lundi 2 avril 2012

Samuel Beckett - En Attendant Godot




Il fut commenté, interrogé, apostrophé, d’indénombrables nuées de questions lui furent soumises. Pourtant nullement prêt à révéler les secrets de son œuvre, Samuel Beckett faisant preuve d’une ineffable  obstination, refusa toujours expressément de s’expliquer, quant à la richesse de son œuvre théâtrale dont la célébrité n’est plus contestable : En Attendant Godot.
Loin de moi la prétention d’affirmer, ou tout du moins concéder à ma plume la possession de la vérité absolue quant à la pièce qui nous occupe en ce jour, lecteur ; or les interprétations multiples et fluctuantes selon l’époque en laquelle on parcourt l’opus m’aiguillonnèrent à compter du jour où le petit livre échut entre mes mains, au hasard des rayons odoriférants et chamarrés d’une quantième bibliothèque visitée. Qu’est-ce, sinon un livre placé sur l’austère piédestal de l’absurdité si chère aux auteurs de l’après-guerre qui crurent discerner en les folies meurtrières et les évolutions techniques sanguinaires la probable fin du monde ; le Tartare venait de pondre deux œufs répondant aux délicats sobriquets de « Little Boy » et « Fat Man », la préciosité d’une vie humaine se réduisait à peau de chagrin tandis que de par le monde se comptabilisaient les morts. Absurde, qu’est cette maussade existence, futile la tentative de raisonnement humain ormais que l’ultime ligne avait été définitivement franchie. Alors demeurent plus que jamais les croyances feintises d’espoir, et l’envie de saisir la plume pour hurler sourdement son incompréhension des êtres. Sont-ce là, les buts d’En Attendant Godot ? Prenons le temps, lecteur, d’analyser quelques points à mon sens centraux dans l’écrit de Samuel Beckett.

La question religieuse

Communément entendue pour l’essaim d’analyste qui se penchèrent un temps sur l’écrit, comme un épineux sujet, l’identité fuligineuse de « godot » reste un point majeur quant à la ligne directrice de l’analyse que l’on se propose de livrer au lecteur, tel un carcan que contiendrait tant d’idées éparses mais en aucun cas dénuées de sens. Argutie sensée mais pourtant réfutée par l’écrivain en personne, l’explication godot, god, dieur m’apparaît pourtant édifiante, car faisant écho au reste du regard que je porte au bouquin, si tant est que la métaphore se retrouve en concorde avec l’interprétation des deux personnages principaux (Estragon et Vladimir) comme personnifiant les deux larrons entourant le christ crucifié. Les deux protagonistes en effet, sis au beau milieu de leur « non-lieu » tout au cours de la pièce, apparaissent comme dans l’expectative d’une figure messiaque, christique, qui viendrait les sauver de leur déperdition dans toute la commisération cynique dont les figures religieuses sont, à mon sens, seules capables avec un tel dédain pourtant volontairement ignoré de celui qui croit naïvement. Or Godot ne se présentera jamais à eux, puisqu’il n’existe pas, aussi c’est avec comme draps de dignité cette fallacieuse attente que les deux individus ne distingueront jamais le changement brigué ; il ne viendra jamais, faute de héraut pour le leur apporter. Famélique tout autant que tragique consolation, leur est envoyé un émissaire dont le dépit transparaît clairement, en la figure d’un petit garçon : l’Espoir. Il est le point final de chacun des deux actes constituant la pièce de théâtre, impavide au début, abandonnant son apathie vers la fin, il transporte un message d’attente et d’espérance. Godot ne peut se rendre disponible pour ces deux pécheurs, mais transmet cependant la promesse (n’engageant que ceux qui y portent créance) qu’il viendra le lendemain, honorer enfin son rendez-vous envers le duo central de l’œuvre. S’exemptant de toute analyse ou récrimination quelconque, Estragon et Vladimir occultent un temps leur déplaisir, cependant ils attendront, ne serait-ce que jusqu’à demain, voilà qui est aisément exigible. Patienter et gésir dans des illusions douçâtres plutôt que d’aller voir par soi-même, après tout pourquoi les personnages n’accepteraient-ils pas l’attente, au fil de leurs sinueuses réflexions quant à leur morne quotidien ? Le temps, désincarné et comme déifié par Beckett, paraît être le seul élément que les deux amis peuvent s’imaginer jouir à volonté, posséder, faute d’autre véritable bien. Cette inexpugnable attente, je la vois comme une manifestation de la peur des compères de l’hasardeuse action, la crainte d’une déconvenue après tant d’espoirs enchâssés en un simple mouvement de la part des personnages. Leur désabusement face au reste du monde pourrait être une explication quant à leur manque de prise d’initiative, comme cela revient à revendiquer une certaine forme de liberté, qui provoque de fait une angoisse.

La question de la lâcheté

N’est-ce pas en effet couardise que de se placer sous la férule d’une puissance immanente, au creux de l’ombre de sa supériorité, plutôt que de s’enclore de courage et choisir délibérément de se sauver soi-même, via ses propres moyens ? Le duo central de la pièce, crédules pantins de leurs éternels questionnements abstraits, s’avèrent englués dans leurs expectatives, et de fait s’inscrivent dans une décision d’attente, patienter docilement puis voir indéniablement ses espérances déçues est beaucoup plus aisé, davantage simple à envisager ; après tout l’intellect humain est capable de mirifiques capacités d’oubli qui allouent la chance de ne point vivre dans le désappointement, le désabusement face aux déceptions en lesquelles on place tant de possibilités d’accomplissements. Ânonner en l’inaction durant toute la pièce apparaît comme une forme de protection contre des chimères que sont le devoir et la prise de risque, et ainsi refusent-ils illusoirement d’entendre qu’aucun sauver ne viendra, car cet aveuglement ahurissant leur permet d’avoir une futile marge de contrôle sur leur quotidien, celui de pouvoir continuer d’espérer. Et utiliser cette source illusoire et absconse leur permet de nourrir le peu de vie dont ils jouissent, car après tout, c’est finalement mieux que rien, le néant aussi étant père d’autres peurs, d’autres angoisses que rien ne saurait refouler. Cette lâcheté, que je considère comme indissociable des deux personnages principaux se retrouve en un autre détail au cours de leur rencontre avec un autre couple de protagoniste ; ainsi Vladimir et Estragon s’insurgent-ils face au traitement esclavagiste que Pozzo réserve à son compagnon Lucky, traité ni plus ni moins comme un chien. « C’est scandaleux » s’exclame l’un d’eux, mais cette simple phrase résonne déjà tel un agiotage pour le personnage, car les mots ne seront une fois encore pas suivis d’une action. Il ne prendra pas la défense de l’homme bafoué dans sa dignité foulée du pied par l’extrême volonté d’un autre en qui il a remis sa liberté, déjà droit précaire pour être d’autant plus si facilement réduit à l’état de poussière.
Les compagnons semblent, au cours de cette atellane, parfaitement accepter cette domination inhumaine. Toujours chez Beckett, cette notion de lâcheté intimement liée à l’idée d’oubli qui apparaît au lecteur tel l’apanage des deux protagonistes majeurs, divagant sur un promis qui se retrouve sans cesse bafoué et refusant toute quelconque réaction face à l’injustice évidente autant que palpable. Fugitifs s’avèrent les événements, ils n’en ont cure, et choisissent l’oubli comme mode de vie éternel et constant, j’oserais ici vain et illusoire. Estragon ? lui, ne cesse d’oublier ce qui a pu advenir la veille, car il n’est nulle dringuelle pour lui à attendre de la vie, aussi biffe-t-il de sa mémoire, inconsciemment ou non, cette figure fondatrice mais impersonnelle qu’est Hier. Le choix de la simplicité indolente se révèle à nouveau évident, de sorte à éviter la confrontation avec les déconvenues de l’absurde. Marri face aux absences répétées de Godot, voilà une bien maigre consolation que trouve le personnage évoquant à s’y méprendre un histrion antique, jouet de la volonté des dieux, à la différence qu’ici, le personnage est marionnette de sa propre déréliction inconsciente car refoulée.

Pour conclure

Je placerais un point final à ce texte en évoquant en demi-teinte la question de cet objectif que s’était fixé Beckett, refusant de voir ses créatures de lettres se gloser, il choisit la nudité du langage, servant un certain laconisme des protagonistes, sans pour autant oublier une qualité certaine de phraséologie+. Pour lui, la beauté résidait dans la simplicité, et il sert à la perfection son but, puisque le français simple qui y est parlé n’est nullement malmené comme par exemple chez Céline chez qui la grossièreté est ornée, intronisée. L’on parle chez les analystes de « dépouillement presque abstrait », où la connivence entre le lecteur et l’écrivain demeure dans la volonté d’aller à l’essentiel, se plaçant pourtant en pleine opposition avec ses deux personnages. L’absence de style voulue est admirablement, parfaitement maîtrisée ; Beckett a fait le choix du prosaïsme pour mieux témoigner de la condition humaine, se souciant de fait de la véracité universelle. Il crée une attente, personnifiant celle d’Estragon et Vladimir par Godot.

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