Mille huit cent
vingt-neuf. Sous le soleil dardant ses rayons réconfortants, un éclat
métallique d’une cruauté glaciale attire l’œil d’un simple badaud parisien. Le
tout jeune Victor Hugo, vingt-six printemps, contemple le fil tranchant de la
guillotine dansant doucement à la lumière du jour, bercée par la brise, telle
une estivale valse macabre. Tout fraîchement niellés de graisse, ses joints
glisseront au lendemain allégrement vers le cou d’une quantième victime,
anonyme vilipendé uniment par la foule assoiffée de spectacle morbide qui
s’amassera autour de cet étrange spectacle, à l’aube ou au crépuscule, plus que
probablement. Quelles seront alors les
maigres survivances de la mémoire de cet être, tué dans la fange de la honte et
du silence qu’il se voit imposé tandis qu’il s’apprête à embrasser sa
mort ? Quelle peut dont être la genèse d’une scène barbare, qui ne devrait
être que sujette au blâme et à l’abomination, alors qu’à l’inverse, la mise à
mort demeure commodément admise et parfaitement ancrée en la culture française
et son simulacre de justice ?
Le tout jeune écrivain
déjà habité de la force créatrice et du talent sans pareil que l’on sait de nos jours, s’offusque, l’âme envahie
de récrimination pour cette pratique pour laquelle il ne parvient à souligner
aucune justification, tant la prise arbitraire d’une vie par une institution
supposée protéger ses citoyens le laisse marri, blessé, révolté. Et c’est ce
fait inepte, inintelligible qui censément nourrira le sujet de sa prochaine
œuvre, rédigée d’une encre acide, et révulsée par la colère : Le Dernier Jour d’un Condamné. Aussi
est-il abscons en ce lieu de nommer ce texte roman, nouvelle, essai… ou d’un
quelconque autre terme littéraire commodément admis, nonobstant toute la force
vive de cet écrit qui su jeter durablement l’opprobre sur ce qui était une
institution jusqu’à notre récente loi Badinter. Plus d’un siècle il t’aura
fallu patienter, Victor, mais ton véhément réquisitoire contre la condamnation
à mort ne demeura point vain.
La compassion, la raison,
le regard philosophique parvient à atteindre le cœur pétré de nos éminents
décideurs. En es-tu satisfait, dis moi, toi qui maintenant dors de corps, et
veille sur nous d’âme et de lettres ?
Car l’Autre, malgré ses
brisements et ses fautes sujettes à résipiscence profonde demeure autel ;
car l’alter ne devrait nullement subir le couperet déniant toute possibilité de
commisération de la part d’un pair. Qui es-tu, homme ou femme, juste ou
mécréant, pour t’octroyer le droit de décider de la fin d’une vie ?
Illusoire pouvoir satisfaisant une sempiternelle volonté de puissance, et
fermant ton œil vitreux à l’air compassé et effaré de celui à qui on annonça
une proche échéance à son existence. Hugo s’érigea toujours de son vivant el un
dénonciateur, un Juste méprisant la haine et l’erreur spécieuse, et c’est cette
force vive pour la notion même de justice qui le rendait propice à l’écriture,
se muant en un rhéteurs au talent inégalé et auquel même les exaltés et les
fous ne cherchent jamais à se mesurer, portant en leur cœur la pleine
conscience qu’ils ne sauraient tenir la comparaison.
Mes termes sont
encenseurs lecteur, il est vrai, mais à mon sens je ne puis laisser accroire
que des œuvres recélant une telle puissance sont monnaie courante dans la
littérature française, si prompts à s’ériger face à une souillure telle que la
peine de mort sur la joue de la justice, qui fut proche de devenir indélébile,
imputréfiable si certains penseurs ne sinuèrent parmi l’injustice pour mieux la
combattre en son for intérieur. L’œuvre qui nous occupe cependant n’est point
habitée de longs discours à la portée proche des nuées. Les propos
philosophiques nitescent, dont les interminables ramifications tendent à perdre
le commun lecteur ; or si le public se fait absent de la tribune, le
plaidoyer perd son utilité et sa force, pour ne noyer en une vaine tentative
bourbeuse, et ses sarments n’atteindront plus leur objectif d’éveil des
consciences aux trous béants laissés par la balance justicière dont se targuait
si souvent le beau pays de France. Ainsi se veut le discours de Victor Hugo,
prégnant de modernité, d’humanité et d’Humanisme, mouvement qui naquit pourtant
deux siècles avant sa propre venue au monde. Enfants de France, semble-t-il
dire, la loi du Talion ne fait plus sens. Où demeure le sens sporadique en
l’énumération de ces règles : un œil pour un œil, une vie pour une vie,
ainsi ? Invectivez plutôt chers frères, cette inéluctable habitude pour
mieux la combattre et l’abolir. Affecté, l’auteur blâme ainsi l’illogisme
sidérant d’une société qui s’avère capable de verser impunément le sang en une
vésanie inexpugnable, recréant de fait avec opiniâtreté le crime qu’elle
reproche à l’accusé, armée d’un sang-froid avilissant et ténébreux. De fait,
ses actes de violence aliénants ne pouvaient que se heurter au monolithe Hugo
qui s’érigeait pour la défense de l’humain, de la pluralité et de l’entente des
êtres entre eux. Utopie, avanceront certains de ses détracteurs, noble cause
pour ceux qui s’enorgueillissant de marcher
dans ses traces. Mais sans nul conteste, l’on peut dire que cette œuvre recèle
un propos qui sut faire écho au fil des siècles, témoignage brut dont la
précellence est laissée à l’expression singultueuse des souffrances, des
angoisses et des regrets que seuls peuvent exprimer les pauvres erres à qui
l’on a révélé l’heure et le jour de leur mort, toujours trop proche.
Qui est-elle, cette âme
en peine dont nous faisons la connaissance dans l’apologue d’Hugo sous de biens
obscurs auspices ? Son mal, ses maux adornent le récit de plaintes et de
sanglots qui viennent meurtrir nos oreilles au travers la rédaction de son
journal intime, rédigé claquemuré entre les parois squalides de sa prison, dont
le verbe de l’auteur parvient à nous faire percevoir jusqu’aux remugles et la
froideur. Se peut-il que cet homme à la tragique et inéluctable destinée,
parvenant via une infinité de pleurs à nous rendre empathiques à son désespoir,
ait réellement pu faire couler le sang ? L’incroyance du lecteur est
grande, et c’est pourtant affecté que nous comprenons que l’être, ni héros ni
incarnation du mal, a réellement tué ; ô grande déconvenue pour un humain
dont on se prend en pitié, priant de voir advenir à chaque ligne la grâce
royale en laquelle il place ses maigres mais toujours vivaces et vibrants espoirs.
Une main invisible libératrice qui n’arrive jamais, même au seuil de la
terrible invention du professeur Guillotin. L’anonymat du personnage principal,
le fait que l’on ignore tout des détails de son existence, de ses traits
physiques ou moraux, de ses tares, même de son nom, font qu’il n’est pas un
éternel héros comme l’on en retrouve toujours dans la littérature. Il incarne
la foule, la masse, mais servilement aussi la subordination du chagrin sur l’intellect
humain : les éclats dont est capable une âme pour voir sa vie se prolonger
de quelques minutes, d’infimes heures dont on pourrait encore se délecter. Du
fond de sa sentine, l’homme subodore sa misérable fin, tenant cette assertion
en horreur tout en tentant de lutter contre les prémisses de folie qui ne
manqueraient pas de l’accabler si jamais il se laissait aller à une trop
profonde introspection, à la convoitise d’une échappatoire ou d’une grâce.
Tout espoir est perdu,
pourtant son étincelle demeure incandescente dans les ruines, les survivances
de son âme décharnée par les regrets et par l’effroyable violence du jugement
des hommes. Il ne souhaite pas mourir, mais perdra la vie tout de même. Ses
proches sont déjà morts pour lui, d’une certaine manière. Sa propre fille, la
petite Marie, ne le reconnaît nullement dès lors qu’elle présente son visage
angélique et poupon devant lui. Ultime blessure qui achève de couper le
condamné du reste de l’existence et du monde. De même, les litanies
fuligineuses, mielleuses d’hypocrisie de la religion ne lui peuvent être d’aucun
secours, stigmatisant en son esprit la venue du moine dans sa cellule comme
moyen pour l’homme de clergé de se donner bonne conscience, en tentant de laver
la souillure par une fantaisiste absolution venue d’une force supérieure
fantasmée.
L’œuvre de Hugo est une
leçon, une morale, un plaidoyer, laissant à jamais dans la mémoire du lecteur
une réflexion profonde sur la notion même de mort.
Etudié en français en classe de seconde, ce livre reste pour moi un chef d'oeuvre.
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