jeudi 5 juillet 2012

Pause estivale !



Chers amis lecteurs et lectrices, je vous quitte avec ces mots pour un petit mois !
Quand bien même l'image illustrant cet article donne à rêver et invite l'imagination au vagabondage, la météo actuelle est loin de m'appeler sur les plages de France, mais sait-on jamais ? J'espère pouvoir profiter de mon mois de Juillet...

Je vous dis à très bientôt sur Deslectures !

mardi 26 juin 2012

Guy de Maupassant - Une Vie





Jeanne, ma pauvre et délicate Jeanne, comment saurais-tu les plaintes que j’ai pu soupirer, pousser à ton égard ! Eplorée, rompue de chagrin et de trahisons toutes plus dignes d’abominations les unes que les autres, obtenant un mari trompeur et un fils dilapidateur comme accessit envers ta pureté d’âme et ya noblesse de cœur !
Jeanne, ma pauvre et attendrissante Jeanne, comment seulement fut-il possible que tu ne sois point parvenue à susciter l’amour, tes qualités d’altruisme et d’abnégation ne pouvaient pourtant qu’engendrer la plus inaltérée des sympathies ; et pourtant cette vie ne fut qu’une effroyable succession de cauchemars auquel il est difficile de porter créance tant leur horreur semble prompt à dépasser l’entendement même.

C’est toi, vertueuse et probe dame, qui domine l’entièreté de l’œuvre de Guy de Maupassant (né en mille huit cent cinquante et mort en mille huit cent quatre-vingt-treize), opus dont le plus probable processus créatif vit le jour à la manière des fleurs printanières de cette saison de mille huit cent soixante-dix-huit, une genèse couplée à une maturation lente et accaparante, à la création presque douloureuse tant elle fut gourmande en heures, jours, mois fuyants… !
Face à ton monisme Jeanne, personnage principal dont le rayonnement paraît effacer tout autre personnage gravitant autour de ta personne, s’offre au lecteur la dualité dispensatrice de sentiments, nous levant le voile de tes attentes qui se pareront du châle triste et morne des désillusions, grandissantes en même temps que ton âge. L’auteur naturaliste nous offre la possibilité de suivre ton pas aérien et hésitant, observer ta lente évolution, tout comme brosser un gracile et mouvant portrait physique comme psychologique, se glisser impudiquement en tes pensées les plus intimes ; et découvrir peut-être, ta maladive passivité face aux affres du temps et du destin qui semble s’être attitré comme ton persécuteur personnel.
Nous te découvrons, toi et les effluves de ton existence, dans cette œuvre courte, mais à l’intensité débordant du méprisable cadre d’une simple page limitant le texte, mais nullement son ampleur et son intensité dramatique. Une vie, s’intitule le récit de ton passage sur cette terre.
Et pourtant, paradoxe propre au désappointement du lecteur distrait s’apprêtant à insuffler un peu de sa personne en ton existence tourmentée, le titre de l’œuvre ne te rend nullement hommage, face à ton indéniable hégémonie ; l’intitulé se veut comme une dissolution de cette domination en posant volontairement une détérioration de l’idée même d’unicité en usant de l’article indéfini « une », occultant peut-être la personnalisation de l’opus qu’on tient entre nos mains. Le titre s’enclave ainsi dans la généralité, étayant peut-être par là l’idée mûrissant en l’esprit de l’auteur telle que ta vie, Jeanne, pourrait se réclamer de n’importe quelle femme de ton époque. Mais que d’égarements de ma part ! Il n’est pas nécessaire d’un titre davantage révélateur quant aux mots que l’on nous proposera à lire, n’est-ce pas ?
L’essaim de tes malheurs, tels les mouches fléau d’Egypte, souventes fois j’ai voulu le disperser du dos de ma main, tant de fois j’ai voulu écarter de mes frêles paumes l’étau qui semblait t’enclaver dans le malheur, mais que pouvais-je, pauvre impuissante, face à ton caractère propre à la soumission, enténébrant toujours plus tes perspectives d’avenir, t’occultant l’empyrée que peut représenter un bonheur conjugal et maternel ; toujours tu te vois affranchie de tes droits de réactivité, subissant les tourments de ton entourage nauséabond ou tout aussi passif que toi. Tant et si bien que tu me fis parfois songer à l’engeance légendaire de Gustave Flaubert, contemporain de l’homme de Lettres qui te créa, Emma Bovary. L’extrace n’est pas hasardeuse, les deux écrivains se connaissaient fort bien et se fréquentaient régulièrement, jusqu’à ce que les tourments de la folie ne finissent pas emporter prématurément Maupassant, finissant pauvre fou écarté du reste du monde rebuté à l’idée de contempler l’image repoussante de la folie propre à nous renvoyer à nos propres tourments intérieurs. Les aliénés voient et perçoivent ce que les sains d’esprits ne sauraient même imaginer, aussi faut-il les occulter, à défaut de pouvoir les montrer, comme on le fait des monstres.

Extravagance de la plume d’un auteur souffrant déjà des prémisses de sa lente déréliction provoquée par la syphilis, mal de ce siècle, le titre ne devient édifiant qu’uniquement à la lumière obscure des différentes et nombreuses apparitions de la mort au fil tumultueux du récit. C’est en effet le cadre mortuaire qui se fait géniteur des différents évènements ponctuant ta vie, ma pauvre Jeanne, et la main noire de la mort vient chercher son dû, grever ton existence à l’envie, selon ses caprices et ses foucades comme seules les possèdent les entités immanentes, ineffables et inatteignables. Son sort fuligineux suit si bien son cours que, peu à peu, tu assistes pauvrette à un lent, interminable, et irrévocable dépeuplement de ton petit univers. Ta solitude à venir, tu le sens très rapidement, est inéluctable, et par tes sanglots silencieux, tu sais te préparer au mieux à un avenir morne et empreint de solitude. Impunément, parfois inique, elle frappe sous le couvert de plusieurs masque, plusieurs visages mais toujours aux traits déformés et grimaçants d’horreur. Elle se mue comme naturelle, accidentelle, criminelle, douce, violente, heurtant de son arrivée toujours intempestive les hommes et les bêtes ; révélant une fascination morbide et presque hypnotique du romancier pour cette thématique ; comme envahis par sa face. Ultime insanité à tes yeux, Jeanne, les décès se voient présentés en rapport étroit avec ta personne et ton chemin, pourtant seule, tu survis toujours, plutôt cependant que de vivre, car les bonheurs sont le sel nourricier d’une existence, et l’impudeur de ton mari comme ta timidité maladive t’en ont privée depuis tant de temps… !
Toutes ces tragiques et indénombrables disparitions entrent en une réelle et palpable contradiction avec le titre de l’œuvre voulu par Guy de Maupassant ; les personnages languides et empreints de stupre cherchant à vivre pleinement se voient tous, nul exception autorisée, frappés d’une mort violente qui se veut le reflet de leurs vies ou de leurs vices, tandis que ma pauvre Jeanne, toi qui renia la Vie même lors de ta découverte de l’odieux adultère de ton époux, te retrouve en une solitude complète à errer sur une Terre de larmes, endurant ton sort qui n’aurait nulle chose à envier aux départs successifs des êtres constituant ton entourage, s’amenuisant comme peau de chagrin, et prisonnière de sa douleur qu’elle peine à extérioriser si ce n’est sur le giron de sa bonne Rosalie ; bien que Thanatos lui fit don du médiocre honneur de ne point assister à aucune des morts qui viendront frapper son quotidien, si ce n’est celle d’une chienne errante cachée sur ses terres. Comme si, pauvre femme, tu grandissais en force ou en froideur, les morts se succédant à un rythme infernal finissent par peu à peu se défaire de l’encombrant manteau du chagrin, perdant de leur importance à mesure que tu prends de l’âge et que ton cœur se change en pierre glacée, marri de trop de souffrances, assénées trop vite et sans trêve aucune. Ce n’est d’ailleurs nullement anodin si, aux alentours de la fin de l’œuvre, Guy de Maupassant choisit d’user du terme d’ »engourdissement » pour caractériser ta peine. Ta mansuétude aura probablement contribué à te changer en une véritable personnification de la froideur face aux coups incessants du destin s’acharnant sur ta gracile personne.
 Mais le matois désespoir aura cependant raison de ta froideur, l’espace vide, le gouffre sans fond remplaçant peu à peu tes proches, ceux que tu as jamais aimé, achève de te retirer toute volonté de vivre, harassée par tes déconvenues, tes mécomptes, et l’avilissement de ton visage marchant de pair avec une vieillesse de corps et d’esprit arrivée prématurément, comme forcée par les épreuves que tu as du affronter en moins d’une cinquantaine d’année.
Ainsi Jeanne, tu sembles apparaître comme la seule, et pauvre survivante, te dressant au milieu d’un monde appelé à ne connaître que les tumultes et les hontes de l’échec, habité uniquement par les fantômes évanescents du passé, rendant ton semblant d’existence toujours plus absurde et amer à tes yeux.

samedi 16 juin 2012

Thomas More - L'Utopie





« Avancer que la misère publique est la meilleure sauvegarde de la monarchie, c’est avancer une erreur grossière et évidente »

Il est des hommes qui, face au vacarme environnant et à l’apparence suintant l’hypocrisie et la fausseté des cours fastueuses et rutilantes, préfèrent la candeur voluptueuse et sereine d’une maison familiale, reculée en des cadres sylvains tout autant que chatoyants. Des havres de paix qui se font toujours davantage rares en nos époques troublées, et dont la cherté s’en trouve ainsi décuplée.
L’illustre écrivain et penseur anglais Thomas More (né en mille quatre cent soixante-dix-huit et mort en mille cinq cent trente-cinq), cette figure au génie incommensurable que certains admirateurs tendent parfois, dans l’exaltation de leur admiration, à déifier, faisait partis de ces amoureux du calme, de Mère Nature semblant retenir pudiquement son souffle tandis que l’acier à l’éclat glacé de sa plume se mettait à se tremper dans l’encre noire. En l’imagination populaire, il demeure une figure des plus emblématiques du mouvement de la Renaissance Anglaise. Cependant, jouet du destin comme chaque pantin perdu en ce monde, l’influent et omnipotent Henry VIII décidera que, de sa poigne de fer, il modèlera son avenir, en mandant sa présence et l’appelant à ses côtés ; sachant ô combien les doctes et avisés conseils du modeste mais nitescent avocat pourraient l’aider et le guider dans son entreprise à diriger le pays. Cependant, force est de constater que le souverain ne fut nullement apte à connaître le cœur de l’homme qui l’avisait de ses précieuses opinions, disséminées au long des quelques rares audiences que daignaient lui accorder son Altesse. Les places représentant pour l’époque un honneur dithyrambique, propres à faire divaguer la plus probe des raisons, n’intéressaient guère More. Qu’était pour l’homme de Pensée un statut de Grand Chancelier, plus haute distinction tout autant que charge du royaume, pour l’humain qui n’aspirait qu’à la réflexion et à la tranquillité de sa retraite en les vertes campagnes britanniques ? Dédaignant la labile et chancelante ivresse du pouvoir, mais en oubliant toute forme de circonspection, Thomas More ne vacilla pas un instant lorsqu’il dût révéler débonnairement au Monarque qu’il préférait la rémanence de ses convictions personnelles, sa fidélité en sa foi catholique étant l’ultime goutte d’eau qui fit déborder le vase déjà emplis à ras-bord d’Henry VIII. Le dernier baiser que connu More fut celui de l’acier sur sa nuque.
Survient l’année mille cinq cent trente, le temps de ce que la postérité conservera comme la « Grande Affaire » du roi souhaitant se défaire tel un manteau devenu encombrant et peu seyant de sa première épouse, Catherine d’Aragon. Une rupture des nœuds sacrés qui se voit bien évidemment rejetée avec force mais désappointement par le Saint Siège, amenant à la création de l’Eglise Anglicane. Henry VIII se mue, non plus en simple monarque, mais s’attribue les titres de « Supreme Head of the Church of England » malgré les doléances de son entourage politique. L’acte de séparation, à même de dissoudre l’ancienne suprématie de l’église Catholique sur l’Angleterre et octroyer des droits divins au roi, devant être signé par tout haut dignitaire, Thomas More ne devait nullement échapper à la règle. Pourtant, signifiant son refus de se soumettre à une substitution humaine du Divin en la personne de son souverain en démissionnant de ses fonctions, et ce malgré sa déférence pour son roi, More s’éloigne sensiblement du pouvoir, et meurt finalement sur l’échafaud, exécuté sur ordre de celui qui, parfois, se laissait aller à la suave familiarité de voir en lui un ami proche et digne de la plus profonde des confiances.

« La dignité royale ne consiste pas à régner sur des mendiants, mais sur des hommes riches et heureux »

Deux années de réflexion sous l’égide de la thématique de la sapience lui furent nécessaire à la rédaction de L’Utopie, entre les ans mille cinq cent quatorze et mille cinq cent seize. En ce temps exempt de toute relation avec les sphères royales, l’homme exerce la fonction de diplomate, travaillant à étayer et enrichir ses connaissances sur les vastes et différentes politiques que l’on puis rencontrer en Europe. C’est alors que son fidèle ami, Erasme de Rotterdam qui à l’époque venait de publier un édifiant et retentissant pamphlet, Eloge de la Folie (dont je vous ai livré une petite analyse quelques semaines plus tôt) lui lance l’amical défi de rédiger un encensement, un dithyrambe de la Sagesse, comme une réponse à son propre ouvrage. Or, animé de passions et de doutes les plus effroyables quant à l’avenir de son pays et sa révolte face aux injustices inhérentes à un système monarchique, l’homme de Lettre se plaît à se placer sous la férule de ses certitudes philosophiques et profondément humanistes, aussi le projet initial proposé par Erasme se mue en un travail sensiblement différent ; les thèmes fluctuent, ardument saisissables, entre l’observation satirique et l’analyse allégorique. Accordant une place prépondérante à l’échange propre à la pratique du dialogue dans le premier livre constituant son ouvrage final, les deux protagonistes s’avèrent être l’éditeur Pierre Gilles et un avatar de More lui-même : Raphaël Hythlodée, et le lecteur se voit offert la possibilité de suivre leur sage dispute relative aux fallacieux espoirs encore périlleusement trouvables en la Monarchie et aux fuligineux dysfonctionnements d’une société soumise docilement à une telle forme d’exercice du pouvoir ; la vassalité n’étant glanée que par le recours à la répression et au règne de la peur.
Si l’on suit la foultitude de raisonnements de Thomas More, la cause des révoltes populaires ne peuvent être que décelées en les racines empoisonnées des inégalités sociales, qui elles-mêmes puisent leurs néfastes sève en la tyrannie d’un roi incapable de gérance d’un royaume, par la même se voyant dépossédé par ses propres soins de toute « dignité royale » (selon les propres termes de More) qui ne devrait résider qu’en la protection des plus faibles par l’œil couvant et chaleureux de ceux qui ont l’honneur et la pesante charge du pouvoir. Sans feintise, pleinement conscient de l’inexistence, tout du moins en son époque et en le monde alors connu, d’une société juste, pourquoi ne point s’atteler à la bâtir par la force de la seule imagination ? Le personnage de Raphaël Hythlodée narre alors, avec un foisonnement rare de détails, son voyage d’une durée de cinq ans en le pays d’Utopie.  Néologisme issu d’une synthèse des termes grecs ou-topos signifiant littéralement « nulle part » et eu-topos énonçant les notions de « lieu de bonheur », More était-il seulement habité de la conscience que ce nouveau mot finirait par se voir approprié par la postérité en passant dans le langage courant ? À l’image de sa chère nation, Utopie est une île, mais les comparaisons ne peuvent s’étendre davantage, More voulant et pensant son ouvrage à la manière d’une antithèse de l’hideur dans laquelle la société anglaise se trouvait plongée ; or, son portrait se voulant si rebutant et blâmable qu’il ne pouvait censément espérer que, à la lecture de son pamphlet, Henry VIII se muerait subitement en un roi idéal et soucieux du petit peuple. Pourtant il fut empli de cet espoir, de cette folie s’accorderont quelques voix pessimistes. Pourtant, le succès de l’œuvre n’en demeura pas moins retentissant. Communautarisme, abolition des privilèges, propriété collective, absence de toute forme de monnaie ; les termes tous mêlés en une seule et même politique peuvent paraître parfaite insanité, seulement les motivations intimes de Thomas More demeurent éternellement le souci du bonheur, l’abrogation de l’injuste, du chagrin et de l’iniquité qui, ces qualités conglobées, devraient se dissiper d’elles-mêmes et laisser leur place au bonheur et à la notion de partage faite Reine.
Par son impétueux désir de justice, sa soif de raison et son profond dégoût du lucre, Thomas More inspira nombre d’auteurs qui partageaient avec l’écrivain anglais ce désir d’une société idéale, sinon meilleure. Ainsi les deux géants épicuriens Gargantua et Pantagruel, sortis tout droit de l’imagination bouillonnante, foisonnante de l’Humaniste français François Rabelais, passeront au cours de leurs voyages en l’île d’Utopie. Quant au personnage de Candide dépeint par Voltaire, anglophile assumé et reconnu, il contemplera de ses yeux le pays d’El Dorado, terre d’union, de pacifisme et de bonne intelligence où chaque citoyen compte autant qu’un de ses semblables. Quant aux auteurs Jonathan Swift (Gulliver’s Travels) et George Orwell (Animal Farm, 1984), ils feront perdurer en leurs Lettres cette tradition britannique de la satire se voulant dénonciatrice d’un état de fait baignant dans les turpitudes et l’ignominie de l’injustice.

mardi 12 juin 2012

Achats pour l'été






En ce début de semaine, la course des aiguilles m’a parue comme affolée, insaisissable. Moi qui m’enorgueillis souvent, affichant un port de tête fort haut, que je sais parfaitement gérer mon temps, voilà un doigt railleur pointé sur mon visage.
Oui, en ce début de semaine, j’ai manqué d’organisation, la volonté peut-être aussi, s’est faite fugace, vaporeuse. De ce fait, je n’ai su saisir la plume, m’interroger sur la prochaine œuvre sur laquelle pourrait porter mon prochain article.
Seulement, je me suis engagée auprès de vous, lecteurs, à fournir un article par semaine.
Aussi, car je ne supporte rien moins que manquer à mes engagements, je vais réaliser ce que la blogosphère beauté-mode-féminine qualifie de « haul ». C'est-à-dire, une revue des derniers achats réalisés (compulsivité toute capitaliste, certes, ou alors l’appel mesquin de la carte bleue soigneusement dérobée à notre regard au fond du porte-monnaie de sorte à ne pas céder à la tentation de la dépense).

Toujours est-il que, en fin de semaine dernière, mes pas m’amenèrent à passer près de la grande Fnac du CNIT, situé sur le parvis de La Défense.
Et puis, j’ai ouï dire par quelque douteux météorologue que l’été arrivait dans une maigre dizaine de jours, aussi me suis-je pliée à la tradition de la lecture de plage. Après un rapide passage en caisse, voici donc le résultat des courses (au sens propre, ce coup-ci !)

Abbé Prévost, Histoire du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut, 313 pages

Un classique que je n’avais pas encore eu l’occasion de parcourir. Il est, ce me semble, souvent au programme des licences en Lettres Modernes… Réparons donc cette erreur !

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique tomes I et II, 598 et 455 pages

Ou il est plus que temps pour moi d’aller consulter un ophtalmologiste, ou la Fnac ne proposait pas l’œuvre regroupée en un seul et unique tome… Est-ce une manière de pousser à la consommation ? Peut-être cependant cette césure dans l’œuvre peut recéler un intérêt. Donc, à voir…

Madame de Lafayette, Histoire de la Princesse de Montpensier, 122 pages

Une obligation, presque un devoir, j’avais parcouru il y a quelques mois La Princesse de Clèves, mais sans pour autant éprouver un véritable besoin de me renseigner quant au reste de l’œuvre de cette écrivaine. Et puis, en passant devant son nom, me suis-je laissée tenter.

Pierre Corneille, Horace, 139 pages

Mes années de collège de quatrième et troisième auront été littéralement bercées par les œuvres théâtrales produites durant l’ère du classicisme. Je ne crois pas me fourvoyer en disant que je dus en lire une bonne vingtaine en l’espace de deux années scolaire (autant exigées par mes professeurs que par goût personnel). Mais pourtant, grand mystère que je m’astreins en ce moment même à résoudre, celle-ci semble être passée entre les mailles du filet.

Aristote, Ethique à Nicomaque, 550 pages

Un peu de philosophie ne fait jamais de mal, non ? Quand bien même mes connaissances dans le domaine se sont réduites comme peau de chagrin depuis que j’ai cessé d’étudier cette matière. C'est-à-dire, quatre ans déjà. Fichtre…

Léon Tolstoï, Anna Karénine, 858 pages

Un classique, encore une fois. J’espère l’avoir terminé avant que ne sorte au cinéma l’adaptation que je sens déjà désastreuse par Joe Wright, avec en tête d’affiche la très famélique Keira Knightley….

Walter Scott, Ivanhoé, 711 pages

Je reste surprise de n’avoir par eu à l’étudier durant mes trois années de licence d’anglais. Je vais donc m’y atteler toute seule.

Léon Tolstoï, La Guerre et la Paix tome I, 982 pages

Oui je sais, la logique aurait voulu que je reparte avec le deuxième tome clôturant cette saga, mais ma menue monnaie et mes bras maigrichons en ont décidé autrement.

George R.R. Martin, Le Trône de Fer intégrale 4, 891 pages

Il fallait bien un peu de roman de gare dans cette liste ! Si vous n’avez encore pas eu l’occasion de jeter un œil à la série, je vous la recommande chaudement. J’espère que vous n’êtes pas hermétique au genre dit de « medieval fantasy ».

Promis, la semaine prochaine, je publierai un article digne de ce nom !

mardi 5 juin 2012

Robert Louis Stevenson - L'Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde





Il est des nuits qui peuvent se révéler fructueuses, propres au frémissement d’un imaginaire n’accordant qu’une maigre place aux effrois et aux glaces de l’angoisse qui nous saisit au col, et ce même au plus profond de la nuit ; peut-être est-ce là la véritable utilité de ces cauchemars étouffants, un pouvoir dont Morphée doit probablement s’enorgueillir alors qu’il étaye patiemment sa domination sur nos corps alanguis, emprisonnés dans l’effroi d’un mauvais rêve. Crainte antédiluvienne de passer une soirée aux prises avec ces plus intimes fantômes, mais ces ectoplasmes parfois, nourrissent les plumes tandis qu’ils espéraient forclore l’esprit de sa capacité de raisonnement. Robert Louis Stevenson (mille huit cent cinquante - mille huit cent quatre-vingt-quatorze) connut ce désagréable souvenir acéré, un grincement qu’il coucha sur le papier, puis fit paraître au grand public en l’espace de quelques mois. Tandis qu’il goûtait les plaisirs d’un séjour fort agréable dans la région du Dorset, en Angleterre, l’auteur de la déjà très célèbre Ile au Trésor (publiée en mille huit cent quatre-vingt-trois) fut sous le joug d’un terrible rêve teinté d’ignominie et d’aliénation ou s’affrontaient  avec toute la férocité de bêtes sauvages les notions de Bien et de Mal, sinuant nuitamment le long des rues et sentines les plus insalubres des bas-fonds de la ville de Londres en cette fin du XIXème siècle. L’écrivain subodorait-il à la production de ce que la postérité lui accordera comme son chef d’œuvre un récit hanté par la turpitude et la vésanie que les contemporains de l’auteur, saisis d’horreur mais indéniablement conquis, saluèrent ç l’unisson ? Il n’en demeure nullement moins que L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, paru en mille huit cent quatre-vingt-six marqua de manière indélébile les esprits, corrodant la préciosité des mœurs de l’époque en s’armant du choix d’une production littéraire ouvrant la voie aux futurs choix de personnages principaux élevant au rang des plus honorables valeurs le blâme, le boniment et le stupre ; et Stevenson en levant ainsi un coin du voile sur ce qu’il considérait comme une forme de décadence méprisable dans laquelle l’Angleterre étaient en train de lentement se perdre, s’enfoncer comme dans une mare de fange nauséabonde. Car lecteurs, ne vous laissez point accaparer l’esprit par l’aspect épouvantable de l’œuvre dont nous allons parler un peu aujourd’hui, car c’est bien une virulente, mais primordiale aux yeux de l’écrivain, critique allégorique de la société Londonienne, et en un cadre plus élargi Anglaise, à laquelle se livre Stevenson, abaissant sa déférence dans laquelle il tenait son pays du fait de la débauche ambiante encore naissante entourant cette nation qu’il ne paraît plus à même de reconnaître.

Parant sa plume d’une ironie caustique et acerbe, Stevenson offre au lecteur, via une foultitude enivrante de détails sur la vie de la capitale anglaise, une toile arborant la forme d’un diptyque supposé caractériser, vilipender et avilir autant la figure citadine que le siècle du romantisme et avilir autant la figure citadine que le siècle du romantisme et de la révolution industrielle jetant ses ultimes feux fluctuants dans leur éclat se faisant de plus en plus faible. Au travers des transformations du bon Dr. Jekyll en l’effroyable Mr. Hyde, d’une part, nous est figuré le sempiternel goût pour une jeunesse renouvelée et retrouvée au cours de laquelle l’on en craint plus de travestir ses pulsions et autres désirs bannis par les chantres de la bienséance couplée à la religiosité, des notions auxquelles une première vie s’était faiblement assujettie et amena donc au refoulement dédaigneux des passions amoncelées dans un coin de l’âme (il est possible ici de discerner un aspect autobiographique, car il est à l’époque de notoriété publique que le jeune Stevenson courait les maisons de plaisir écossaises d’Edimbourg, par cela s’exposant au courroux paternel, fervent croyant comme le voulait la culture écossaise de ce temps). D’autre part, se dévoilent les envies illusoires et l’angoisse sous la férule de laquelle se trouve placé l’homme cultivé et bon vivant qui se voudrait démiurge des réalisations de nos propres envies, mais dont l’esprit se détériore au fil de l’âge, toujours davantage possédé par ses déboires qui engendreront une frustration ; elle-même nourricière d’un double bestial et maléfique. Pure métaphore des insatisfactions conglobées au fur et à mesure que s’écoulent les ans. De fait, notre auteur dépeint-il l’étau en lequel peut se muer la bonne et respectable société Victorienne. Emprisonnés dans leur carcan d’apparence, les gentlemen se doivent de se parer de respectabilité et d’une décence ne pouvant souffrir et s’exposer au moindre reproche ; mais qui pourtant côtoient les quartiers insalubres aux relents de débauche et de mauvais alcool (ici, l’on peut évoquer le souvenir des deux célèbres gravures de William Hogarth : Beer Street and Gin Lane) où l’indignité coudoie la prostitution et son lot de maladies vénériennes qui marchent de concert avec le plus vieux métier du monde (il apparaît ici exigible de remémorer au lecteur que Londres est la ville comptant le plus de péripatéticiennes au monde en cette époque). Une dépravation qui manifestement ne choquait nullement  que notre bon Stevenson, puisqu’il ne s’écoula que deux ans entre la parution de l’œuvre qui nous occupe et les tout premiers meurtres perpétrés par l’insaisissable Jack The Ripper.

Se cacher, louvoyer parmi les ruelles luisantes d’humidité de laquelle s’échappent des vapeurs pestilentielles. Or, ce ne sont pourtant nuls autres que deux des plus honorables gentlemen de la ville, errant au milieu de places insalubres et peu accueillantes, qui dans la concorde décident de traquer Mr.Hyde la première fois qu’ils le croisent à marcher d’un pas hâtif sur le pavé sonnant. Que faisaient, je vous le demande, ces hommes à se promener à une heure très avancée de la nuit dans les rues les plus obscures de la capitale anglaise, comme saisis d’un plein égarement ? Eux-mêmes, l’on puis le subodorer, recèlent probablement quelque secret à cacher, comme à l’image de l’abominable bonhomme dont ils se saisissent au début du roman (to hide, en anglais). Comme je me hasardai à le souligner dans mon article précédent concernant l’œuvre fondatrice de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, le roman qui nous occupe, possédant le même atavisme qu’est cet héritage du romantisme appréciant tout particulièrement la délicate mais passionnante mise en abyme des récits, L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde propose par la même au lecteur une forme propre à en décontenancer plus d’un d’imbrications de points de vue et donc de narrateurs, multipliant de fait la brièveté des détails de certains témoignages, mais également aidant à brouiller les pistes de sorte à perdre, désarmer le lecteur ; un aspect cauteleux du texte qui n’était pas sans intérêts,, de sorte à nourrir le sentiment d’inquiétante étrangeté régnant en maître dans l’œuvre (ici, je vous renvoie à la thématique du même nom développée par le psychanalyste qu’on ne présente plus : Sigmund Freud). De même Stevenson affirmait déjà que l’homme n’était pas seul en son esprit, mais indubitablement deux, une rémanence du double en son âme qui ne lui permet point de garder plein contrôle sur ses actes ; idée que Freud développera de son côté et plus avant avec le Ça, le Moi et le Surmoi, accompagné de la non moins célèbres phrase : « le Moi n’est pas maître en sa propre maison ». Stevenson vitupère ainsi les pulsions, blâme le manque de mainmise de l’humain sur son propre être tandis qu’il développe toujours plus avant cette notion d’antinomie, d’altérité qui se fait sa propre ennemie ; le Ça ne cessant d’alterquer sans cesse son jumeau Surmoi, cherchant à se dominer mutuellement, oubliant les ravages qu’ils peuvent causer sur le pauvre Moi, pris entre deux feux auxquels il n’entend pas un traitre mot, et cherchant sans cesse à s’amener à résipiscence de ne pouvoir davantage lutter contre le Mal et se sentir plus attiré par le Bien.

Le dernier point commun qu’il nous est possible d’accréditer entre Shelley et Stevenson demeure bien cette éternelle interrogation des rapports conflictuels entre le Créateur et la Créature, ne pouvant jamais se porter créance l’un à l’autre, l’un cherchant dans les plaintes et les récriminations à inverser la domination patriarcale, tandis que l’autre s’effraie et se voit peu à peu dépassé par le monstre auquel i la donné existence ; par pure convoitise d’une puissance qui n’est pourtant pas destinée aux mortels, puisqu’elle nous échappe. Ainsi la richesse métaphorique de L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde s’avère d’une richesse sidérante, tant elle mêle prémisses de la psychanalyse, critique cynique des ultimes jets de la société Victorienne, rejet de la sévérité légendaire de la religion presbytérienne, et exploration de continents intérieurs qui n’ont toujours pas livré tous leurs secrets.

mardi 29 mai 2012

Mary Shelley - Frankenstein, ou le Prométhée moderne



Est-il encore nécessaire, arrivé en notre époque, de présenter le Frankenstein, un roman aux sonorités abrasives, un personnage à l’ombre hégémonique telle qu’elle parvint à abroger même la dualité de ce nom, fondant le monstre et le héros en un seul et même être, modelant de par les ombres du géniteur et de la géniture un histrion étrange qui se retrouve de fait cyniquement dépossédé de toute sa substance originelle.
On ne peut plus censément dénombrer les adaptations cinématographiques, ridicules accessits envers la créatrice Mary Shelley (mille sept cent quatre-vingt-dix-sept - mille huit cent cinquante et un) qui au fil du temps défigurèrent avec une rare forme d’acrimonie le roman original : Frankenstein, ou le Prométhée moderne, paru l’année de mille huit cent dix-huit, dont l’imagination des masses dénua de toute sa portée, biffa les sujets sous-jacents pour ne plus que souligner sa dimension fantastique. Cet ouvrage peut sans nulle vacillation être considéré comme une forme de genèse du genre de la science-fiction, antérieure aux plus tardifs maîtres incontestés du genre que deviendront Herbert George Wells (La Machine à Explorer le Temps, La Guerre des Mondes, mille huit cent soixante-six - mille neuf cent quarante-six) ou encore notre Jules Verne national (Voyage au Centre de la Terre, De la Terre à la Lune, mille huit cent vingt-huit – mille neuf cent cinq), Shelley briguait déjà d’offrir avec la primauté littéraire qu’on doit de lui restituer une raison scientifique au domaine étrange et austère de qu’est le surnaturel ; un domaine teinté d’une noirceur comminatoire puisqu’appartenant au cercle abscons de l’inexplicable, alors très prisé par les esprits romantiques anglo-saxons, férus de mystères et de légendes aussi caustiques que dispensatrices de frissons glacials. Je cite le romantisme, car Frankenstein relève pourtant d’un absolu et d’une sensibilité exacerbée toute romantique, malgré l’obscur propos incarné par son personnage principal.

Fille de la célèbre philosophe habitée d’idéaux féministes Mary Wollstonecraft (mille sept cent cinquante-neuf - mille sept cent quatre-vingt-dix-sept) et de l’écrivain et théoricien politique William Godwin (mille sept cent cinquante-six - mille huit cent trente-six) dont la condescendance pour le pouvoir alors en place en Angleterre le poussait à écrire d’une plume contestatrice et virulente, Mary Shelley semblait dotée d’une extrace qui ne pouvait la pousser en aucun autre domaine que les Lettres. Aussi fut-elle auteure de nombreuses biographies, nouvelles, pièces de théâtre, romans et récits de voyages, genre de l’errance même qui demeurait fortement à la mode depuis les découvreurs et pères de ce style alors mandés par la reine Elizabeth I d’étendre son empire (l’on peut par exemple penser à Sir Walter Raleigh). Âpre, acéré, corrosif et dissemblable de toute production littéraire ou intellectuelle de son temps, Frankenstein ou le Prométhée moderne naquit tout autant dans l’hérédité du romantisme voulu par l’époque, mais vit le jour en des circonstances coudoyant de près l’ambiance générale que l’on retrouve au fil de ses pages, placé alors sous la férule d’une atmosphère orageuse, que ce soit au sens propre ou au figuré. La légende ainsi nous rapporte, légère et labile comme le souffle du vent, que le soir du quatorze juin mille huit cent seize, la toute jeune femme d’à peine dix-neuf ans se délectait d’un séjour sur les calmes rives du lac Léman aux côtés du fameux Lord Byron au rayonnement déjà profondément établi en Angleterre, du médecin John William Polidori, et de son mari Shelley. La nuit se fait alors menaçante, pluvieuse, propre à mieux disséminer le trouble en les cœurs. De manière à stimuler l’ambiance étrange de cette soirée, les protagonistes de notre scène se jouent à conter des récits de fantômes, puis se lancent le défi de rédiger un court récit fantastique, dont les effluves seraient à même de compléter le tableau d’une délicieuse nuit d’angoisse. La jeune Mary s’avèrera l’unique convive à achever son œuvre, et celle-ci de paraître un peu plus de deux ans plus tard. Ainsi s’achève le cadre bruissant de circonspection et l’imaginaire. Qu’en est-il seulement de l’hoir de cette soirée si particulière et propice à l’inspiration qui permit aux lettres anglaises de se doter de leur toute première histoire de science-fiction ?

L’œuvre propose aux lecteurs de suivre le personnage du jeune scientifique nationalité suisse Victor Frankenstein, dont les recherches et expériences assidues lui offrirent le fallacieux espoir d’entendre le principe même de la vie, se dotant du pouvoir démiurgique de doter l’inerte matière de la capacité à s’animer et se mouvoir par elle-même. Divaguant, mû par cette découverte sans précédents, le jeune savant se met en quête de cadavres ramassés au hasard de charniers à ciel ouvert et de tables de dissections au cœur d’obscures facultés de médecine.  Pantin grossier recousu de manière plus ou moins hasardeuse, Frankenstein recompose ainsi un semblant d’être humain, tel que lui dicte sa déraison. L’expérience démentielle porte ses fruits, et le savant se voyant déjà déifié, prend soudainement horreur face à sa difforme et épouvantable créature se levant de la table d’expérience, et ainsi s’enfuit, abandonnant sa chose, son enfant, rejeté car conglobant en elle-même un pouvoir par trop insupportable, et insurmontable.
Par la suite, débute l’expiation du jeune Victor comme réponse de son crime d’avoir voulu jouer à Dieu, la créature poursuivant sans relâche son créateur qui cherche à la renier de tout son être. L’immonde bête, n’entendant au départ nullement l’apathie de son « père » et s’astreignant de prime abord à se faire accepter de lui, sombre progressivement en une frénésie de violence, qui la pousse à assassiner les proches du fugitif scientifique, augmentant les griefs de la créature à mesure qu’il la repousse épidermiquement, sa vue et cette métaphore d’un savoir interdit le révulsant de tout son être. Comble de l’horreur, point épiphanique de la violence révoltante mais pourtant compréhensible dont fait preuve la bête, elle finit par tuer la femme de Victor, Elizabeth, le soir même de leurs noces, mettant de fait un point final à toute prétention, toute aspiration au bonheur du simple mortel qui cru pouvoir défier Thanatos et se doter d’un pouvoir qui ne devait en aucun cas lui échoir. Harassé, exténué par trop de douleur, Victor cède, accepte ce châtiment qui s’abattit justement sus sa personne, et Frankenstein meurt d’épuisement, concluant le roman et la traque de la terrible engeance qui, par la même occasion, perd tout but de continuer à exister.

Cette modernisation du mythe grec antique de Prométhée enchaîné et mutilé chaque jour par un aigle pour a voir voulu apporter le feu aux humains est rédigée sous la forme épistolaire, tout comme ces œuvres fondatrices, mères de la mouvance romantique que sont Julie, ou la Nouvelle Héloïse (Jean-Jacques Rousseau) et Les Souffrances de Jeune Werther (Johann Wolfgang Von Goethe). Le romantisme en effet s’y retrouve de par ses ramifications tendant vers la fascination pour la mythologie grecque et romaine, redécouvertes lors de la Renaissance survenue en Europe au XVIème siècle, mais également de par la place que le récit concède à la glorification de la nature et de sa puissance mirifique et créatrice, contrecarrant les doutes et les bourbes, les brimades de la mortalité propre à la condition déplorablement humaine, et Victor Frankenstein se perd un nombre innombrable de fois dans la contemplation des montagnes des Alpes qui semblent lui évoquer le poids sur ses épaules représenté par la créature qui le traque inlassablement. On se surprend ainsi à éprouver une forme de commisération, une compassion teintée d’une profonde pitié pour celui qui toucha du doigt les pouvoirs divins d’insuffler la vie, on ressent jusqu’en nos cœurs les terribles anathèmes qu’il profère contre sa création qui le poursuit de sa haine viscérale, une soif de vengeance comme seuls les fils rejetés et méprisés par la figure patriarcale depuis le berceau peuvent en ressentir. Accordant une place prépondérante aux expressions du « moi » et du « j », Mary Shelley entrelace ainsi les diatribes et autres doléances acerbes des deux protagonistes principaux, ne dulcifiant nullement leurs souffrances, de sorte à ce que les douleurs semblables et réciproques les élèvent jusqu’à une lutte qui ne pourra se solder que par la mort de l’un des deux êtres misérables dans leurs conditions de créatures aussi malléables l’un que l’autre ; les tourments du cœur et de l’âme sont exaltés, transcendés comme jamais alors. Tout deux sont les êtres les plus malheureux de la Terre, Victor pour avoir profané le sacro-saint secret du dont de vie, le monstre pour se voir rejeté par son père et le reste de l’humanité à qui il inspire une horreur inégalée. Tout deux ne peuvent plus de fait atteindre le bonheur, et leur convoitise de l’amour, ils se la ruinent mutuellement, car ils sont porteurs de leur déperdition mutuelle. L’on ne sait ce qui advient de la créature après la mort de son démiurge, toujours est-il qu’elle s’enfonce avec lenteur dans la bise brumeuse et sifflante du Pôle Nord, rongée par la solitude et la culpabilité, détruite par le remord d’avoir provoqué la perte de sa seule et unique extrace.  

mardi 22 mai 2012

Johann Wolfgang Von Goethe - Les Souffrances du Jeune Werther




Alors que l’on a parcouru les épars décors de cette Terre seulement une poignée d’année, famélique chiffre que vingt-cinq, est-ce alors aberration ou vanité de scander que l’on peut entièrement connaître le sentiment d’amour ? Et pourtant, Johann Wolfgang Von Goethe (né en mille sept cent quarante-neuf et mort en mille huit cent trente-deux) s’avéra le plus mirifique des chantres de ce sentiment, exacerbé par sa jeunesse et son esprit vagabond de jeune romantique divinisant les élans passionnés et la légendaire pureté féminine. Les Souffrances du Jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers) demeure pourtant un simple premier jet, le balbutiement littéraire d’un écrivain aussi connu qu’un fantôme évanescent et susurré au cœur d’un feu glacé d’hiver. Edifiant récit auquel on ne peut que concéder de faire preuve d’un rayonnement exceptionnel de par la force de ses mots et éclats sentimentaux, l’œuvre qui nous occupe paraît en mille sept cent soixante-quatorze, et tel démiurge d’un mouvement à naître, le livre annonce avec force et fracas le Romantisme ; et ce de part l’altière mise en exergue des abrasifs émois tout autant que déboires d’une âme tourmentée par les fers rougis à blanc de cet enfer insoupçonné nommé Amour, laissant des plaies purulentes et béantes.

Cependant, une fois passé tout sentiment de peine et de commisération envers une des plus malheureuses plumes de langue germanique, l’on peut censément se questionner sur la genèse même de ce livre qui rayonne via sa dissemblance avec toute l’œuvre à venir du jeune Goethe. C’es pourtant la banalité sidérante d’un quantième chagrin amoureux porté tel un volumineux fardeau par l’auteur qui nourrira le texte de ces éclats et autres tonnants anathèmes vers le cruel sort et la frêle raison. Le béjaune Johann Wolfgang tombe en pamoison devant la délicate Charlotte Buff, rayonnement de la naissance de ces véritables amours et crépuscule de son entendement  pour plusieurs longs mois ; car le cynisme du destin fait que la jeune femme a déjà prononcé d’indéfectibles vœux d’engagement auprès d’un des plus proches amis de l’écrivain, la connivence et la tendre affection des deux fiancés ne souffrant nulle tentation ou défiance. Las, Johann baisse les armes face à ces sentiments fallacieux qui ne pourraient que le guider ers la sente obscure du désespoir et de la déraison, ne supportant plus de se voir lui-même extravaguer à connaître un quelconque espoir de voir la belle demoiselle tourner son regard vers lui. Mais l’expérience appesantissante ne demeurera nullement stérile d’un point de vue créatif, puisque son livre emblématique (une place qui plus tard lui sera âprement disputée par la pièce de théâtre Faust) se verra rédigé en à peine un mois ; le pauvre homme s’éjouissant que ses soupirs transis ne furent nullement totalement vains. Les Souffrances du Jeune Werther tendent cependant à s’éloigner partiellement de la vérité, l’écrivain faisant le choix délibéré de ne point dulcifier a peine, mais bien de la transposer tout en l’intensifiant et lui conférant des scènes et situations hautement dramatiques qui augmentent le désenchantement du héros, Goethe s’enclavant d’une certaine manière dans le personnage de Werther.

Au cœur de cette œuvre épistolaire, ce dernier tombe éperdument amoureux d’une seconde Charlotte dont la blanche main fut déjà placée dans la poigne d’acier d’un riche et austère homme, plus âgé qu’elle, pauvrette  à la beauté sans pareille, véritable personnification d’un idéal typiquement germanique de la délicatesse filiale et perspective promise de l’établissement d’un foyer stable, rassurant, et empreint de pureté. Une divine créature presque, auprès de laquelle le récit nous permet de suivre la maigre progression du désespéré Werther et les tergiversations de celui-ci, forcé à brimer ses sentiments, proches de la félicité lorsque la jeune fille lui sourit, fange glaciale lorsqu’elle évoque avec des yeux pétillants son proche mariage avec un bon parti. Avec candeur, puis profond désappointement, les dévastatrices passions de Werther ressemblent à s’y méprendre aux imperturbables saisons, fleurissant au printemps parfumé, flétrissant et mourant en hiver à l’image du pitoyable héros choisissant l’aisance du suicide à une vie de perpétuelle souffrance ; n’ayant nullement foi en un quelconque changement, une probable évolution de ses sentiments, dont le déclin aurait pu se produire au fil des mois, tu temps inexorable. Ces humeurs se retrouvent ainsi étroitement liées à l’évolution cyclique de la nature, qui tient une place prépondérante dans les pages de Goethe (comme le veut l'époque littéraire de l’Empfindsamkeit), dont les descriptions délicates se font  admiratives et mélancoliques selon les éclats orageux du personnage principal, se détériorant progressivement, comme les fleurs et les feuilles jaunissant, se craquelant au rythme du cœur du jeune homme. L’on en vient à se demander si ce n’est point la nature elle-même qui se plie à la rythmique de l’amour de Werther, jetant son chagrin à l’empyrée tout autant qu’au papier.

Aussi tonnant que le vers de l’auteur, le retentissement du roman fut incommensurable dans les contrées allemandes, et naquit une allégresse envers l’écrivain, une gloire qui traversa les frontières du pays pour atteindre les voisins Français et Britanniques ; une renommée qui ne se démentira dès lors plus, allant au contraire croissante au fil du temps. Tant de cajoleries de la part de son lectorat qui viendront enrichir et aider à la propagation de ses œuvres suivantes telles que Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (mille sept cent quatre-vingt-seize), ou encore la pièce dont je vous parlais tantôt, le non moins célèbre Faust (mille huit cent huit). Quant à la déréliction et à l’acrimonie du misérable Werther, elles en viendront à dépasser le cadre du roman seul et en lui-même, jusqu’à devenir le personnage central d’innombrables autres créations et œuvres populaires, uniquement transmises par les insaisissables voies du bouche-à-oreille ; disséminant ainsi d’étranges idées à ses jeunes lecteurs. Tant et si bien que d’obscures conservateurs de la morale, aigres, contrits et aux divagations qui dépassent tout entendement en vinrent à  accuser Goethe de briguer secrètement une détestable perversion de la jeunesse, oubliant que la puissance de la littérature peut défaire toute pudibonderie, et l’œuvre fit date dans les Lettres Allemandes, inaugurant à elle seule une vibrante nouvelle vision  de la sensibilité même ; ou de la façon de considérer et aborder les éclats amoureux sans aigreur ni haine, tant elle est dispensatrice de possibilités d’élévation de l’esprit.

De fait, le mouvement littéraire germanique du Sturm und Drang (signifiant littéralement « Tempête et Elan ») venait de se découvrir son deuxième maître, aux côtés de Friedrich Von Schiller, en la plume et la personne du talentueux Johann Wolfgang Von Goethe, période de lettre qui se voulait en ferme et dédaignante opposition avec les Lumières dominant alors la production littéraire européenne, mouvance blâmable car elle élevait aux nuées les arguties inutilement compliquées de la Raison, un raisonnement devenu avec le temps bien plus assimilable à une adoration proche d’un culte ; et ce quand bien même le Sturm und Drang ne jouit pas de la primauté quant à cette farouche opposition, puisque le mouvement avait déjà été initié par la Pamela de Samuel Richardson (mille six cent quatre-vingt-neuf – mille sept cent soixante et un) et bien sûr par l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau : Julie, ou la Nouvelle Héloïse, initiant une très brève mode des romans par lettre, qui ne survivra malheureusement pas au faix du Romantisme, en passe de voir le jour. Ainsi, marchant en les mêmes pas que les deux auteurs cités précédemment, Goethe semble vouloir, par l’expression du déplaisir, du désabusement et de la déconvenue amoureuse, à malgré tout envisager les élans du cœur avec le plus grand des sérieux, ainsi qu’à critiquer un univers aux dringuelles bien maigres qui semble tendre à nourrir les déceptions et chagrins de ses lecteurs, n’obéissant nullement à leurs plus secrets désirs. Selon Goethe lui-même, le désarroi générationnel suffit à faire la gloire de son livre, la jeunesse de son époque ne reconnaissant plus jusqu’à ses propres fondements. De fait devenait-il pleinement autorisé de décrire, de parler de ses doléances sentimentales, de ses exigences irréelles, de ses passions âpres qu’on s’astreignait auparavant à brimer autant que faire se pouvait ; l’âme soupirante n’ayant nulle place dans une société guindée qui, heureusement jetait ses derniers feux. Laissons plutôt davantage de place à la concorde des cœurs, aux terribles déchirements des esprits qui alimentèrent  les lettres de ce temps de leurs probables plus rayonnants et délicats ouvrages. Un éclat si aveuglant que ses émules se comptèrent par la suite par dizaines. Nous pourrions citer quelques noms à l’image de ceux de Alexandre Pouchkine (La Fille du Capitaine, ou encore Eugène Onéguine), Chateaubriand et son René, son Attala, ou encore Senancour avec Oberman. Peu importe ici si le récit diffère dans sa forme ou dans sa surface, l’avatar de Werther demeure indéniable.

Salué, imité, inspirant, Les Souffrances du Jeune Werther restera un ouvrage dont la beauté et la force ne peuvent censément se démentir. 
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