Il est des nuits qui
peuvent se révéler fructueuses, propres au frémissement d’un imaginaire
n’accordant qu’une maigre place aux effrois et aux glaces de l’angoisse qui
nous saisit au col, et ce même au plus profond de la nuit ; peut-être
est-ce là la véritable utilité de ces cauchemars étouffants, un pouvoir dont
Morphée doit probablement s’enorgueillir alors qu’il étaye patiemment sa
domination sur nos corps alanguis, emprisonnés dans l’effroi d’un mauvais rêve.
Crainte antédiluvienne de passer une soirée aux prises avec ces plus intimes
fantômes, mais ces ectoplasmes parfois, nourrissent les plumes tandis qu’ils
espéraient forclore l’esprit de sa capacité de raisonnement. Robert Louis
Stevenson (mille huit cent cinquante - mille huit cent quatre-vingt-quatorze)
connut ce désagréable souvenir acéré, un grincement qu’il coucha sur le papier,
puis fit paraître au grand public en l’espace de quelques mois. Tandis qu’il
goûtait les plaisirs d’un séjour fort agréable dans la région du Dorset, en
Angleterre, l’auteur de la déjà très célèbre Ile au Trésor (publiée en mille
huit cent quatre-vingt-trois) fut sous le joug d’un terrible rêve teinté
d’ignominie et d’aliénation ou s’affrontaient
avec toute la férocité de bêtes sauvages les notions de Bien et de Mal,
sinuant nuitamment le long des rues et sentines les plus insalubres des
bas-fonds de la ville de Londres en cette fin du XIXème siècle. L’écrivain
subodorait-il à la production de ce que la postérité lui accordera comme son
chef d’œuvre un récit hanté par la turpitude et la vésanie que les
contemporains de l’auteur, saisis d’horreur mais indéniablement conquis,
saluèrent ç l’unisson ? Il n’en demeure nullement moins que L’Etrange
cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde, paru en mille huit cent quatre-vingt-six
marqua de manière indélébile les esprits, corrodant la préciosité des mœurs de
l’époque en s’armant du choix d’une production littéraire ouvrant la voie aux
futurs choix de personnages principaux élevant au rang des plus honorables
valeurs le blâme, le boniment et le stupre ; et Stevenson en levant ainsi
un coin du voile sur ce qu’il considérait comme une forme de décadence
méprisable dans laquelle l’Angleterre étaient en train de lentement se perdre,
s’enfoncer comme dans une mare de fange nauséabonde. Car lecteurs, ne vous
laissez point accaparer l’esprit par l’aspect épouvantable de l’œuvre dont nous
allons parler un peu aujourd’hui, car c’est bien une virulente, mais
primordiale aux yeux de l’écrivain, critique allégorique de la société
Londonienne, et en un cadre plus élargi Anglaise, à laquelle se livre
Stevenson, abaissant sa déférence dans laquelle il tenait son pays du fait de
la débauche ambiante encore naissante entourant cette nation qu’il ne paraît
plus à même de reconnaître.
Parant sa plume d’une ironie
caustique et acerbe, Stevenson offre au lecteur, via une foultitude enivrante
de détails sur la vie de la capitale anglaise, une toile arborant la forme d’un
diptyque supposé caractériser, vilipender et avilir autant la figure citadine
que le siècle du romantisme et avilir autant la figure citadine que le siècle
du romantisme et de la révolution industrielle jetant ses ultimes feux
fluctuants dans leur éclat se faisant de plus en plus faible. Au travers des
transformations du bon Dr. Jekyll en l’effroyable Mr. Hyde, d’une
part, nous est figuré le sempiternel goût pour une jeunesse renouvelée et
retrouvée au cours de laquelle l’on en craint plus de travestir ses pulsions et
autres désirs bannis par les chantres de la bienséance couplée à la
religiosité, des notions auxquelles une première vie s’était faiblement
assujettie et amena donc au refoulement dédaigneux des passions amoncelées dans
un coin de l’âme (il est possible ici de discerner un aspect autobiographique,
car il est à l’époque de notoriété publique que le jeune Stevenson courait les
maisons de plaisir écossaises d’Edimbourg, par cela s’exposant au courroux
paternel, fervent croyant comme le voulait la culture écossaise de ce temps).
D’autre part, se dévoilent les envies illusoires et l’angoisse sous la férule
de laquelle se trouve placé l’homme cultivé et bon vivant qui se voudrait
démiurge des réalisations de nos propres envies, mais dont l’esprit se
détériore au fil de l’âge, toujours davantage possédé par ses déboires qui
engendreront une frustration ; elle-même nourricière d’un double bestial
et maléfique. Pure métaphore des insatisfactions conglobées au fur et à mesure
que s’écoulent les ans. De fait, notre auteur dépeint-il l’étau en lequel peut
se muer la bonne et respectable société Victorienne. Emprisonnés dans leur
carcan d’apparence, les gentlemen se doivent de se parer de respectabilité et
d’une décence ne pouvant souffrir et s’exposer au moindre reproche ; mais
qui pourtant côtoient les quartiers insalubres aux relents de débauche et de
mauvais alcool (ici, l’on peut évoquer le souvenir des deux célèbres gravures
de William Hogarth : Beer Street and
Gin Lane) où l’indignité coudoie la prostitution et son lot de maladies
vénériennes qui marchent de concert avec le plus vieux métier du monde (il
apparaît ici exigible de remémorer au lecteur que Londres est la ville comptant
le plus de péripatéticiennes au monde en cette époque). Une dépravation qui
manifestement ne choquait nullement que
notre bon Stevenson, puisqu’il ne s’écoula que deux ans entre la parution de
l’œuvre qui nous occupe et les tout premiers meurtres perpétrés par
l’insaisissable Jack The Ripper.
Se cacher, louvoyer parmi
les ruelles luisantes d’humidité de laquelle s’échappent des vapeurs
pestilentielles. Or, ce ne sont pourtant nuls autres que deux des plus
honorables gentlemen de la ville, errant au milieu de places insalubres et peu
accueillantes, qui dans la concorde décident de traquer Mr.Hyde la première
fois qu’ils le croisent à marcher d’un pas hâtif sur le pavé sonnant. Que
faisaient, je vous le demande, ces hommes à se promener à une heure très
avancée de la nuit dans les rues les plus obscures de la capitale anglaise,
comme saisis d’un plein égarement ? Eux-mêmes, l’on puis le subodorer,
recèlent probablement quelque secret à cacher, comme à l’image de l’abominable
bonhomme dont ils se saisissent au début du roman (to hide, en anglais). Comme je me hasardai à le souligner dans mon
article précédent concernant l’œuvre fondatrice de Mary Shelley, Frankenstein
ou le Prométhée moderne, le roman qui nous occupe, possédant le même
atavisme qu’est cet héritage du romantisme appréciant tout particulièrement la
délicate mais passionnante mise en abyme des récits, L’Etrange cas du Dr.
Jekyll et de Mr. Hyde propose par la même au lecteur une forme propre à en
décontenancer plus d’un d’imbrications de points de vue et donc de narrateurs,
multipliant de fait la brièveté des détails de certains témoignages, mais
également aidant à brouiller les pistes de sorte à perdre, désarmer le
lecteur ; un aspect cauteleux du texte qui n’était pas sans intérêts,, de
sorte à nourrir le sentiment d’inquiétante étrangeté régnant en maître dans
l’œuvre (ici, je vous renvoie à la thématique du même nom développée par le
psychanalyste qu’on ne présente plus : Sigmund Freud). De même Stevenson
affirmait déjà que l’homme n’était pas seul en son esprit, mais indubitablement
deux, une rémanence du double en son âme qui ne lui permet point de garder
plein contrôle sur ses actes ; idée que Freud développera de son côté et
plus avant avec le Ça, le Moi et le Surmoi, accompagné de la non moins célèbres phrase : « le
Moi n’est pas maître en sa propre
maison ». Stevenson vitupère ainsi les pulsions, blâme le manque de
mainmise de l’humain sur son propre être tandis qu’il développe toujours plus
avant cette notion d’antinomie, d’altérité qui se fait sa propre ennemie ;
le Ça ne cessant d’alterquer sans
cesse son jumeau Surmoi, cherchant à
se dominer mutuellement, oubliant les ravages qu’ils peuvent causer sur le
pauvre Moi, pris entre deux feux
auxquels il n’entend pas un traitre mot, et cherchant sans cesse à s’amener à
résipiscence de ne pouvoir davantage lutter contre le Mal et se sentir plus
attiré par le Bien.
Le dernier point commun
qu’il nous est possible d’accréditer entre Shelley et Stevenson demeure bien
cette éternelle interrogation des rapports conflictuels entre le Créateur et la Créature , ne pouvant
jamais se porter créance l’un à l’autre, l’un cherchant dans les plaintes et
les récriminations à inverser la domination patriarcale, tandis que l’autre
s’effraie et se voit peu à peu dépassé par le monstre auquel i la donné
existence ; par pure convoitise d’une puissance qui n’est pourtant pas
destinée aux mortels, puisqu’elle nous échappe. Ainsi la richesse métaphorique
de L’Etrange cas du Dr. Jekyll et de Mr. Hyde s’avère d’une richesse
sidérante, tant elle mêle prémisses de la psychanalyse, critique cynique des
ultimes jets de la société Victorienne, rejet de la sévérité légendaire de la
religion presbytérienne, et exploration de continents intérieurs qui n’ont
toujours pas livré tous leurs secrets.
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