siècle, le titre ne devient édifiant qu’uniquement à la lumière obscure des différentes et nombreuses apparitions de la mort au fil tumultueux du récit. C’est en effet le cadre mortuaire qui se fait géniteur des différents évènements ponctuant ta vie, ma pauvre Jeanne, et la main noire de la mort vient chercher son dû, grever ton existence à l’envie, selon ses caprices et ses foucades comme seules les possèdent les entités immanentes, ineffables et inatteignables. Son sort fuligineux suit si bien son cours que, peu à peu, tu assistes pauvrette à un lent, interminable, et irrévocable dépeuplement de ton petit univers. Ta solitude à venir, tu le sens très rapidement, est inéluctable, et par tes sanglots silencieux, tu sais te préparer au mieux à un avenir morne et empreint de solitude. Impunément, parfois inique, elle frappe sous le couvert de plusieurs masque, plusieurs visages mais toujours aux traits déformés et grimaçants d’horreur. Elle se mue comme naturelle, accidentelle, criminelle, douce, violente, heurtant de son arrivée toujours intempestive les hommes et les bêtes ; révélant une fascination morbide et presque hypnotique du romancier pour cette thématique ; comme envahis par sa face. Ultime insanité à tes yeux, Jeanne, les décès se voient présentés en rapport étroit avec ta personne et ton chemin, pourtant seule, tu survis toujours, plutôt cependant que de vivre, car les bonheurs sont le sel nourricier d’une existence, et l’impudeur de ton mari comme ta timidité maladive t’en ont privée depuis tant de temps… !
Toutes ces tragiques et indénombrables disparitions entrent en une réelle et palpable contradiction avec le titre de l’œuvre voulu par Guy de Maupassant ; les personnages languides et empreints de stupre cherchant à vivre pleinement se voient tous, nul exception autorisée, frappés d’une mort violente qui se veut le reflet de leurs vies ou de leurs vices, tandis que ma pauvre Jeanne, toi qui renia la Vie même lors de ta découverte de l’odieux adultère de ton époux, te retrouve en une solitude complète à errer sur une Terre de larmes, endurant ton sort qui n’aurait nulle chose à envier aux départs successifs des êtres constituant ton entourage, s’amenuisant comme peau de chagrin, et prisonnière de sa douleur qu’elle peine à extérioriser si ce n’est sur le giron de sa bonne Rosalie ; bien que Thanatos lui fit don du médiocre honneur de ne point assister à aucune des morts qui viendront frapper son quotidien, si ce n’est celle d’une chienne errante cachée sur ses terres. Comme si, pauvre femme, tu grandissais en force ou en froideur, les morts se succédant à un rythme infernal finissent par peu à peu se défaire de l’encombrant manteau du chagrin, perdant de leur importance à mesure que tu prends de l’âge et que ton cœur se change en pierre glacée, marri de trop de souffrances, assénées trop vite et sans trêve aucune. Ce n’est d’ailleurs nullement anodin si, aux alentours de la fin de l’œuvre, Guy de Maupassant choisit d’user du terme d’ »engourdissement » pour caractériser ta peine. Ta mansuétude aura probablement contribué à te changer en une véritable personnification de la froideur face aux coups incessants du destin s’acharnant sur ta gracile personne.
 Mais le matois désespoir aura cependant raison de ta froideur, l’espace vide, le gouffre sans fond remplaçant peu à peu tes proches, ceux que tu as jamais aimé, achève de te retirer toute volonté de vivre, harassée par tes déconvenues, tes mécomptes, et l’avilissement de ton visage marchant de pair avec une vieillesse de corps et d’esprit arrivée prématurément, comme forcée par les épreuves que tu as du affronter en moins d’une cinquantaine d’année.
Ainsi Jeanne, tu sembles apparaître comme la seule, et pauvre survivante, te dressant au milieu d’un monde appelé à ne connaître que les tumultes et les hontes de l’échec, habité uniquement par les fantômes évanescents du passé, rendant ton semblant d’existence toujours plus absurde et amer à tes yeux.

samedi 16 juin 2012

Thomas More - L'Utopie





« Avancer que la misère publique est la meilleure sauvegarde de la monarchie, c’est avancer une erreur grossière et évidente »

Il est des hommes qui, face au vacarme environnant et à l’apparence suintant l’hypocrisie et la fausseté des cours fastueuses et rutilantes, préfèrent la candeur voluptueuse et sereine d’une maison familiale, reculée en des cadres sylvains tout autant que chatoyants. Des havres de paix qui se font toujours davantage rares en nos époques troublées, et dont la cherté s’en trouve ainsi décuplée.
L’illustre écrivain et penseur anglais Thomas More (né en mille quatre cent soixante-dix-huit et mort en mille cinq cent trente-cinq), cette figure au génie incommensurable que certains admirateurs tendent parfois, dans l’exaltation de leur admiration, à déifier, faisait partis de ces amoureux du calme, de Mère Nature semblant retenir pudiquement son souffle tandis que l’acier à l’éclat glacé de sa plume se mettait à se tremper dans l’encre noire. En l’imagination populaire, il demeure une figure des plus emblématiques du mouvement de la Renaissance Anglaise. Cependant, jouet du destin comme chaque pantin perdu en ce monde, l’influent et omnipotent Henry VIII décidera que, de sa poigne de fer, il modèlera son avenir, en mandant sa présence et l’appelant à ses côtés ; sachant ô combien les doctes et avisés conseils du modeste mais nitescent avocat pourraient l’aider et le guider dans son entreprise à diriger le pays. Cependant, force est de constater que le souverain ne fut nullement apte à connaître le cœur de l’homme qui l’avisait de ses précieuses opinions, disséminées au long des quelques rares audiences que daignaient lui accorder son Altesse. Les places représentant pour l’époque un honneur dithyrambique, propres à faire divaguer la plus probe des raisons, n’intéressaient guère More. Qu’était pour l’homme de Pensée un statut de Grand Chancelier, plus haute distinction tout autant que charge du royaume, pour l’humain qui n’aspirait qu’à la réflexion et à la tranquillité de sa retraite en les vertes campagnes britanniques ? Dédaignant la labile et chancelante ivresse du pouvoir, mais en oubliant toute forme de circonspection, Thomas More ne vacilla pas un instant lorsqu’il dût révéler débonnairement au Monarque qu’il préférait la rémanence de ses convictions personnelles, sa fidélité en sa foi catholique étant l’ultime goutte d’eau qui fit déborder le vase déjà emplis à ras-bord d’Henry VIII. Le dernier baiser que connu More fut celui de l’acier sur sa nuque.
Survient l’année mille cinq cent trente, le temps de ce que la postérité conservera comme la « Grande Affaire » du roi souhaitant se défaire tel un manteau devenu encombrant et peu seyant de sa première épouse, Catherine d’Aragon. Une rupture des nœuds sacrés qui se voit bien évidemment rejetée avec force mais désappointement par le Saint Siège, amenant à la création de l’Eglise Anglicane. Henry VIII se mue, non plus en simple monarque, mais s’attribue les titres de « Supreme Head of the Church of England » malgré les doléances de son entourage politique. L’acte de séparation, à même de dissoudre l’ancienne suprématie de l’église Catholique sur l’Angleterre et octroyer des droits divins au roi, devant être signé par tout haut dignitaire, Thomas More ne devait nullement échapper à la règle. Pourtant, signifiant son refus de se soumettre à une substitution humaine du Divin en la personne de son souverain en démissionnant de ses fonctions, et ce malgré sa déférence pour son roi, More s’éloigne sensiblement du pouvoir, et meurt finalement sur l’échafaud, exécuté sur ordre de celui qui, parfois, se laissait aller à la suave familiarité de voir en lui un ami proche et digne de la plus profonde des confiances.

« La dignité royale ne consiste pas à régner sur des mendiants, mais sur des hommes riches et heureux »

Deux années de réflexion sous l’égide de la thématique de la sapience lui furent nécessaire à la rédaction de L’Utopie, entre les ans mille cinq cent quatorze et mille cinq cent seize. En ce temps exempt de toute relation avec les sphères royales, l’homme exerce la fonction de diplomate, travaillant à étayer et enrichir ses connaissances sur les vastes et différentes politiques que l’on puis rencontrer en Europe. C’est alors que son fidèle ami, Erasme de Rotterdam qui à l’époque venait de publier un édifiant et retentissant pamphlet, Eloge de la Folie (dont je vous ai livré une petite analyse quelques semaines plus tôt) lui lance l’amical défi de rédiger un encensement, un dithyrambe de la Sagesse, comme une réponse à son propre ouvrage. Or, animé de passions et de doutes les plus effroyables quant à l’avenir de son pays et sa révolte face aux injustices inhérentes à un système monarchique, l’homme de Lettre se plaît à se placer sous la férule de ses certitudes philosophiques et profondément humanistes, aussi le projet initial proposé par Erasme se mue en un travail sensiblement différent ; les thèmes fluctuent, ardument saisissables, entre l’observation satirique et l’analyse allégorique. Accordant une place prépondérante à l’échange propre à la pratique du dialogue dans le premier livre constituant son ouvrage final, les deux protagonistes s’avèrent être l’éditeur Pierre Gilles et un avatar de More lui-même : Raphaël Hythlodée, et le lecteur se voit offert la possibilité de suivre leur sage dispute relative aux fallacieux espoirs encore périlleusement trouvables en la Monarchie et aux fuligineux dysfonctionnements d’une société soumise docilement à une telle forme d’exercice du pouvoir ; la vassalité n’étant glanée que par le recours à la répression et au règne de la peur.
Si l’on suit la foultitude de raisonnements de Thomas More, la cause des révoltes populaires ne peuvent être que décelées en les racines empoisonnées des inégalités sociales, qui elles-mêmes puisent leurs néfastes sève en la tyrannie d’un roi incapable de gérance d’un royaume, par la même se voyant dépossédé par ses propres soins de toute « dignité royale » (selon les propres termes de More) qui ne devrait résider qu’en la protection des plus faibles par l’œil couvant et chaleureux de ceux qui ont l’honneur et la pesante charge du pouvoir. Sans feintise, pleinement conscient de l’inexistence, tout du moins en son époque et en le monde alors connu, d’une société juste, pourquoi ne point s’atteler à la bâtir par la force de la seule imagination ? Le personnage de Raphaël Hythlodée narre alors, avec un foisonnement rare de détails, son voyage d’une durée de cinq ans en le pays d’Utopie.  Néologisme issu d’une synthèse des termes grecs ou-topos signifiant littéralement « nulle part » et eu-topos énonçant les notions de « lieu de bonheur », More était-il seulement habité de la conscience que ce nouveau mot finirait par se voir approprié par la postérité en passant dans le langage courant ? À l’image de sa chère nation, Utopie est une île, mais les comparaisons ne peuvent s’étendre davantage, More voulant et pensant son ouvrage à la manière d’une antithèse de l’hideur dans laquelle la société anglaise se trouvait plongée ; or, son portrait se voulant si rebutant et blâmable qu’il ne pouvait censément espérer que, à la lecture de son pamphlet, Henry VIII se muerait subitement en un roi idéal et soucieux du petit peuple. Pourtant il fut empli de cet espoir, de cette folie s’accorderont quelques voix pessimistes. Pourtant, le succès de l’œuvre n’en demeura pas moins retentissant. Communautarisme, abolition des privilèges, propriété collective, absence de toute forme de monnaie ; les termes tous mêlés en une seule et même politique peuvent paraître parfaite insanité, seulement les motivations intimes de Thomas More demeurent éternellement le souci du bonheur, l’abrogation de l’injuste, du chagrin et de l’iniquité qui, ces qualités conglobées, devraient se dissiper d’elles-mêmes et laisser leur place au bonheur et à la notion de partage faite Reine.
Par son impétueux désir de justice, sa soif de raison et son profond dégoût du lucre, Thomas More inspira nombre d’auteurs qui partageaient avec l’écrivain anglais ce désir d’une société idéale, sinon meilleure. Ainsi les deux géants épicuriens Gargantua et Pantagruel, sortis tout droit de l’imagination bouillonnante, foisonnante de l’Humaniste français François Rabelais, passeront au cours de leurs voyages en l’île d’Utopie. Quant au personnage de Candide dépeint par Voltaire, anglophile assumé et reconnu, il contemplera de ses yeux le pays d’El Dorado, terre d’union, de pacifisme et de bonne intelligence où chaque citoyen compte autant qu’un de ses semblables. Quant aux auteurs Jonathan Swift (Gulliver’s Travels) et George Orwell (Animal Farm, 1984), ils feront perdurer en leurs Lettres cette tradition britannique de la satire se voulant dénonciatrice d’un état de fait baignant dans les turpitudes et l’ignominie de l’injustice.

mardi 12 juin 2012

Achats pour l'été






En ce début de semaine, la course des aiguilles m’a parue comme affolée, insaisissable. Moi qui m’enorgueillis souvent, affichant un port de tête fort haut, que je sais parfaitement gérer mon temps, voilà un doigt railleur pointé sur mon visage.
Oui, en ce début de semaine, j’ai manqué d’organisation, la volonté peut-être aussi, s’est faite fugace, vaporeuse. De ce fait, je n’ai su saisir la plume, m’interroger sur la prochaine œuvre sur laquelle pourrait porter mon prochain article.
Seulement, je me suis engagée auprès de vous, lecteurs, à fournir un article par semaine.
Aussi, car je ne supporte rien moins que manquer à mes engagements, je vais réaliser ce que la blogosphère beauté-mode-féminine qualifie de « haul ». C'est-à-dire, une revue des derniers achats réalisés (compulsivité toute capitaliste, certes, ou alors l’appel mesquin de la carte bleue soigneusement dérobée à notre regard au fond du porte-monnaie de sorte à ne pas céder à la tentation de la dépense).

Toujours est-il que, en fin de semaine dernière, mes pas m’amenèrent à passer près de la grande Fnac du CNIT, situé sur le parvis de La Défense.
Et puis, j’ai ouï dire par quelque douteux météorologue que l’été arrivait dans une maigre dizaine de jours, aussi me suis-je pliée à la tradition de la lecture de plage. Après un rapide passage en caisse, voici donc le résultat des courses (au sens propre, ce coup-ci !)

Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, 313 pages

Un classique que je n’avais pas encore eu l’occasion de parcourir. Il est, ce me semble, souvent au programme des licences en Lettres Modernes… Réparons donc cette erreur !

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique tomes I et II, 598 et 455 pages

Ou il est plus que temps pour moi d’aller consulter un ophtalmologiste, ou la Fnac ne proposait pas l’œuvre regroupée en un seul et unique tome… Est-ce une manière de pousser à la consommation ? Peut-être cependant cette césure dans l’œuvre peut recéler un intérêt. Donc, à voir…

Madame de Lafayette, Histoire de la Princesse de Montpensier, 122 pages

Une obligation, presque un devoir, j’avais parcouru il y a quelques mois La Princesse de Clèves, mais sans pour autant éprouver un véritable besoin de me renseigner quant au reste de l’œuvre de cette écrivaine. Et puis, en passant devant son nom, me suis-je laissée tenter.

Pierre Corneille, Horace, 139 pages

Mes années de collège de quatrième et troisième auront été littéralement bercées par les œuvres théâtrales produites durant l’ère du classicisme. Je ne crois pas me fourvoyer en disant que je dus en lire une bonne vingtaine en l’espace de deux années scolaire (autant exigées par mes professeurs que par goût personnel). Mais pourtant, grand mystère que je m’astreins en ce moment même à résoudre, celle-ci semble être passée entre les mailles du filet.

Aristote, Ethique à Nicomaque, 550 pages

Un peu de philosophie ne fait jamais de mal, non ? Quand bien même mes connaissances dans le domaine se sont réduites comme peau de chagrin depuis que j’ai cessé d’étudier cette matière. C'est-à-dire, quatre ans déjà. Fichtre…

Léon Tolstoï, Anna Karénine, 858 pages

Un classique, encore une fois. J’espère l’avoir terminé avant que ne sorte au cinéma l’adaptation que je sens déjà désastreuse par Joe Wright, avec en tête d’affiche la très famélique Keira Knightley….

Walter Scott, Ivanhoé, 711 pages

Je reste surprise de n’avoir par eu à l’étudier durant mes trois années de licence d’anglais. Je vais donc m’y atteler toute seule.

Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix tome I, 982 pages

Oui je sais, la logique aurait voulu que je reparte avec le deuxième tome clôturant cette saga, mais ma menue monnaie et mes bras maigrichons en ont décidé autrement.

George R.R. Martin, Le Trône de Fer intégrale 4, 891 pages

Il fallait bien un peu de roman de gare dans cette liste ! Si vous n’avez encore pas eu l’occasion de jeter un œil à la série, je vous la recommande chaudement. J’espère que vous n’êtes pas hermétique au genre dit de « medieval fantasy ».

Promis, la semaine prochaine, je publierai un article digne de ce nom !

mardi 5 juin 2012

Robert Louis Stevenson - L'Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde





Il est des nuits qui peuvent se révéler fructueuses, propres au frémissement d’un imaginaire n’accordant qu’une maigre place aux effrois et aux glaces de l’angoisse qui nous saisit au col, et ce même au plus profond de la nuit ; peut-être est-ce là la véritable utilité de ces cauchemars étouffants, un pouvoir dont Morphée doit probablement s’enorgueillir alors qu’il étaye patiemment sa domination sur nos corps alanguis, emprisonnés dans l’effroi d’un mauvais rêve. Crainte antédiluvienne de passer une soirée aux prises avec ces plus intimes fantômes, mais ces ectoplasmes parfois, nourrissent les plumes tandis qu’ils espéraient forclore l’esprit de sa capacité de raisonnement. Robert Louis Stevenson (mille huit cent cinquante - mille huit cent quatre-vingt-quatorze) connut ce désagréable souvenir acéré, un grincement qu’il coucha sur le papier, puis fit paraître au grand public en l’espace de quelques mois. Tandis qu’il goûtait les plaisirs d’un séjour fort agréable dans la région du Dorset, en Angleterre, l’auteur de la déjà très célèbre Ile au Trésor (publiée en mille huit cent quatre-vingt-trois) fut sous le joug d’un terrible rêve teinté d’ignominie et d’aliénation ou s’affrontaient  avec toute la férocité de bêtes sauvages les notions de Bien et de Mal, sinuant nuitamment le long des rues et sentines les plus insalubres des bas-fonds de la ville de Londres en cette fin du XIXème siècle. L’écrivain subodorait-il à la production de ce que la postérité lui accordera comme son chef d’œuvre un récit hanté par la turpitude et la vésanie que les contemporains de l’auteur, saisis d’horreur mais indéniablement conquis, saluèrent ç l’unisson ? Il n’en demeure nullement moins que L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, paru en mille huit cent quatre-vingt-six marqua de manière indélébile les esprits, corrodant la préciosité des mœurs de l’époque en s’armant du choix d’une production littéraire ouvrant la voie aux futurs choix de personnages principaux élevant au rang des plus honorables valeurs le blâme, le boniment et le stupre ; et Stevenson en levant ainsi un coin du voile sur ce qu’il considérait comme une forme de décadence méprisable dans laquelle l’Angleterre étaient en train de lentement se perdre, s’enfoncer comme dans une mare de fange nauséabonde. Car lecteurs, ne vous laissez point accaparer l’esprit par l’aspect épouvantable de l’œuvre dont nous allons parler un peu aujourd’hui, car c’est bien une virulente, mais primordiale aux yeux de l’écrivain, critique allégorique de la société Londonienne, et en un cadre plus élargi Anglaise, à laquelle se livre Stevenson, abaissant sa déférence dans laquelle il tenait son pays du fait de la débauche ambiante encore naissante entourant cette nation qu’il ne paraît plus à même de reconnaître.

Parant sa plume d’une ironie caustique et acerbe, Stevenson offre au lecteur, via une foultitude enivrante de détails sur la vie de la capitale anglaise, une toile arborant la forme d’un diptyque supposé caractériser, vilipender et avilir autant la figure citadine que le siècle du romantisme et avilir autant la figure citadine que le siècle du romantisme et de la révolution industrielle jetant ses ultimes feux fluctuants dans leur éclat se faisant de plus en plus faible. Au travers des transformations du bon Dr. Jekyll en l’effroyable Mr. Hyde, d’une part, nous est figuré le sempiternel goût pour une jeunesse renouvelée et retrouvée au cours de laquelle l’on en craint plus de travestir ses pulsions et autres désirs bannis par les chantres de la bienséance couplée à la religiosité, des notions auxquelles une première vie s’était faiblement assujettie et amena donc au refoulement dédaigneux des passions amoncelées dans un coin de l’âme (il est possible ici de discerner un aspect autobiographique, car il est à l’époque de notoriété publique que le jeune Stevenson courait les maisons de plaisir écossaises d’Edimbourg, par cela s’exposant au courroux paternel, fervent croyant comme le voulait la culture écossaise de ce temps). D’autre part, se dévoilent les envies illusoires et l’angoisse sous la férule de laquelle se trouve placé l’homme cultivé et bon vivant qui se voudrait démiurge des réalisations de nos propres envies, mais dont l’esprit se détériore au fil de l’âge, toujours davantage possédé par ses déboires qui engendreront une frustration ; elle-même nourricière d’un double bestial et maléfique. Pure métaphore des insatisfactions conglobées au fur et à mesure que s’écoulent les ans. De fait, notre auteur dépeint-il l’étau en lequel peut se muer la bonne et respectable société Victorienne. Emprisonnés dans leur carcan d’apparence, les gentlemen se doivent de se parer de respectabilité et d’une décence ne pouvant souffrir et s’exposer au moindre reproche ; mais qui pourtant côtoient les quartiers insalubres aux relents de débauche et de mauvais alcool (ici, l’on peut évoquer le souvenir des deux célèbres gravures de William Hogarth : Beer Street and Gin Lane) où l’indignité coudoie la prostitution et son lot de maladies vénériennes qui marchent de concert avec le plus vieux métier du monde (il apparaît ici exigible de remémorer au lecteur que Londres est la ville comptant le plus de péripatéticiennes au monde en cette époque). Une dépravation qui manifestement ne choquait nullement  que notre bon Stevenson, puisqu’il ne s’écoula que deux ans entre la parution de l’œuvre qui nous occupe et les tout premiers meurtres perpétrés par l’insaisissable Jack The Ripper.

Se cacher, louvoyer parmi les ruelles luisantes d’humidité de laquelle s’échappent des vapeurs pestilentielles. Or, ce ne sont pourtant nuls autres que deux des plus honorables gentlemen de la ville, errant au milieu de places insalubres et peu accueillantes, qui dans la concorde décident de traquer Mr.Hyde la première fois qu’ils le croisent à marcher d’un pas hâtif sur le pavé sonnant. Que faisaient, je vous le demande, ces hommes à se promener à une heure très avancée de la nuit dans les rues les plus obscures de la capitale anglaise, comme saisis d’un plein égarement ? Eux-mêmes, l’on puis le subodorer, recèlent probablement quelque secret à cacher, comme à l’image de l’abominable bonhomme dont ils se saisissent au début du roman (to hide, en anglais). Comme je me hasardai à le souligner dans mon article précédent concernant l’œuvre fondatrice de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, le roman qui nous occupe, possédant le même atavisme qu’est cet héritage du romantisme appréciant tout particulièrement la délicate mais passionnante mise en abyme des récits, L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde propose par la même au lecteur une forme propre à en décontenancer plus d’un d’imbrications de points de vue et donc de narrateurs, multipliant de fait la brièveté des détails de certains témoignages, mais également aidant à brouiller les pistes de sorte à perdre, désarmer le lecteur ; un aspect cauteleux du texte qui n’était pas sans intérêts,, de sorte à nourrir le sentiment d’inquiétante étrangeté régnant en maître dans l’œuvre (ici, je vous renvoie à la thématique du même nom développée par le psychanalyste qu’on ne présente plus : Sigmund Freud). De même Stevenson affirmait déjà que l’homme n’était pas seul en son esprit, mais indubitablement deux, une rémanence du double en son âme qui ne lui permet point de garder plein contrôle sur ses actes ; idée que Freud développera de son côté et plus avant avec le Ça, le Moi et le Surmoi, accompagné de la non moins célèbres phrase : « le Moi n’est pas maître en sa propre maison ». Stevenson vitupère ainsi les pulsions, blâme le manque de mainmise de l’humain sur son propre être tandis qu’il développe toujours plus avant cette notion d’antinomie, d’altérité qui se fait sa propre ennemie ; le Ça ne cessant d’alterquer sans cesse son jumeau Surmoi, cherchant à se dominer mutuellement, oubliant les ravages qu’ils peuvent causer sur le pauvre Moi, pris entre deux feux auxquels il n’entend pas un traitre mot, et cherchant sans cesse à s’amener à résipiscence de ne pouvoir davantage lutter contre le Mal et se sentir plus attiré par le Bien.

Le dernier point commun qu’il nous est possible d’accréditer entre Shelley et Stevenson demeure bien cette éternelle interrogation des rapports conflictuels entre le Créateur et la Créature, ne pouvant jamais se porter créance l’un à l’autre, l’un cherchant dans les plaintes et les récriminations à inverser la domination patriarcale, tandis que l’autre s’effraie et se voit peu à peu dépassé par le monstre auquel i la donné existence ; par pure convoitise d’une puissance qui n’est pourtant pas destinée aux mortels, puisqu’elle nous échappe. Ainsi la richesse métaphorique de L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde s’avère d’une richesse sidérante, tant elle mêle prémisses de la psychanalyse, critique cynique des ultimes jets de la société Victorienne, rejet de la sévérité légendaire de la religion presbytérienne, et exploration de continents intérieurs qui n’ont toujours pas livré tous leurs secrets.

mardi 29 mai 2012

Mary Shelley - Frankenstein, ou le Prométhée moderne



Est-il encore nécessaire, arrivé en notre époque, de présenter le Frankenstein, un roman aux sonorités abrasives, un personnage à l’ombre hégémonique telle qu’elle parvint à abroger même la dualité de ce nom, fondant le monstre et le héros en un seul et même être, modelant de par les ombres du géniteur et de la géniture un histrion étrange qui se retrouve de fait cyniquement dépossédé de toute sa substance originelle.
On ne peut plus censément dénombrer les adaptations cinématographiques, ridicules accessits envers la créatrice Mary Shelley (mille sept cent quatre-vingt-dix-sept - mille huit cent cinquante et un) qui au fil du temps défigurèrent avec une rare forme d’acrimonie le roman original : Frankenstein, ou le Prométhée moderne, paru l’année de mille huit cent dix-huit, dont l’imagination des masses dénua de toute sa portée, biffa les sujets sous-jacents pour ne plus que souligner sa dimension fantastique. Cet ouvrage peut sans nulle vacillation être considéré comme une forme de genèse du genre de la science-fiction, antérieure aux plus tardifs maîtres incontestés du genre que deviendront Herbert George Wells (La Machine à Explorer le Temps, La Guerre des Mondes, mille huit cent soixante-six - mille neuf cent quarante-six) ou encore notre Jules Verne national (Voyage au Centre de la Terre, De la Terre à la Lune, mille huit cent vingt-huit – mille neuf cent cinq), Shelley briguait déjà d’offrir avec la primauté littéraire qu’on doit de lui restituer une raison scientifique au domaine étrange et austère de qu’est le surnaturel ; un domaine teinté d’une noirceur comminatoire puisqu’appartenant au cercle abscons de l’inexplicable, alors très prisé par les esprits romantiques anglo-saxons, férus de mystères et de légendes aussi caustiques que dispensatrices de frissons glacials. Je cite le romantisme, car Frankenstein relève pourtant d’un absolu et d’une sensibilité exacerbée toute romantique, malgré l’obscur propos incarné par son personnage principal.

Fille de la célèbre philosophe habitée d’idéaux féministes Mary Wollstonecraft (mille sept cent cinquante-neuf - mille sept cent quatre-vingt-dix-sept) et de l’écrivain et théoricien politique William Godwin (mille sept cent cinquante-six - mille huit cent trente-six) dont la condescendance pour le pouvoir alors en place en Angleterre le poussait à écrire d’une plume contestatrice et virulente, Mary Shelley semblait dotée d’une extrace qui ne pouvait la pousser en aucun autre domaine que les Lettres. Aussi fut-elle auteure de nombreuses biographies, nouvelles, pièces de théâtre, romans et récits de voyages, genre de l’errance même qui demeurait fortement à la mode depuis les découvreurs et pères de ce style alors mandés par la reine Elizabeth I d’étendre son empire (l’on peut par exemple penser à Sir Walter Raleigh). Âpre, acéré, corrosif et dissemblable de toute production littéraire ou intellectuelle de son temps, Frankenstein ou le Prométhée moderne naquit tout autant dans l’hérédité du romantisme voulu par l’époque, mais vit le jour en des circonstances coudoyant de près l’ambiance générale que l’on retrouve au fil de ses pages, placé alors sous la férule d’une atmosphère orageuse, que ce soit au sens propre ou au figuré. La légende ainsi nous rapporte, légère et labile comme le souffle du vent, que le soir du quatorze juin mille huit cent seize, la toute jeune femme d’à peine dix-neuf ans se délectait d’un séjour sur les calmes rives du lac Léman aux côtés du fameux Lord Byron au rayonnement déjà profondément établi en Angleterre, du médecin John William Polidori, et de son mari Shelley. La nuit se fait alors menaçante, pluvieuse, propre à mieux disséminer le trouble en les cœurs. De manière à stimuler l’ambiance étrange de cette soirée, les protagonistes de notre scène se jouent à conter des récits de fantômes, puis se lancent le défi de rédiger un court récit fantastique, dont les effluves seraient à même de compléter le tableau d’une délicieuse nuit d’angoisse. La jeune Mary s’avèrera l’unique convive à achever son œuvre, et celle-ci de paraître un peu plus de deux ans plus tard. Ainsi s’achève le cadre bruissant de circonspection et l’imaginaire. Qu’en est-il seulement de l’hoir de cette soirée si particulière et propice à l’inspiration qui permit aux lettres anglaises de se doter de leur toute première histoire de science-fiction ?

L’œuvre propose aux lecteurs de suivre le personnage du jeune scientifique nationalité suisse Victor Frankenstein, dont les recherches et expériences assidues lui offrirent le fallacieux espoir d’entendre le principe même de la vie, se dotant du pouvoir démiurgique de doter l’inerte matière de la capacité à s’animer et se mouvoir par elle-même. Divaguant, mû par cette découverte sans précédents, le jeune savant se met en quête de cadavres ramassés au hasard de charniers à ciel ouvert et de tables de dissections au cœur d’obscures facultés de médecine.  Pantin grossier recousu de manière plus ou moins hasardeuse, Frankenstein recompose ainsi un semblant d’être humain, tel que lui dicte sa déraison. L’expérience démentielle porte ses fruits, et le savant se voyant déjà déifié, prend soudainement horreur face à sa difforme et épouvantable créature se levant de la table d’expérience, et ainsi s’enfuit, abandonnant sa chose, son enfant, rejeté car conglobant en elle-même un pouvoir par trop insupportable, et insurmontable.
Par la suite, débute l’expiation du jeune Victor comme réponse de son crime d’avoir voulu jouer à Dieu, la créature poursuivant sans relâche son créateur qui cherche à la renier de tout son être. L’immonde bête, n’entendant au départ nullement l’apathie de son « père » et s’astreignant de prime abord à se faire accepter de lui, sombre progressivement en une frénésie de violence, qui la pousse à assassiner les proches du fugitif scientifique, augmentant les griefs de la créature à mesure qu’il la repousse épidermiquement, sa vue et cette métaphore d’un savoir interdit le révulsant de tout son être. Comble de l’horreur, point épiphanique de la violence révoltante mais pourtant compréhensible dont fait preuve la bête, elle finit par tuer la femme de Victor, Elizabeth, le soir même de leurs noces, mettant de fait un point final à toute prétention, toute aspiration au bonheur du simple mortel qui cru pouvoir défier Thanatos et se doter d’un pouvoir qui ne devait en aucun cas lui échoir. Harassé, exténué par trop de douleur, Victor cède, accepte ce châtiment qui s’abattit justement sus sa personne, et Frankenstein meurt d’épuisement, concluant le roman et la traque de la terrible engeance qui, par la même occasion, perd tout but de continuer à exister.

Cette modernisation du mythe grec antique de Prométhée enchaîné et mutilé chaque jour par un aigle pour a voir voulu apporter le feu aux humains est rédigée sous la forme épistolaire, tout comme ces œuvres fondatrices, mères de la mouvance romantique que sont Julie, ou la Nouvelle Héloïse (Jean-Jacques Rousseau) et Les Souffrances de Jeune Werther (Johann Wolfgang Von Goethe). Le romantisme en effet s’y retrouve de par ses ramifications tendant vers la fascination pour la mythologie grecque et romaine, redécouvertes lors de la Renaissance survenue en Europe au XVIème siècle, mais également de par la place que le récit concède à la glorification de la nature et de sa puissance mirifique et créatrice, contrecarrant les doutes et les bourbes, les brimades de la mortalité propre à la condition déplorablement humaine, et Victor Frankenstein se perd un nombre innombrable de fois dans la contemplation des montagnes des Alpes qui semblent lui évoquer le poids sur ses épaules représenté par la créature qui le traque inlassablement. On se surprend ainsi à éprouver une forme de commisération, une compassion teintée d’une profonde pitié pour celui qui toucha du doigt les pouvoirs divins d’insuffler la vie, on ressent jusqu’en nos cœurs les terribles anathèmes qu’il profère contre sa création qui le poursuit de sa haine viscérale, une soif de vengeance comme seuls les fils rejetés et méprisés par la figure patriarcale depuis le berceau peuvent en ressentir. Accordant une place prépondérante aux expressions du « moi » et du « j », Mary Shelley entrelace ainsi les diatribes et autres doléances acerbes des deux protagonistes principaux, ne dulcifiant nullement leurs souffrances, de sorte à ce que les douleurs semblables et réciproques les élèvent jusqu’à une lutte qui ne pourra se solder que par la mort de l’un des deux êtres misérables dans leurs conditions de créatures aussi malléables l’un que l’autre ; les tourments du cœur et de l’âme sont exaltés, transcendés comme jamais alors. Tout deux sont les êtres les plus malheureux de la Terre, Victor pour avoir profané le sacro-saint secret du dont de vie, le monstre pour se voir rejeté par son père et le reste de l’humanité à qui il inspire une horreur inégalée. Tout deux ne peuvent plus de fait atteindre le bonheur, et leur convoitise de l’amour, ils se la ruinent mutuellement, car ils sont porteurs de leur déperdition mutuelle. L’on ne sait ce qui advient de la créature après la mort de son démiurge, toujours est-il qu’elle s’enfonce avec lenteur dans la bise brumeuse et sifflante du Pôle Nord, rongée par la solitude et la culpabilité, détruite par le remord d’avoir provoqué la perte de sa seule et unique extrace.  

mardi 22 mai 2012

Johann Wolfgang Von Goethe - Les Souffrances du Jeune Werther




Alors que l’on a parcouru les épars décors de cette Terre seulement une poignée d’année, famélique chiffre que vingt-cinq, est-ce alors aberration ou vanité de scander que l’on peut entièrement connaître le sentiment d’amour ? Et pourtant, Johann Wolfgang Von Goethe (né en mille sept cent quarante-neuf et mort en mille huit cent trente-deux) s’avéra le plus mirifique des chantres de ce sentiment, exacerbé par sa jeunesse et son esprit vagabond de jeune romantique divinisant les élans passionnés et la légendaire pureté féminine. Les Souffrances du Jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers) demeure pourtant un simple premier jet, le balbutiement littéraire d’un écrivain aussi connu qu’un fantôme évanescent et susurré au cœur d’un feu glacé d’hiver. Edifiant récit auquel on ne peut que concéder de faire preuve d’un rayonnement exceptionnel de par la force de ses mots et éclats sentimentaux, l’œuvre qui nous occupe paraît en mille sept cent soixante-quatorze, et tel démiurge d’un mouvement à naître, le livre annonce avec force et fracas le Romantisme ; et ce de part l’altière mise en exergue des abrasifs émois tout autant que déboires d’une âme tourmentée par les fers rougis à blanc de cet enfer insoupçonné nommé Amour, laissant des plaies purulentes et béantes.

Cependant, une fois passé tout sentiment de peine et de commisération envers une des plus malheureuses plumes de langue germanique, l’on peut censément se questionner sur la genèse même de ce livre qui rayonne via sa dissemblance avec toute l’œuvre à venir du jeune Goethe. C’es pourtant la banalité sidérante d’un quantième chagrin amoureux porté tel un volumineux fardeau par l’auteur qui nourrira le texte de ces éclats et autres tonnants anathèmes vers le cruel sort et la frêle raison. Le béjaune Johann Wolfgang tombe en pamoison devant la délicate Charlotte Buff, rayonnement de la naissance de ces véritables amours et crépuscule de son entendement  pour plusieurs longs mois ; car le cynisme du destin fait que la jeune femme a déjà prononcé d’indéfectibles vœux d’engagement auprès d’un des plus proches amis de l’écrivain, la connivence et la tendre affection des deux fiancés ne souffrant nulle tentation ou défiance. Las, Johann baisse les armes face à ces sentiments fallacieux qui ne pourraient que le guider ers la sente obscure du désespoir et de la déraison, ne supportant plus de se voir lui-même extravaguer à connaître un quelconque espoir de voir la belle demoiselle tourner son regard vers lui. Mais l’expérience appesantissante ne demeurera nullement stérile d’un point de vue créatif, puisque son livre emblématique (une place qui plus tard lui sera âprement disputée par la pièce de théâtre Faust) se verra rédigé en à peine un mois ; le pauvre homme s’éjouissant que ses soupirs transis ne furent nullement totalement vains. Les Souffrances du Jeune Werther tendent cependant à s’éloigner partiellement de la vérité, l’écrivain faisant le choix délibéré de ne point dulcifier a peine, mais bien de la transposer tout en l’intensifiant et lui conférant des scènes et situations hautement dramatiques qui augmentent le désenchantement du héros, Goethe s’enclavant d’une certaine manière dans le personnage de Werther.

Au cœur de cette œuvre épistolaire, ce dernier tombe éperdument amoureux d’une seconde Charlotte dont la blanche main fut déjà placée dans la poigne d’acier d’un riche et austère homme, plus âgé qu’elle, pauvrette  à la beauté sans pareille, véritable personnification d’un idéal typiquement germanique de la délicatesse filiale et perspective promise de l’établissement d’un foyer stable, rassurant, et empreint de pureté. Une divine créature presque, auprès de laquelle le récit nous permet de suivre la maigre progression du désespéré Werther et les tergiversations de celui-ci, forcé à brimer ses sentiments, proches de la félicité lorsque la jeune fille lui sourit, fange glaciale lorsqu’elle évoque avec des yeux pétillants son proche mariage avec un bon parti. Avec candeur, puis profond désappointement, les dévastatrices passions de Werther ressemblent à s’y méprendre aux imperturbables saisons, fleurissant au printemps parfumé, flétrissant et mourant en hiver à l’image du pitoyable héros choisissant l’aisance du suicide à une vie de perpétuelle souffrance ; n’ayant nullement foi en un quelconque changement, une probable évolution de ses sentiments, dont le déclin aurait pu se produire au fil des mois, tu temps inexorable. Ces humeurs se retrouvent ainsi étroitement liées à l’évolution cyclique de la nature, qui tient une place prépondérante dans les pages de Goethe (comme le veut l'époque littéraire de l’Empfindsamkeit), dont les descriptions délicates se font  admiratives et mélancoliques selon les éclats orageux du personnage principal, se détériorant progressivement, comme les fleurs et les feuilles jaunissant, se craquelant au rythme du cœur du jeune homme. L’on en vient à se demander si ce n’est point la nature elle-même qui se plie à la rythmique de l’amour de Werther, jetant son chagrin à l’empyrée tout autant qu’au papier.

Aussi tonnant que le vers de l’auteur, le retentissement du roman fut incommensurable dans les contrées allemandes, et naquit une allégresse envers l’écrivain, une gloire qui traversa les frontières du pays pour atteindre les voisins Français et Britanniques ; une renommée qui ne se démentira dès lors plus, allant au contraire croissante au fil du temps. Tant de cajoleries de la part de son lectorat qui viendront enrichir et aider à la propagation de ses œuvres suivantes telles que Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (mille sept cent quatre-vingt-seize), ou encore la pièce dont je vous parlais tantôt, le non moins célèbre Faust (mille huit cent huit). Quant à la déréliction et à l’acrimonie du misérable Werther, elles en viendront à dépasser le cadre du roman seul et en lui-même, jusqu’à devenir le personnage central d’innombrables autres créations et œuvres populaires, uniquement transmises par les insaisissables voies du bouche-à-oreille ; disséminant ainsi d’étranges idées à ses jeunes lecteurs. Tant et si bien que d’obscures conservateurs de la morale, aigres, contrits et aux divagations qui dépassent tout entendement en vinrent à  accuser Goethe de briguer secrètement une détestable perversion de la jeunesse, oubliant que la puissance de la littérature peut défaire toute pudibonderie, et l’œuvre fit date dans les Lettres Allemandes, inaugurant à elle seule une vibrante nouvelle vision  de la sensibilité même ; ou de la façon de considérer et aborder les éclats amoureux sans aigreur ni haine, tant elle est dispensatrice de possibilités d’élévation de l’esprit.

De fait, le mouvement littéraire germanique du Sturm und Drang (signifiant littéralement « Tempête et Elan ») venait de se découvrir son deuxième maître, aux côtés de Friedrich Von Schiller, en la plume et la personne du talentueux Johann Wolfgang Von Goethe, période de lettre qui se voulait en ferme et dédaignante opposition avec les Lumières dominant alors la production littéraire européenne, mouvance blâmable car elle élevait aux nuées les arguties inutilement compliquées de la Raison, un raisonnement devenu avec le temps bien plus assimilable à une adoration proche d’un culte ; et ce quand bien même le Sturm und Drang ne jouit pas de la primauté quant à cette farouche opposition, puisque le mouvement avait déjà été initié par la Pamela de Samuel Richardson (mille six cent quatre-vingt-neuf – mille sept cent soixante et un) et bien sûr par l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau : Julie, ou la Nouvelle Héloïse, initiant une très brève mode des romans par lettre, qui ne survivra malheureusement pas au faix du Romantisme, en passe de voir le jour. Ainsi, marchant en les mêmes pas que les deux auteurs cités précédemment, Goethe semble vouloir, par l’expression du déplaisir, du désabusement et de la déconvenue amoureuse, à malgré tout envisager les élans du cœur avec le plus grand des sérieux, ainsi qu’à critiquer un univers aux dringuelles bien maigres qui semble tendre à nourrir les déceptions et chagrins de ses lecteurs, n’obéissant nullement à leurs plus secrets désirs. Selon Goethe lui-même, le désarroi générationnel suffit à faire la gloire de son livre, la jeunesse de son époque ne reconnaissant plus jusqu’à ses propres fondements. De fait devenait-il pleinement autorisé de décrire, de parler de ses doléances sentimentales, de ses exigences irréelles, de ses passions âpres qu’on s’astreignait auparavant à brimer autant que faire se pouvait ; l’âme soupirante n’ayant nulle place dans une société guindée qui, heureusement jetait ses derniers feux. Laissons plutôt davantage de place à la concorde des cœurs, aux terribles déchirements des esprits qui alimentèrent  les lettres de ce temps de leurs probables plus rayonnants et délicats ouvrages. Un éclat si aveuglant que ses émules se comptèrent par la suite par dizaines. Nous pourrions citer quelques noms à l’image de ceux de Alexandre Pouchkine (La Fille du Capitaine, ou encore Eugène Onéguine), Chateaubriand et son René, son Attala, ou encore Senancour avec Oberman. Peu importe ici si le récit diffère dans sa forme ou dans sa surface, l’avatar de Werther demeure indéniable.

Salué, imité, inspirant, Les Souffrances du Jeune Werther restera un ouvrage dont la beauté et la force ne peuvent censément se démentir. 

mardi 15 mai 2012

Le Dernier Jour d'un Condamné - Victor Hugo





Mille huit cent vingt-neuf. Sous le soleil dardant ses rayons réconfortants, un éclat métallique d’une cruauté glaciale attire l’œil d’un simple badaud parisien. Le tout jeune Victor Hugo, vingt-six printemps, contemple le fil tranchant de la guillotine dansant doucement à la lumière du jour, bercée par la brise, telle une estivale valse macabre. Tout fraîchement niellés de graisse, ses joints glisseront au lendemain allégrement vers le cou d’une quantième victime, anonyme vilipendé uniment par la foule assoiffée de spectacle morbide qui s’amassera autour de cet étrange spectacle, à l’aube ou au crépuscule, plus que probablement.  Quelles seront alors les maigres survivances de la mémoire de cet être, tué dans la fange de la honte et du silence qu’il se voit imposé tandis qu’il s’apprête à embrasser sa mort ? Quelle peut dont être la genèse d’une scène barbare, qui ne devrait être que sujette au blâme et à l’abomination, alors qu’à l’inverse, la mise à mort demeure commodément admise et parfaitement ancrée en la culture française et son simulacre de justice ?
Le tout jeune écrivain déjà habité de la force créatrice et du talent sans pareil que l’on  sait de nos jours, s’offusque, l’âme envahie de récrimination pour cette pratique pour laquelle il ne parvient à souligner aucune justification, tant la prise arbitraire d’une vie par une institution supposée protéger ses citoyens le laisse marri, blessé, révolté. Et c’est ce fait inepte, inintelligible qui censément nourrira le sujet de sa prochaine œuvre, rédigée d’une encre acide, et révulsée par la colère :  Le Dernier Jour d’un Condamné. Aussi est-il abscons en ce lieu de nommer ce texte roman, nouvelle, essai… ou d’un quelconque autre terme littéraire commodément admis, nonobstant toute la force vive de cet écrit qui su jeter durablement l’opprobre sur ce qui était une institution jusqu’à notre récente loi Badinter. Plus d’un siècle il t’aura fallu patienter, Victor, mais ton véhément réquisitoire contre la condamnation à mort ne demeura point vain.
La compassion, la raison, le regard philosophique parvient à atteindre le cœur pétré de nos éminents décideurs. En es-tu satisfait, dis moi, toi qui maintenant dors de corps, et veille sur nous d’âme et de lettres ?

Car l’Autre, malgré ses brisements et ses fautes sujettes à résipiscence profonde demeure autel ; car l’alter ne devrait nullement subir le couperet déniant toute possibilité de commisération de la part d’un pair. Qui es-tu, homme ou femme, juste ou mécréant, pour t’octroyer le droit de décider de la fin d’une vie ? Illusoire pouvoir satisfaisant une sempiternelle volonté de puissance, et fermant ton œil vitreux à l’air compassé et effaré de celui à qui on annonça une proche échéance à son existence. Hugo s’érigea toujours de son vivant el un dénonciateur, un Juste méprisant la haine et l’erreur spécieuse, et c’est cette force vive pour la notion même de justice qui le rendait propice à l’écriture, se muant en un rhéteurs au talent inégalé et auquel même les exaltés et les fous ne cherchent jamais à se mesurer, portant en leur cœur la pleine conscience qu’ils ne sauraient tenir la comparaison.
Mes termes sont encenseurs lecteur, il est vrai, mais à mon sens je ne puis laisser accroire que des œuvres recélant une telle puissance sont monnaie courante dans la littérature française, si prompts à s’ériger face à une souillure telle que la peine de mort sur la joue de la justice, qui fut proche de devenir indélébile, imputréfiable si certains penseurs ne sinuèrent parmi l’injustice pour mieux la combattre en son for intérieur. L’œuvre qui nous occupe cependant n’est point habitée de longs discours à la portée proche des nuées. Les propos philosophiques nitescent, dont les interminables ramifications tendent à perdre le commun lecteur ; or si le public se fait absent de la tribune, le plaidoyer perd son utilité et sa force, pour ne noyer en une vaine tentative bourbeuse, et ses sarments n’atteindront plus leur objectif d’éveil des consciences aux trous béants laissés par la balance justicière dont se targuait si souvent le beau pays de France. Ainsi se veut le discours de Victor Hugo, prégnant de modernité, d’humanité et d’Humanisme, mouvement qui naquit pourtant deux siècles avant sa propre venue au monde. Enfants de France, semble-t-il dire, la loi du Talion ne fait plus sens. Où demeure le sens sporadique en l’énumération de ces règles : un œil pour un œil, une vie pour une vie, ainsi ? Invectivez plutôt chers frères, cette inéluctable habitude pour mieux la combattre et l’abolir. Affecté, l’auteur blâme ainsi l’illogisme sidérant d’une société qui s’avère capable de verser impunément le sang en une vésanie inexpugnable, recréant de fait avec opiniâtreté le crime qu’elle reproche à l’accusé, armée d’un sang-froid avilissant et ténébreux. De fait, ses actes de violence aliénants ne pouvaient que se heurter au monolithe Hugo qui s’érigeait pour la défense de l’humain, de la pluralité et de l’entente des êtres entre eux. Utopie, avanceront certains de ses détracteurs, noble cause pour ceux qui s’enorgueillissant  de marcher dans ses traces. Mais sans nul conteste, l’on peut dire que cette œuvre recèle un propos qui sut faire écho au fil des siècles, témoignage brut dont la précellence est laissée à l’expression singultueuse des souffrances, des angoisses et des regrets que seuls peuvent exprimer les pauvres erres à qui l’on a révélé l’heure et le jour de leur mort, toujours trop proche.

Qui est-elle, cette âme en peine dont nous faisons la connaissance dans l’apologue d’Hugo sous de biens obscurs auspices ? Son mal, ses maux adornent le récit de plaintes et de sanglots qui viennent meurtrir nos oreilles au travers la rédaction de son journal intime, rédigé claquemuré entre les parois squalides de sa prison, dont le verbe de l’auteur parvient à nous faire percevoir jusqu’aux remugles et la froideur. Se peut-il que cet homme à la tragique et inéluctable destinée, parvenant via une infinité de pleurs à nous rendre empathiques à son désespoir, ait réellement pu faire couler le sang ? L’incroyance du lecteur est grande, et c’est pourtant affecté que nous comprenons que l’être, ni héros ni incarnation du mal, a réellement tué ; ô grande déconvenue pour un humain dont on se prend en pitié, priant de voir advenir à chaque ligne la grâce royale en laquelle il place ses maigres mais toujours vivaces et vibrants espoirs. Une main invisible libératrice qui n’arrive jamais, même au seuil de la terrible invention du professeur Guillotin. L’anonymat du personnage principal, le fait que l’on ignore tout des détails de son existence, de ses traits physiques ou moraux, de ses tares, même de son nom, font qu’il n’est pas un éternel héros comme l’on en retrouve toujours dans la littérature. Il incarne la foule, la masse, mais servilement aussi la subordination du chagrin sur l’intellect humain : les éclats dont est capable une âme pour voir sa vie se prolonger de quelques minutes, d’infimes heures dont on pourrait encore se délecter. Du fond de sa sentine, l’homme subodore sa misérable fin, tenant cette assertion en horreur tout en tentant de lutter contre les prémisses de folie qui ne manqueraient pas de l’accabler si jamais il se laissait aller à une trop profonde introspection, à la convoitise d’une échappatoire ou d’une grâce.
Tout espoir est perdu, pourtant son étincelle demeure incandescente dans les ruines, les survivances de son âme décharnée par les regrets et par l’effroyable violence du jugement des hommes. Il ne souhaite pas mourir, mais perdra la vie tout de même. Ses proches sont déjà morts pour lui, d’une certaine manière. Sa propre fille, la petite Marie, ne le reconnaît nullement dès lors qu’elle présente son visage angélique et poupon devant lui. Ultime blessure qui achève de couper le condamné du reste de l’existence et du monde. De même, les litanies fuligineuses, mielleuses d’hypocrisie de la religion ne lui peuvent être d’aucun secours, stigmatisant en son esprit la venue du moine dans sa cellule comme moyen pour l’homme de clergé de se donner bonne conscience, en tentant de laver la souillure par une fantaisiste absolution venue d’une force supérieure fantasmée.
L’œuvre de Hugo est une leçon, une morale, un plaidoyer, laissant à jamais dans la mémoire du lecteur une réflexion profonde sur la notion même de mort.

lundi 7 mai 2012

Jean-Jacques Rousseau - Julie, ou la Nouvelle Héloïse





« Que mon état est changé dans peu de jours ! Que d’amertumes se mêlent à la douceur de me rapprocher de vous ! »
De sorte à m’adresser à vous sans ambages, lecteurs, il apparaît évident que le lectorat français eût jamais entendu parler de Jean-Jacques Rousseau autrement que comme le très célèbre philosophe, une des étoiles rayonnantes et altières dont l’éclat participa pour grande part dans le renouveau de pensée que modela la mouvance des Lumières. Aussi son époque en pleine effervescence ne fut-elle pas des plus propitiatoires à une expression des balbutiements du mouvement Romantique, nuées sentimentalistes tardives sur le sol français, mais déjà fortement ancrées en les lettres anglo-saxonnes. Cependant, ce serait erreur que d’omettre les ramifications de l’œuvre complète du philosophe, des sarments qui s’étirèrent vers le romantisme, de sorte à donner jour à Julie, ou la Nouvelle Héloïse, publiée en mille sept-cent soixante et un, synthèse de sa sensitivité dont l‘expression seule s’achèvera avec la dernière page de ce roman épistolaire, mais dont il est possible de déceler encore quelques survivances dans Les Rêveries du Promeneur Solitaire, parues elles en mille sept-cent quatre-vingt deux. Or, dès que la Julie fut sortie des presses, uniment elle fut l’origine d’un élan d’enthousiasme sémillant et pétulant, comme il n’y en eu très probablement nul autre dans l’histoire de la littérature hexagonale ; une allégresse n’autorisant nulle vacillation, tant et si bien que son rayonnement servira de source inépuisable d’inspirations pour la jeune génération d’écrivains sourcilleux qui allait devenir notre mouvement romantique, plusieurs décennies plus tard.

L’intrigue nous emporte ainsi dans la calme bourgade de Clarens, où les tranquilles et rutilantes eaux du lac Léman allaient se voir ridées, troublées par les myriades de soupirs dus à une idylle naissante, vernale, entre un jeune précepteur : Saint-Preux et son innocente élève, la délicieuse toute autant que délicate Julie. Spécieuse, digne de récriminations au regard étroit de la société guindée de cette époque ; tout un chacun dans le roman la qualifiant volontiers de scandaleuse, Rousseau mue pourtant cette passion voluptueuse en un amour solennel, où le potentat phallocratique  auquel les lettres nous habituèrent se trouve inversé, sans oublier une pureté ambiante enveloppant les deux êtres transis de sentiments vivaces l’un pour l’autre. De fait, coupant court aux agiotages dignes de faux bien-pensant, l’auteur rétablit la sensibilité et la dimension hautement morale au creux des amours des jeunes gens. Cependant digne enfant des Lumières, où la subordination du ressentit ne trouvait encore nullement sa place, Julie et Saint-Preux se verront opposé de ténébreux épreuves et rets, ces embûches tendant à faire office de catharsis afin de catalyser, épurer de trop vifs élans pernicieux pour la sacro-sainte raison. La brusque séparation, toujours grandissante en distance des deux êtres atteindra finalement son objectif de destruction de ces vagues déferlantes de sensitivité qui dominaient l’être des amants marris ; ne leur laissant au regard que les scories, engeances de leur dévorante passion de manière à leur faire retrouver définitivement et simultanément sens et raison ; n’allouant plus nulle place à la vésanie aliénante qu’est l’amour, un truisme pour Rousseau.
Sujet grandement affectionné par les auteurs romantiques, la vassalité aux sentiments est ici plein sujet à exploration, déconstruction méticuleuse qui permet au lecteur de prendre conscience de la dimension mirifique mais délicate comme un pétale de l’amour ; et cette sollicitude de l’auteur tout comme indirectement du lecteur pour les deux malheureux héros se voit rendue possible, car sise en la forme épistolaire de l’écrit, permettant un compte-rendu presque méthémerin des personnages ; un style tant compassé qu’il ne se verra pas à nouveau exploité par les écrivains du siècle à venir à l’exception peut-être d’Honoré de Balzac, dont l’ampleur de sa Comédie Humaine lui permettait l’utilisation d’un très large éventail de styles et de narrations. Cependant, parler d’abandon total serait un boniment, puisque les lettres laissèrent en leur sillage l’utilisation d’un récit à la première personne, réduisant considérablement les risques de logogriphes qui étaient alors courants en la production littéraire (et plus particulièrement philosophique) du XIXème siècle. Ainsi était-il possible de prendre minutieuse connaissance des tourments intérieurs du « moi », face aux affres et à la rudesse de ressentis parfois extrêmes, souvent contradictoires, mais dont l’homme était toujours servilement le pantin, et les prises de conscience ô combien sporadiques !
Personnes contrites presque poétiques que les amoureux dans leur sensibilité d’âme, l’atmosphère se fait prégnante pour eux dont l’être devient réceptif de façon épidermique aux changements et flux de l’extérieur, aux teintes prises par les brises et les heures sauvages ; leur réceptivité se  fait ainsi autant vers la magnificence de la Nature qu’aux vagues déferlantes des tourments internes, propres aux cœurs en peine et que rien sinon la vision de l’être cher ne saurait consoler. Cherchant la quintessence de leurs soupirs, les deux amants rivalisent de lettres enflammées tiraillées par les maux dus à l’absence de l’alter-ego et les délices de parler de celui pour qui l’on respire et avance.

Cependant, l’éclat des Lumières ne rime en rien avec la remise en cause de la rémanence de certaines valeurs chez Rousseau, et sous le voile utopique de cet amour parfait entre deux jeunes êtres, demeure malgré sa vétusté la question chrétienne ; aussi l’auteur accommode-t-il l’éternelle question du paradis perdu en filigrane de son récit, se transformant dès l’instant où le lecteur entend cet enjeu sous-jacent en une parabole religieuse. On peut dénigrer autant que faire se peut le christianisme, où l’humain lantiponnant se voit jouet des sentiments de désir mais également de cruel manque, et la femme adorée à qui l’on accole les mots les plus thuriféraires devient le firmament infini, rendu inatteignable des convoitises masculines par son exil terrestre, subodorant toujours davantage sa dimension de finitude. Encenseur et exalté, Jean-Jacques Rousseau voit en ces sentiments des plaisirs de l’amour mêlés à la délectation qu’est d’admirer de beaux paysages une des possibles définitions du sublime, relevant d’un savant mélange recelant de l’immensité et de la crainte des forces de la terre face à son insignifiance.
Ainsi les longues et encenseuses observations de la nature et du paysage mirifique proposé par l’étendue cristalline du lac Léman par Saint-Preux trouvent échos encore une fois dans les différentes errances bucoliques contées dans Les Rêveries du Promeneur Solitaire ; la contemplation doit être réalisée parfaitement figé par l’éclat sublime, arborant une roideur marmoréenne, de sorte à mieux profiter des paysages qui sont offerts aux regards humbles. Mais La Nouvelle Héloïse n’en oublie point pour autant les vivaces idées prônées par les philosophes contemporains à l’écrivain. De fait, l’écart que s’est autorisé l’écrivain n’en demeure pas pour autant teinté de questions qui se trouveront posées plus profondément dans ses deux ouvrages majeurs : Du Contrat Social et L’Emile, tout deux publiés la même année de mille sept-cent soixante deux ; son obliquité pour les graves questions de société, de politique et d’éducation ne pouvant être niée très longtemps. Les thèmes abordés dans la Julie sont censément variés, pensés de sorte à toucher la plus large audience possible, sinuant au travers des lignes plus légères où la jeune élève et son maître se lancent de doux regards ; les débuts de la mouvance romantique annoncent de fait une dimension large, où ses repousses touchent autant à l’esthétique qu’à la morale ou la philosophie elle-même. Une présence particulièrement évidente lorsque Rousseau aborde minutieusement les domaines de la musique en tant que science, ou la délicate question du suicide, toujours furieusement rejetée, vilipendée par la religion.
Aussi serait-il possible de parler de « roman total » au sujet de l’œuvre qui nous occupe, un ouvrage dont le rayonnement n’est plus discuté. Il se fait de la sorte le reflet parfait de ce en quoi allait se muer le Romantisme naissant, un genre n’aspirant nullement à la tergiversation  mais bien à aborder la totalité des sujets auxquels pourrait un jour se voir confronté un homme dans sa quête contrastée de l’absolu. Car les rêves, principale source d’inspiration des auteurs et ténors de ce mouvement, ne souffre lui aucune limite, englobant le monde et tout ce qu’il contient, de sorte à pouvoir à jamais parler à ses lecteurs des temps actuels et à venir. 

lundi 30 avril 2012

Erasme - Eloge de la Folie





Marionnettes comme extraites derechef de l’obscure caverne platonicienne, bacchantes hurlantes châtiant les mortels de leurs courroux inextinguibles, voici venir l’Aveuglement et la Démence, mais ce n’est pas une aberration que de les voir hautement glorifiées lorsque la prouesse acérée est réalisée par l’un des chefs de fil du renouveau de la pensée européenne durant la Renaissance.
Avant, bien avant de prendre la plume et d’adjurer ses lecteurs à penser profondément, Erasme de Rotterdam, qui vit le jour à une date incertaines bien que commodément admise que celle de l’année mille quatre cent soixante-neuf, consacra les quarante premiers étés de son existence à l’Eglise mais nullement habité d’une quelconque allégresse : les devoirs que sont ceux d’un moine paraissaient corroder son esprit et sa verve, brimer ses pensées à s’astreindre à une vie de frugalité teinte de dénégation du vaste reste de monde environnant. Il fait sécession des ordres, à qui il ne cessera par la suite d’adresser ses pires doléances au cœur de ses différentes œuvres qu’il voudra d’un verbe corrosif et une diatribe caustique, et ce dès l’an mille cinq cent neuf. Comme mû par une force impalpable mais régénératrice,  qui aurait grandit en son intellect après quatre interminables décennies de silence, abjurant ce que furent les piliers de son existence par le passé, seulement une maigre semaine lui fut exigible de sorte à produire son âpre et mordant premier opus, primordialement composé mentalement, puis couché sur le papier auprès de l’âtre rassurant de son plus fidèle ami l’essayiste et philosophe anglais de génie Thomas More (à qui on doit, entre autre, l’Utopie qu’il n’est nul besoin de présenter à nouveau) : Eloge de la Folie. Accommodant ses propres adages et reproches à une vise passée dans l’obscurité intellectuelle de la religiosité, l’écrit est rapidement proposé aux presses, et la toute première édition paraît deux années plus tard, en mille cinq cent onze, à Paris, alors centre névralgique de tout le frémissement culturel qui emplissait le Vieux Continent.

Sans pour autant tomber dans l’évident  mais dangereux piège de l’amoncellement des rancœurs et révoltes ressenties par l’écrivain, l’œuvre demeure relativement courte mais cela ne nuit en rien à son ton se voulant comminatoire, subtilement occulté par l’omniprésence d’un humour acerbe et sans ambages, elle cultive la châsse d’un paradoxal éloge, genre grandement plébiscité par les antédiluviens auteurs des époques dorées des Antiquités Romaines et Grecques ; car elle allouait à son rédacteur les appas délectables de la moquerie sous cape, fine et subtile qui ne laisse transparaître que tardivement toute l’acrimonie de son propos, léger d’apparence, grave de fond. Le tout demeure allégé par le bouffon principe d’élection d’un sujet propre à être bafoué, couvert d’opprobre, excluant tout propos dithyrambique, et l’auteur s’astreint à en conter l’histoire élogieuse, brillant dans son raffinement et dans la profondeur des maximes qui peuvent aisément lui être attribuée.
Concernant le cas précis de l’écrit du grand Erasme, nous apparaît l’altière et attrayante Folie, personnage central tout autant que fictif, qui armée de ses grotesques gestuelles empruntées aux pires enseignants puis parodiées par ses soins, donne débonnairement ses leçons d’arraisonnement et d’absurdité teintée d’arguties qui permettent ainsi de rapides retours au sérieux du propos, aidant le lecteur à se situer en ces discours.  Ses prises de position bigarrées et disparates captivent ses auditeurs dont le lecteur fait partie intégrante, et de sorte à les gratifier de leur assiduité à son fol cours, elle leur offre en guise de dringuelle la terrible vérité, désabusement et déboire effroyable, qu’elle règne en maîtresse absolue et incontestée sur leur méprisable existence.
Aussi s’abreuve-t-elle de leur déplaisir et de leurs régulières bassesses propres à la mauvaiseté inhérente à l’humain, mais cependant sans s’oublier à leur jeter à la face la dernière subtilité de son introduction, telle une antienne que l’homme aurait niée depuis des temps immémoriaux : elle demeure leur principale et plus grande source de plaisir des sens. Briguant leur permanente attention tout comme une sujétion totale, la Folie entend cependant que, de sorte à le faire plus persuasif, la brièveté de son paradoxe s’avèrera sa meilleure alliée, assurant de fait la pertinence et l’efficacité de son propos.
Ainsi s’efforce-t-elle à  une forme d’hétérogénéité, ou plutôt à ce stade dans le récit, à la duplicité se faisant démiurge d’une distinction élémentaire entre la folie en tant que telle, et créant la dissemblance d’avec ce qu’elle baptise la « folie douce ». Calomniatrice, souhaitant avant tout la violence marquante de son sujet, elle déclare comme dément purs ceux qui convoitent la belligérance, admonestant le goût pour les labiles richesses de cette terre en biens pécuniaires et temporaires ; puis elle appesantit son regard porté sur toute la classe des théologiens aspirant à expliquer et questionner l’essence même du divin, percer le mystère d’un dieu unique et omnipotent.

Des thématiques éminemment humanistes, appelant à octroyer plus de complaisance et de temps à la raison et à sa sœur jumelle tant aimée la logique. Concédant un contrebalancement nécessaire à la pertinence de sa parole, cette douce et chérie Folie ne peut être autre que celle de la méprise, engeance d’égarements doucereux provoqués par le crépuscule de la mesure, saveur amère bien connue de ceux emplis d’une passion pour un quelconque sujet, animant de doctes réflexions et moments d’égarements en son propre être ; heures de plein silence ou au contraire d’exaltations culturelles de ceux qui apprécient tant un domaine qu’ils lui dédient éperdument une part de leur être le plus commodément possible.
Comme la passion peut paraître panachée, en concorde pleine avec le goût du bien et du beau, thématique tant adorée par Platon le philosophe-roi, sa République et surtout son Banquet où se discutèrent à bâtons rompus plaisirs sensuels, connivences avec la douceur du miel et des chairs ; une œuvre qu’Erasme connaissait à la perfection, briguant de l’étudier toujours plus tant qu’il serait possible d’en extraire d’importants enseignements et règles philosophiques qui parent le monde d’indénombrables lignes directrices. Ces instants désincarnés de délires délectables ne portent nul préjudice à un quelconque être, ils sont élans dans le respect d’autrui, de ce royaume intouchable qu’est la figure de l’Autre. Ainsi, non sans un certain cynisme, Erasme expose que tout humain peut être l’éventuelle victime innocente des pouvoirs de l’illusion, une épée de Damoclès aqueuse et donc inoffensive qui restera attachée de son crin de cheval au-dessus de nos crânes jusqu’au temps de rejoindre la tombe et la terre. Aussi, notion aux attraits purement épicuriens, quel sens y a-t-il à condamner, blâmer ces fantômes évanescents puisqu’ils sont sources vives d’un plaisir certain, divagation qui procurent de trop rares instants de bonheur disséminés tout au long d’une interminable existence qui serait trop sèche, si triste sans cette Folie qui se mue peu à peu, au fil du texte, en ce mythe presque salvateur, cheminant à ses côtés.
Biffer la retenue pour défier les plaisirs, voilà qui pourrait passer pour le plus éloquent des discours, or chez Erasme, rien ne peut apparaître davantage incertain, quand bien même ces propos sont repris avec la plus vibrante des éloquences à la fin de l’exposé de Dame Folie ; l’intention demeure toujours brumeuse, pour tout lecteur peu habitué au maniement de l’ironie, la parodie demeurant part intégrante de ces lignes jusqu’aux ultimes mots usités dans cette œuvre, à laquelle le lectorat malheureusement peine à donner créance du fait de la bouffonnerie marchant de concert avec l’acerbe critique qui peut parfois apparaître tristement occultée par un masque narquois.

Récit relativement rare pour une production littéraire au mot si violent contre les ordres établis et luttant contre la déréliction des âmes, le succès de l’Eloge de la Folie fut très important dans toute l’Europe, au point que deux des plus éminents peintres hollandais de la période de la Renaissance : Hans Holbein l’Aîné et Hans Holbein le Jeune lui dédièrent un nombre non négligeable de gravures et d’illustrations qui contribuèrent subséquemment à enrichir l’œuvre.
Ainsi Erasme de Rotterdam contribua à dévoiler le tabou de la folie, maladie insufflée par la figure diabolique elle-même pour cette époque où le terrain de la connaissance se trouvait encore ardemment disputé entre l’obscurantisme, enfant chéri de toute forme de religion, et la volonté de savoir de ces hommes qui surent s’affranchir de plusieurs siècles de craintes irrationnelles de sorte à mieux s’en référer aux maîtres Antiques dont la clairvoyance n’était point parvenue à s’insinuer jusqu’aux brumes opaques de la longue période appelée Moyen-âge. Car intrinsèquement, la Renaissance est chantre de cela : révéler à l’homme sa propre démence et ses défauts héréditaires, démythifier cette supposément créature façonnée à l’image d’une fuligineuse divinité pour la révéler telle qu’elle, chair et doutes, fluides et peurs qu’il n’est plus nécessaire de refouler si l’on tient à mieux entendre ce continent qu’est l’Humain. La lucidité, étayant le texte d’Erasme peut pourfendre la Folie ; des sujets qui seront repris par deux éminents Michel : Montaigne dans ses Essais et Foucault dans son magistrale Surveiller et Punir

samedi 21 avril 2012

L'Etranger - Albert Camus



Etranger à l’extérieur, ou peut-être est-ce seulement à son propre être, dès lors que l’on élit comme cadre immanent de vie l’acceptation de l’absurdité autour de nous, semblant faire abstraitement corps avec la pluralité ambiante ; indifférence au monde, désintérêt pour toute forme d’altérité qui au hasard des errances du héros, auraient l’heur de croiser ses pas. Part de la trilogie Camusienne ayant trait à l’idée philosophique de l’absurde, parmi d’autres œuvres que sont Le Mythe de Sisyphe et Caligula, l’écrit de l’auteur français L’Etranger ne se contente nullement d’allouer au lecteur la possibilité de suivre le cheminement impavide dans toute son apathie du personnage principal, ombre nébuleuse parmi les taches sombres luttant avec l’étouffante et vibrante chaleur d’une Algérie d’après guerre ; ce livre s’inscrit pleinement en le projet Camusien consistant à récuser l’omnipotence irréversible d’une forme abstrus de destinée, tant louée et appréciée de nombre penseurs antérieurs à son époque, mais dont l’influence s’imposait alors avec la force tant irréfutable d’une évidence.
Albert Camus expliquait de son vivant que, dès lors l’absurdité d’une banale existence humaine venue s’imposer à notre esprit, il ne restait plus à l’éclairé que deux possibilités sommes toutes possibles à envisager, car inéluctables dans les deux cas : le suicide, ou le rétablissement. Mais constat pouvant paraître d’un paradoxe déroutant pour celui qui viendrait à parcourir le contenu des pages qui nous occupent, l’écrivain ne mentionne nullement ces deux notions, tout du moins réellement telles qu’elles ; cependant sommes-nous à même de nous questionner quant aux égarements en lesquels semble s’enclore docilement le personnage principal : son acceptation morne de l’éminence de sa condamnation à mort, nulle feintise mais véritable résignation. Aussi peut-elle se relier à une forme de suicide, du fait de son ténébreux refus de toute forme de défense lors de son simulacre de procès ? Intéressons-nous davantage à cette créature pathétique mais saisissante, de sorte à mieux percer les insondables ramifications de la pensée du philosophe.

Inconnaissable tout autant qu’inébranlable, Monsieur Meursault semble apparaître comme un homme dont la banalité atterrante ne puisse être égalée que par un stoïcisme dont il ne puis se défaire puisque part intégrante de son être ; un calme en toute situation qui ne semble cependant nullement interloquer ses amis et autres interlocuteurs qui à leur tour, se posent comme les parfaits contraires du personnage central au roman philosophique d’Albert Camus. Purs et simples créatures (ou peut-être serait-il davantage judicieux d’user ici du terme de « créations » ?) d’une société encore abasourdie par les violences sans précédent qui caractérisèrent le second conflit mondial, les êtres que Meursault est appelé à fréquenter au fil des pages nous amènent, lecteurs, à considérer une nouvelle évidence. Non point son personnage principal totalement désincarné, ce sont les Autres de Camus, ces hommes et ces femmes ineptes qui se meuvent et agissent tels que le moule de la société leur a indiqué, et ainsi subissant tout en l’acceptant une prépondérante  domination du paraître qui de fait leur impose une vassalité par rapport à autrui, mais également vis-à-vis du cadre social au sein duquel ils évoluent ; une prégnante subordination dont ils ne semblent point jouir d’une quelconque conscience, tant leur petit univers semble rigide, immobile, mais sommes toutes confortable. Aussi l’attitude observatrice plutôt qu’actrice de notre héros peut paraître hautement sibylline au regard des différents protagonistes du roman, empreint tel qu’il est d’incroyance, mais jamais fluctuant quant à ses choix, attitudes et pour le peu de jugements qu’il lui arrive d’exprimer. De fait, l’indifférence même semble être son mot d’ordre, une égide dont il ne cherche jamais à se défaire tel un mauvais masque, et ce même lors de ce terrible évènement que peut être le décès d’une mère. Flegmatique, hagard,  froid sûrement, le personnage principal note à la manière d’un journal intime enfantin, feuilles vierges idéales à recevoir toute introspection : « aujourd’hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » ; et dès lors explose toute l’hideur de cette incapacité à l’affliction, de s’émouvoir du plus cher des êtres ; cette impossibilité pour lui d’extérioriser un invraisemblable ressenti, puisqu’il ne le peut. Cet homme ne ressent pas, le laconisme glacé est son idiolecte et le non-usage de l’affection, sa personne même ; le simple fait de devoir se déplacer de sorte à assister aux obsèques semble le canuler, le fait de devoir –conventions sociales obligent- faire montre d’une forme de commisération pour la défunte le gêne et l’amène à se questionner sur le pourquoi d’un rôle qu’on se verrait forcé de jouer, de feindre, tandis que l’on n’en ressent ni l’envie ni le besoin. Ainsi, Eros et Thanatos s’opposant depuis des temps littéraires antédiluviens, la mort tient également une place prépondérante tout autant qu’abstrus dans le récit, où il appert que même la perspective d’une mort prématurée et décidée par une tiers personne ne semble aucunement effrayer M. Meursault, livrant sporadiquement ses observations quant à l’arrivée de la sentence et de la Nuit.

Au regard d’un être humain, pour qui l’antinomie  n’est que fantôme ardument saisissable, aux yeux de qui la disparition de la figure maternelle ne fait que renforcer la vacuité, et que le manque cruel de sens aux existences menées est un truisme ne valant point que l’on s’en offusque ou même qu’on en dispute, que peut alors figurer le visage blême et rachitique de la Mort ? Est-ce pusillanimité, ou oisiveté face à une décision dont l’extériorité est telle que toute prise de notre part est vaine et illusoire ? S’enténèbre alors le jugement du lecteur, pour qui l’abolition du sentiment dont Meursault semble être la victime parfaitement consentante et inébranlable relève du fantasme, du domaine ineffable de l’impalpable, inatteignable. L’inconnu à lui-même se voit condamné à affronter le tranchant de la guillotine, et est-ce vésanie ? est-ce ce sentiment d’une déperdition à laquelle nul n’échappe ? le personnage ne pipe mot, hochant la tête en signe d’acceptation glaciale de par qui le terme de mort semble vidé de sa substance, de son sens qui lui confère de fait cette terrifiante réputation. Les partisans de la démence recourront telle une tête de Méduse pétrifiante à l’argument de son absence de défense lors du procès, affirmeront affablement qu’il n’avait rien ressenti lors de la mise en terre de sa mère dont, affirmation totalement inintelligible pour les jurés comme pour le lecteur, il s’avère incapable de donner l’âge alors que les juges l’interrogent à ce sujet. Atermoyant leur répulsion, les lecteurs peuvent en contrepartie laisser libre cours à leur animadversion pour la nonchalance  éternelle, presque mue en un roc infaillible, de l’accusé qui s’apprête à mourir en place publique, face à la foule qui pourrait laisser éclater sa rage et son acrimonie pour le loup solitaire, objet de rejet et des pires récriminations pour s’être écarté de la meute ; un chemin différent qui trouve sa source nourricière dans une prise de conscience probablement antérieure au récit et à laquelle le lectorat ne peut assister, mais dont il est libre de constater le résultat dans toute son étendue d’apathie et d’incompréhension face aux myriades de reproches et de tentative d’un éveil vain dont il paraît être la cible. Pauvre erre qui semble s’être défait du fait qu’est l’étau des conventions globalement acceptées et revendiquées, il semble cependant jouir avec une certaine insolence que tout un  chacun peut ardument souffrir : le trou béant laissé en son cœur par la disparition des sentiments de peur. En effet, si la vie se révèle dénuée de goût et de prix, en ce cas pourquoi craindre de la voir s’enfuir brusquement ? Nulle réceptivité l’exempt des larmes et des angoisses, seule demeure l’acceptation des faits dont ses errances l’amenèrent à croiser le chemin ; et l’homme alors attend la mort paré d’une sérénité ô combien enviable, se délectant ou s’amusant à loisir des survivances de ses souvenirs de comment se déroulait sa vie au-delà des murs squalides de sa prison, considérant tout autant les scories que les bonheurs, espérant qu’il y aura, finalement, un peu de monde à venir assister à sa mise à mort lorsque sera advenu le jour jugé propice par ses geôliers.

Peut-être ainsi est-ce cela, l’absurde Camusien. Subodorer le non-sens, le faire sien pour avancer plus sereinement face aux aléas que pourraient être autrui et le sort.
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