mardi 15 mai 2012

Le Dernier Jour d'un Condamné - Victor Hugo





Mille huit cent vingt-neuf. Sous le soleil dardant ses rayons réconfortants, un éclat métallique d’une cruauté glaciale attire l’œil d’un simple badaud parisien. Le tout jeune Victor Hugo, vingt-six printemps, contemple le fil tranchant de la guillotine dansant doucement à la lumière du jour, bercée par la brise, telle une estivale valse macabre. Tout fraîchement niellés de graisse, ses joints glisseront au lendemain allégrement vers le cou d’une quantième victime, anonyme vilipendé uniment par la foule assoiffée de spectacle morbide qui s’amassera autour de cet étrange spectacle, à l’aube ou au crépuscule, plus que probablement.  Quelles seront alors les maigres survivances de la mémoire de cet être, tué dans la fange de la honte et du silence qu’il se voit imposé tandis qu’il s’apprête à embrasser sa mort ? Quelle peut dont être la genèse d’une scène barbare, qui ne devrait être que sujette au blâme et à l’abomination, alors qu’à l’inverse, la mise à mort demeure commodément admise et parfaitement ancrée en la culture française et son simulacre de justice ?
Le tout jeune écrivain déjà habité de la force créatrice et du talent sans pareil que l’on  sait de nos jours, s’offusque, l’âme envahie de récrimination pour cette pratique pour laquelle il ne parvient à souligner aucune justification, tant la prise arbitraire d’une vie par une institution supposée protéger ses citoyens le laisse marri, blessé, révolté. Et c’est ce fait inepte, inintelligible qui censément nourrira le sujet de sa prochaine œuvre, rédigée d’une encre acide, et révulsée par la colère :  Le Dernier Jour d’un Condamné. Aussi est-il abscons en ce lieu de nommer ce texte roman, nouvelle, essai… ou d’un quelconque autre terme littéraire commodément admis, nonobstant toute la force vive de cet écrit qui su jeter durablement l’opprobre sur ce qui était une institution jusqu’à notre récente loi Badinter. Plus d’un siècle il t’aura fallu patienter, Victor, mais ton véhément réquisitoire contre la condamnation à mort ne demeura point vain.
La compassion, la raison, le regard philosophique parvient à atteindre le cœur pétré de nos éminents décideurs. En es-tu satisfait, dis moi, toi qui maintenant dors de corps, et veille sur nous d’âme et de lettres ?

Car l’Autre, malgré ses brisements et ses fautes sujettes à résipiscence profonde demeure autel ; car l’alter ne devrait nullement subir le couperet déniant toute possibilité de commisération de la part d’un pair. Qui es-tu, homme ou femme, juste ou mécréant, pour t’octroyer le droit de décider de la fin d’une vie ? Illusoire pouvoir satisfaisant une sempiternelle volonté de puissance, et fermant ton œil vitreux à l’air compassé et effaré de celui à qui on annonça une proche échéance à son existence. Hugo s’érigea toujours de son vivant el un dénonciateur, un Juste méprisant la haine et l’erreur spécieuse, et c’est cette force vive pour la notion même de justice qui le rendait propice à l’écriture, se muant en un rhéteurs au talent inégalé et auquel même les exaltés et les fous ne cherchent jamais à se mesurer, portant en leur cœur la pleine conscience qu’ils ne sauraient tenir la comparaison.
Mes termes sont encenseurs lecteur, il est vrai, mais à mon sens je ne puis laisser accroire que des œuvres recélant une telle puissance sont monnaie courante dans la littérature française, si prompts à s’ériger face à une souillure telle que la peine de mort sur la joue de la justice, qui fut proche de devenir indélébile, imputréfiable si certains penseurs ne sinuèrent parmi l’injustice pour mieux la combattre en son for intérieur. L’œuvre qui nous occupe cependant n’est point habitée de longs discours à la portée proche des nuées. Les propos philosophiques nitescent, dont les interminables ramifications tendent à perdre le commun lecteur ; or si le public se fait absent de la tribune, le plaidoyer perd son utilité et sa force, pour ne noyer en une vaine tentative bourbeuse, et ses sarments n’atteindront plus leur objectif d’éveil des consciences aux trous béants laissés par la balance justicière dont se targuait si souvent le beau pays de France. Ainsi se veut le discours de Victor Hugo, prégnant de modernité, d’humanité et d’Humanisme, mouvement qui naquit pourtant deux siècles avant sa propre venue au monde. Enfants de France, semble-t-il dire, la loi du Talion ne fait plus sens. Où demeure le sens sporadique en l’énumération de ces règles : un œil pour un œil, une vie pour une vie, ainsi ? Invectivez plutôt chers frères, cette inéluctable habitude pour mieux la combattre et l’abolir. Affecté, l’auteur blâme ainsi l’illogisme sidérant d’une société qui s’avère capable de verser impunément le sang en une vésanie inexpugnable, recréant de fait avec opiniâtreté le crime qu’elle reproche à l’accusé, armée d’un sang-froid avilissant et ténébreux. De fait, ses actes de violence aliénants ne pouvaient que se heurter au monolithe Hugo qui s’érigeait pour la défense de l’humain, de la pluralité et de l’entente des êtres entre eux. Utopie, avanceront certains de ses détracteurs, noble cause pour ceux qui s’enorgueillissant  de marcher dans ses traces. Mais sans nul conteste, l’on peut dire que cette œuvre recèle un propos qui sut faire écho au fil des siècles, témoignage brut dont la précellence est laissée à l’expression singultueuse des souffrances, des angoisses et des regrets que seuls peuvent exprimer les pauvres erres à qui l’on a révélé l’heure et le jour de leur mort, toujours trop proche.

Qui est-elle, cette âme en peine dont nous faisons la connaissance dans l’apologue d’Hugo sous de biens obscurs auspices ? Son mal, ses maux adornent le récit de plaintes et de sanglots qui viennent meurtrir nos oreilles au travers la rédaction de son journal intime, rédigé claquemuré entre les parois squalides de sa prison, dont le verbe de l’auteur parvient à nous faire percevoir jusqu’aux remugles et la froideur. Se peut-il que cet homme à la tragique et inéluctable destinée, parvenant via une infinité de pleurs à nous rendre empathiques à son désespoir, ait réellement pu faire couler le sang ? L’incroyance du lecteur est grande, et c’est pourtant affecté que nous comprenons que l’être, ni héros ni incarnation du mal, a réellement tué ; ô grande déconvenue pour un humain dont on se prend en pitié, priant de voir advenir à chaque ligne la grâce royale en laquelle il place ses maigres mais toujours vivaces et vibrants espoirs. Une main invisible libératrice qui n’arrive jamais, même au seuil de la terrible invention du professeur Guillotin. L’anonymat du personnage principal, le fait que l’on ignore tout des détails de son existence, de ses traits physiques ou moraux, de ses tares, même de son nom, font qu’il n’est pas un éternel héros comme l’on en retrouve toujours dans la littérature. Il incarne la foule, la masse, mais servilement aussi la subordination du chagrin sur l’intellect humain : les éclats dont est capable une âme pour voir sa vie se prolonger de quelques minutes, d’infimes heures dont on pourrait encore se délecter. Du fond de sa sentine, l’homme subodore sa misérable fin, tenant cette assertion en horreur tout en tentant de lutter contre les prémisses de folie qui ne manqueraient pas de l’accabler si jamais il se laissait aller à une trop profonde introspection, à la convoitise d’une échappatoire ou d’une grâce.
Tout espoir est perdu, pourtant son étincelle demeure incandescente dans les ruines, les survivances de son âme décharnée par les regrets et par l’effroyable violence du jugement des hommes. Il ne souhaite pas mourir, mais perdra la vie tout de même. Ses proches sont déjà morts pour lui, d’une certaine manière. Sa propre fille, la petite Marie, ne le reconnaît nullement dès lors qu’elle présente son visage angélique et poupon devant lui. Ultime blessure qui achève de couper le condamné du reste de l’existence et du monde. De même, les litanies fuligineuses, mielleuses d’hypocrisie de la religion ne lui peuvent être d’aucun secours, stigmatisant en son esprit la venue du moine dans sa cellule comme moyen pour l’homme de clergé de se donner bonne conscience, en tentant de laver la souillure par une fantaisiste absolution venue d’une force supérieure fantasmée.
L’œuvre de Hugo est une leçon, une morale, un plaidoyer, laissant à jamais dans la mémoire du lecteur une réflexion profonde sur la notion même de mort.

1 commentaire:

  1. Etudié en français en classe de seconde, ce livre reste pour moi un chef d'oeuvre.

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