S’il était une œuvre méritant de facto une place d’honneur au cœur des Lettres du XIXème siècle, ère du romantisme enflammé et de poèmes rédigés d’une encre transie par l’amour qui découlait de la main d’un auteur, nul doute ne peut être admis quant au trône sur lequel pourrait siéger le monument Bel-Ami de Guy de Maupassant.
Maître conteur dont le verbe, la voix transcendée, parvient presque jusqu’à nos oreilles tendues, Maupassant est de prime abord évoqué du bout des lèvres, admiratives dans leur retenue zélatrice. Elles choisissent d’elles-mêmes, d’emblée d’effleurer son nom, comme celui qui a su offrir au genre de la nouvelle ses lettres de Noblesse, caractères dorés alors intimement liés à son nom. À l’évidence, se hasarder à la rédaction d’un genre si à part n’est point un possible offert à toutes les plumes vacillantes, et l’écrivain y a maintes fois prouvé, au travers la pertinence impudente dans son talent incommensurable, son sens du mot juste, et son aisance innée à parvenir (avec l’insolent brio de ceux qui ont été touché par un don) de transcender la petite histoire. Le récit, ce texte court que les voix chevrotantes de ces puits de sagesse au regard attendri que sont nos grands-parents prennent un plaisir manifeste à conter, avec la lenteur voulue et minutieusement calculée provoquant l’impatience, l’Attente.
Maupassant réalise par la suite un coup de maître de transposer au fil des termes les vibrations palpables, nécessaires à ces courts récits dans son roman Bel-Ami, œuvre que je choisirai aujourd’hui d’appréhender, et ce en m’interdisant toute, même la plus infime, évocation de la sphère journalistique qui offrit à l’arrivisme fait homme l’opportunité inopiné de réaliser sa fulgurante aussi bien qu’infamante ascension sociale, au nez et à la barbe de toute probité, tout honneur ; le linéament même du respect se voyant malmené, « plus foulé du pied qu’un caillou » pour reprendre son immense contemporain, Victor Hugo.
Je commencerai mon propos par une métaphore, touchant le charismatique personnage de Georges Duroy. À mes yeux, à chaque fois que je le suivais dans ses pérégrinations solitaires, il revêtait la peau et la démarche silencieuse, toute en retenue brûlante, d’un fauve étrange qui se voit à l’aise, courant les rues aux pavés sonores de Paris sur lequel rejaillissent la flamme vacillante des lampadaires à l’électricité balbutiante. L’œil en feu, roulant sans cesse aux aguets, Duroy cherche la réussite, traque l’opportunité. Pour se faire, il n’hésite point à profiter de la bonhomie de Forestier, que le hasard place sur sa route en une caniculaire nuit d’été, où l’atmosphère ne veut pesante, suffocante, presque annonciatrice ; comme une Pythie du malheur à venir pour les êtres bigarrés qui croiseront par la suite du récit le chemin de l’arrivisme fait humain. Duroy, encore béjaune à la moustache bien recourbée, ne se doute nullement qu’il venait de plonger sa poigne entière au sein d’un engrenage parfaitement graissé, et qui s’entrechoquera sans fracas jusqu’à mener l’antihéros aux Olympes, les hauteurs d’une société qu’il méprise, l’aisance qu’il brigue avec une ardeur tenant en tout point à une suave folie de l’élévation contre la main du destin qui semblait l’avoir profondément malmené depuis ses premiers vagissements. Moqueur, que le destin au cœur de ces pages ! À ceux qui avaient la candeur d’imaginer le Sort dispensateur de grâces et autres actions de générosités, Maupassant biffe ces concepts cacochymes et laisse couler de sa plume une encre empreinte d’un cynisme rare, la providence crée un être habité par la convoitise et rongé par la volupté, la concupiscence. Se détournant vite de l’empire de la masculinité pour parvenir à mener à bien ses basses besognes qui l’érigeront pourtant au sommet, quoi de mieux que la féminité ? Encore aisément considéré en plein XIXème siècle comme le « sexe faible », Maupassant le fait parfaitement entendre à son pantin Duroy, et c’est par le sentiment qu’il mènera sa quête d’aisance tout autant que de prestige à bien, de par une insolence de l’avenir ; couvant de son regard omniscient le Mal incarné. Serait-il lassé de disséminer le Bien et de ce fait, décida-t-il de faire germer les graines délabrées de la mauvaiseté ? La réponse peut apparaître impunément affirmative.
Duroy est rusé, chafouin et ne manque nullement d’astuce. Aussi lorsqu’il voit s’ouvrir les portes d’un emploi grassement rémunéré pour rédiger des articles couchés sur le papier par une plume autre que la sienne, le jeune pédant s’engouffre dans la brèche et avec une patience impressionnante, l’odieux personnage va se construire roche après roche, une façade de fierté qui l’amènera à devenir parfaitement imbu de sa petite personne. Et cela au même instant où, sous les caresses et regards langoureux de la gent féminine, il prend pleine conscience de ses qualités physiques. Fort amusé par ces détours scrupuleux dans sa narration, Maupassant s’attache à nous décrire, usant d’une minutie stupéfiante, ce que je qualifierais de complète métamorphose de son personnage. Là où les premières pages de l’œuvre nous présentent un Georges Duroy gris, sans le sou, et envieux agressif des classes bourgeoises qui semblent le toiser à chacun de ses pas, le lecteur quitte à la fin du roman Georges Du Roy de Cantel, décoré par le ruban écarlate de la Légion d’Honneur (récemment créée) et époux d’un des meilleurs partis de France. Devenu envieux des suites d’assister à l’étalage impudent de la richesse insolente de ses nouvelles fréquentations, de l’attitude dispendieuse des femmes, Duroy s’avère également témoin de la réussite flagrante de son patron, M. Walter. La somptueuse fête donnée à son domicile, digne de l’étalage du triste Nicolas Fouquet, est la goutte qui fait déborder le vase de l’arrivisme de notre héros. Plus que jamais, il désir tout, tout de suite, mais sans jamais se départir de sa circonspection savamment calculée et admirablement maîtrisée. Car s’il est une qualité que l’on peut reconnaître au personnage principal c’est que, n’en déplaise à nos amis Freudiens, le coquin est parfaitement maître en sa propre maison.
Or, à force de les fréquenter et de constater leur omniprésence dans le quotidien et la prise de décision de ses collègues et amis (si tant est qu’il les ai jamais considérés de la sorte), Duroy entend assez vite que ce ne sont point les hommes puissants qui énoncent les règles du jeu, mais bien leurs femmes. Frisant alors ses moustaches, une expression de pleine satisfaction peinte sur ses traits, Georges se lance sous les yeux du lecteur dans un véritable ballet de séduction, au cours duquel il croisera et apprendra à connaître plusieurs types de femmes. Pour mener à bien mon propos, je n’en retiendrai que trois, qui figurent à mon sens les extrêmes, les faiblesses et les contradictions de cette fin de XIXème siècle enclin au changement, à l’évolution inéluctable. Clotilde de Marelle, la soumise ; Madeleine Forestier, la fière ; Virginie Walter, la transie. Trois caractères importants de dépeindre, pour comprendre comment Duroy a pu les exploiter chacune à leur tour. J’espère que vous ne me tiendrez point rigueur d’écarter volontairement le personnage fade de la petite Suzanne qui n’est pour moi que l’aboutissement du machiavélisme génial de Duroy.
Toutes victimes de son verbe acéré, de son regard profond et affable, elles se laissent prendre au jeu, se faisant chérir et cajoler à l’excès. Notre héros sait parler sans ambages, sans s’égarer dans des agiotages qui pourraient lui faire perdre son emprise sur la femme lorsqu’il se lance dans ce jeu de séduction malsain, où le mensonge et l’hypocrisie se disputent la mainmise sur le discours de Georges. L’éducation étouffante que recevaient encore les femmes de cette époque n’aident point à discerner ces défauts pourtant évidents, et seule l’une d’entre elles saura se défaire de son influence, se jouer de sa fausse aménité : Madeleine. Prenant amant, s’amusant parfois à « jouer l’homme » et se drapant dans une contenance qui force le respect lorsqu’elle est surprise en plein adultère, elle assume pourtant jusqu’à la fin son choix d’avoir choisi l’indépendance intellectuelle tout autant que financière, et de s’être moqué de Duroy entre-temps devenu son mari ; un fourbe qui n’aura pas hésité un seul instant à la tromper et lui voler en toute impunité une partie de son héritage.
Malheureusement, là où une morale est toujours énoncée à la fin d’une nouvelle, ici le Mal triomphe. En grande pompe, quand Georges marié à la jeune et innocente Suzanne Walter, lui donne accès à une richesse incommensurable et un titre de noblesse inespéré. Jusqu’aux dernières lignes, on se place dans l’expectative d’une chute. On attend de Mme. Walter qu’elle se lève telle une furie blessée dans son amour propre, et que dans un hurlement, elle révèle toute la supercherie, la tromperie, au moment des noces de sa fille. Espoir déchu, elle restera murée dans son silence, comme étouffée par ses larmes de femme abandonnée par son amour. Toujours, ce maudit carcan social.
Je commence IN MEDIAS RES, haha :D
RépondreSupprimerBon, plus sérieusement, nous allons fêter ensemble ton premier commentaire. Et c’est un honneur que d’être celui qui le poste.
J’ai quelques petites questions à te poser sur ton blog, et quelques petites critiques ( à prendre ou à laisser, rien de bien méchant).
Tout d’abord, j’aimerais savoir qu’elle est le but de ton blog, c’est à dire c’est un blog de critique littéraire, cela je l’ai bien compris, mais c’est un blog pour donner un avis afin que les lecteurs puissent se dire « Ca me donne envie de le lire ! Je vais l’acheter tout de suite» / « et bien ce livre à l’air vraiment horrible ! Je ne l'achèterais surement pas».
Ou alors, secondement, c’est un blog personnel qui ne demande pas vraiment de lecteurs ( mais bon ce serait hypocrite de le voir ainsi puisque c’est publié sur internet, donc avec le désir d’être lu ? )
Voila pour cela j’attends ta réponse. :)
Je vais passer aux quelques critiques qui ont pu germer dans ma tête en te lisant. ( C’est surement un tic que j’ai avec mes études :D ).
Le terme Littérature n’existait pas avant le XIXe siècle ( avant en fait pour être plus précis la Révolution française donc fin XVIII) on utilisait le terme de Belles Lettres, et je pense que ta manière d’écrire et le public ciblé ( voulu ou non ) se rapprochent plus des Belles Lettres ( et ce n’est pas un compliment), c’est à dire d’une écriture pour une caste précise, c'est-à-dire une sorte d'aristocratie littéraire, et toute personne n’ayant pas un niveau d’étude supérieure se voit refuser l’entrer à la compréhension à tes écrits.
L'inconvénient est que ton style d’écriture est bien trop lourd pour qu’un lecteur lambda puisse arriver à apprécier ta critique et à la comprendre. C’est dommage puisqu’au fond ce que tu écris n’est pas bête, au contraire. Mais on est vite découragé et on ne veut plus continuer notre lecture.
Tu fais une critique littéraire, n’est-ce pas ? Le critique se doit par de simples mots, d’être compréhensible par toute personne désirant avoir un avis sur une oeuvre qui est elle simple ou complexe. Tu ne remplis pas vraiment ce critère. Et il serait dommage de donner raison à Sartre sur sa critique du critique ou il disait à peu près que l’écrivain c’est un créateur et le critique est un parasite qui vit de la créativité des autres et qui profite de sa propre impuissance pour se juger plus intelligent de ce dont on parle. Mais aussi que l’écrivain il participe à la transformation collective du monde, le critique, lui, ne participe qu’à détisser le monde et à ne renvoyer la littérature qu’à elle-même. Je ne suis bien sûr pas d’accord en soit avec Sartre, mais ta manière d’écrire, d’utiliser par exemple «intrinsèquement» dans quatre de tes billets ( sur cinq ) ça fait un peu inutile, pourquoi ne pas utiliser « au plus profond» «inné» qui ne sont certes pas aussi soutenus, mais qui font passer le même message. S’exprimer avec des mots simples et une syntaxe simple c’est une qualité importante, tu ne penses pas ? Surtout pour une étudiante en journalisme. En fait le problème c’est que la forme a pris le pas sur le fond.
J’attends ta réponse avec impatience, bisous.
Florian.
Owi, festoyons de concert en ce jour de grâce \o/
RépondreSupprimerMais pardon, je m’emballe ! Déjà, merci pour ton commentaire et pour le temps que tu as pris pour le rédiger. La critique est toujours importante et surtout intéressante à partir du moment où elle est constructive, aussi suis-je ravie de te lire !
Pour te répondre, le blog n’est pas vraiment de la critique pure et simple. Je crois d’ailleurs, si on relit tous les billets, que le véritable article pouvant s’apparenter à une critique serait celui sur Tesson. Pour le reste, voici comment je fonctionne après une lecture, peut-être que cette explication t’éclairera sur ma manière de procéder : lorsque je lis un bouquin, je glisse presque toujours une feuille pliée à l’intérieur pour pouvoir écrire à chaud mes impressions, questions, incompréhensions ; souvent aussi pour relever du vocabulaire et des citations. Puis, une fois l’œuvre achevée, je couche mes sentiments sur le livre. C’est majoritairement à partir de ces notes que je rédige les articles ! Donc en un sens oui, tu as raison, j’espère que mon opinion sur telle ou telle œuvre donnera envie, ou non, au lecteur qui passe par là de se plonger dans un des livres traités sur cette page (si on peut utiliser ce terme). Je ne fais pas seulement de la critique, ni juste émettre une opinion, c’est une sorte de mélange, pour le moment trop brouillon à mon goût :-/ Il garde encore un côté « fourre-tout » qui j’espère avec le temps, finira par s’amenuiser !
Le blog n’est pas personnel tu l’auras compris, sinon je ne posterais pas le lien régulièrement sur mon profil FB !
Pour le reste, je crois qu’on en avait discuté, et je t’avais fait part de mon admiration pour les Belles-Lettres, pour reprendre tes termes. Même si cela peut paraître profondément inutile, j’ai toujours eu envie de construire mon style d’écriture sur ce modèle, enrichir d’autant plus mon vocabulaire, prendre du plaisir à rencontrer des mots et les réutiliser alors qu’ils pourraient apparaître aujourd’hui comme terriblement surannés. Mais je ressens un penchant pour ce côté un peu « désuet » qui à mon sens, revêt un certain charme. Tu sais, c’est comme lorsqu’on découvre de vieux jouets ayant appartenu à ses grands-parents, on ressent une émotion de se dire que l’artefact appartient à une période révolue, qui n’aurait plus sa place dans notre époque. Mais en même temps, pourquoi ne pas essayer de leur donner un second souffle ? Je pense que ce qui appartient au passé ne doit pas forcément être enterré avec lui.
Là où je ne suis pas d’accord avec toi, c’est que tu sembles insinuer que j’utilise ce vocabulaire pour dans un sens « écrémer » le lectorat, alors que ce n’est nullement mon intention (ou alors je t’ai mal compris, et en ce cas tu voudras bien ne pas m’en tenir rigueur !). Eliminer d’emblée des gens reviendrait un peu à me tirer une balle dans le pied, tu ne crois pas ? Si j’avais voulu garder le blog pour une « caste » de lecteurs précis, je serais allée poster le lien sur des forums donnés d’amateurs de ce style et d’une littérature bien précise, or je le partage presque uniquement sur FB pour le moment.
Il me reste à espérer que tous les lecteurs ne se sentiront pas « découragés » comme ce fut ton cas, mais il faut voir la chose sous un autre angle : certains termes peuvent paraître abscons, mais peut-être que la personne ira vérifier la signification et ainsi enrichi son vocabulaire. C’est plutôt plaisant, non ? Ta citation de Sartre ne fait donc pas sens dans ce cas précis, puisque comme je le disais, je ne considère pas faire de la critique littéraire bête et méchante. (Après, demeure toujours l’éternel débat sur le fait de critiquer –qui es-tu pour dire cela-sur quoi te bases-tu pour avancer tel ou tel argument ? je n’en suis pas encore à ce stade). C’est pourquoi j’essaie de mettre au maximum l’accent sur la notion de ressenti dans mes articles !
Hum, voilà, je pense avoir répondu à tes interrogations… ? Surtout n’hésite pas si tu as d’autres remarques/questions/critiques, elles sont évidemment les bienvenues :)
…
Pavé, césar ! :-P
(zut, pas plus de 4096 caractères... J'ai dû faire des coupes !)
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