dimanche 26 février 2012

Vaincre ou périr




Peut-être est-il inadéquat d’user, d’agiter telle une mauvaise Egide le terme de « féminisme » de sorte à s’aventurer à une qualification de l’œuvre de Pierre Choderlos de Laclos, rédigée et  publiée en mille sept cent quatre-vingt deux, là où le néologisme n’apparaît au cœur de nos Lettres qu’au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle. Or, force est d’admettre la précellence de ce constat : souventes fois, je me surpris à m’extasier face à un discours d’une audace teintée de modernité suffisamment rare pour être soulignée. Aussi en ce texte ne m’attèlerai-je point à traiter l’entièreté de l’œuvre Les Liaisons Dangereuses, lui préférant la prépondérance d’un de ses personnages emblématiques, emblématisant jusqu’à effleurer la perfection une certaines idées que je me bâtis du modèle féminin, et dont je ne laisse point de faire l’éloge. Car avant tout, cette dame ne guigne nul outre objectif que la maîtrise complète de son destin, prise entre les serres d’une société de la fin d’un XVIIIème siècle fermé, prude, où l’hypocrisie règne en maîtresse, et en laquelle les femmes se voient réduites au stade de sottes pondeuses, cajolées pour uniquement assurer la pérennité d’un nom ou d’une fortune. Un sacrifice de l’être au profit du matériel, de par la négation du vivant. Insolente stratège à la beauté froide et à l’intellect des plus fins, je souhaiterais s’il vous sied lecteur, de n’aborder en votre compagnie que l’étonnante figure de Madame la Marquise de Merteuil.

I / Je suis née pour venger mon sexe, et dominer le vôtre

Fierté personnifiée que celle jouissant d’une pleine confiance dans ses qualités,  furent-elles glanées au fil du temps, passées maintes observations d’un monde alentour de paraître et de dissimulation. L’éducation acérée au contact du mondain dans un frôlement de crinoline a pu seulement être, pour la mesquine Merteuil, grâce à ce que je considère comme une chance unique et si rare qu’elle n’eût point tort de l’embrasser au cours de toute sa vie : elle ne fut pas placée entre les froides et rigoristes murailles d’un couvent. Car si l’on se penche quelques instants sur les mœurs de cette période, il appert qu’une étape est essentielle à l’instruction des jeunes filles est le passage sous les auspices d’une hégémonie religieuse, durant lequel au travers d’antistrophes chantées sous d’obscures et moites absides, le sens anagogique des Ecritures martèle à la créature féminine qu’elle est hoir d’Eve, nouvelle Lilith condamnée à expier toute sa vie durant un malheureux coup de dent dans la chair juteuse d’un fruit défendu. Se mue ainsi en assertion cet apologue : la femme est pécheresse, fautive, et la mondanité ne la voue qu’à devenir mère soumise et naïve, comme elle le souligne au Vicomte de Valmont dans la célèbre lettre quatre-vingt-unième lettre du roman : « j’étais vouée par état au silence et à l’inaction ».
 Or, Merteuil n’est point faite de ce bois grossièrement taillé à coups de cantilènes moralisateurs et autres bigoteries insensées, et la jeune femme apprend très vite à ne porter créance qu’à ses plus intimes réflexions. La marquise comprend, épie, entend, se nourrit de l’extérieur et du contact avec l’altérité, des nobles et de la valetaille, et par l’autocritique tout comme une cautèle salvatrice, la demoiselle entreprend sa propre éducation, figeant ses traits à la manière d’un masque de velours adorné des plus  beaux empiècements, mais son regard, affuté, ne laisse rien en demeure. La providence semblant s’être penchée à son chevet tandis qu’elle ne poussait encore que ses premiers vagissements, la chance lui sourit peu après ses quinze ans et son mariage ; le valétudinaire Marquis de Merteuil décède très rapidement, offrant ainsi une voie frayée, clairsemée, où la curieuse se délecte des nouvelles expériences qui lui permettent pleinement d’appréhender le masculin dont elle se défie tant, comprenant au fil de l’âge que l’amour est seul prétexte au plaisir, et non plus la cause, comme le prétend le malléable sens commun.
Je vous vois déjà lecteurs, vous esclaffer, prétendant simple marivaudage malicieusement ourdi par une femme en mal d’intrigues romancières pouvant égayer son morne quotidien de veuve, et aurais-je été pleinement en adéquation avec votre opinion, si un nouvel élément n’était point venu bouleverser la façon d’aborder les jeux de cours de la belle Merteuil. Les blessures de l’égo demeurant indéniablement les plus vives, et s’entretiennent purulentes une fois l’estoc portée, et la jeune dame en fait les amères expériences lorsque le seul homme pour qui elle ait jamais éprouvé quelques sentiments, le sir Gercourt, l’abandonne ; la laissant s’embourber de prime abord dans un noir désespoir, dont les eaux dignes d’une vasière serviront de terreau à la naissance d’une haine inextinguible, et qui mènera le reste de son existence. Nourrissant ses griefs, refusant de ployer sous le faix de son humiliation, la noble femme se fait géniture des principes de Nicolas Machiavel, et par fortes roueries et habile pharisaïsme, la marquise se mue en pourfendeuse de la phallocratie ambiante de son ère, suintant une domination qui, à mon sens, est seul fait de la vacuité repoussante des femmes alentour, ne subodorant jamais les arrière-pensées de leurs amants et autres compagnons pour qui elles se pâment d’admiration ; ces « imprudentes qui, dans leur Amant actuel, ne savent pas voir leur ennemi futur », et se plaçant délibérément sous la férule de bonimenteurs dont les seules appétences vont aux plaisirs de la chair et de l’aisance pécuniaire.

II / La dévotion condamne à une éternelle confiance

« Je voulais savoir. Et cette utile curiosité (…) m’apprit encore à dissimuler.» Entendre, pour mieux se jouer et se muer en une marionnettiste talentueuse dont les pantins seraient les hommes, victimes d’une animalité motivée par des pulsions sexuelles dont les femmes sont sujettes dans une moindre mesure, comme la marquise l’explique dans son autobiographique lettre quatre-vingt un. Et c’est justement ces besoins qui vont devenir ses principaux alliés dans sa quête de distraction perpétuelle via autrui. Aux cours incessantes et thuriféraires de ses prétendants, la Merteuil perçoit l’âme même de leurs tentatives, et arborant le masque de l’affabulation et de la feinte, la marquise construit méthodiquement ses jeux de séduction : elle vengera les femmes de leurs vexations séculaires, de leur Histoire placée sous le giron de la servitude volontaire au sein d’une société qui ne les destinait qu’à une inéluctable inutilité, soumises qu’elles étaient au joug masculin faisant force de tradition et de sens général que nulle âme n’osait contester, même dans son for intérieur. Quoi de mieux, ainsi, que de jouer avec les sentiments masculins, susciter l’amour, l’inspirer et le feindre, l’aviver et le nourrir sur les seules bases de la duplicité pour mieux les attirer dans les filets soyeux de la noble dame ? Sous couvert de sa sournoiserie parfaite, elle leur fait miroiter une intimité qui amène irrésistiblement au dévoilement, à ces confidences qu’on ne livre qu’au seul sujet de l’amour et dans le sein des étreintes passionnées. Or, Merteuil est férue d’ambition et d’omnipotence, et ainsi se posant en nouvelle Dalila, elle tient ainsi leurs chevelures sous ses ciseaux, un couperet, une épée de Damoclès constante dont elle seule peut décider de rompre le crin de cheval la retenant ; jouissant de ce plaisir incommensurable que de maintenir une pauvre ère sous sa coupe, inversant le cours de l’ascendant éternel où l’homme n’est plus démiurge de vassalité, l’assujettissement se voit retourné au profit des dentelles et des corsets d’apparence innocente. Madame de Merteuil ne sera plus jamais réduite à la reptation exigée par le mâle, mais survolera leurs intrigues en tirant les ficelles de son entourage, et même celles de son ami le plus fidèle, le Vicomte. En Valmont, elle trouve son alter ego, un homme qui sait lui tenir tête et la défier dans sa quête de soumission du masculin pour mieux s’élever au-dessus d’eux. Sa souveraineté sur ses propres réactions ou défis force indéniablement le respect, puisqu’elle parvient non sans peine à jouer du désir sexuel de Valmont pour l’amener à faire ce qui lui permet par la suite de gérer ses plans à sa guise, pour tenter de perdre son ami, et son amante la Présidente de Tourvel. Je vois Merteuil comme un démon, une créature issue du pire des sept cercles infernaux car, à l’image du Diable, elle fut en effet une fois et une seule, vaincue (par Gercourt, faut-il le rappeler), mais cette défaite ne l’empêche nullement de faire perdurer sa besogne parmi les humains ; et je pense qu’André Malraux parlait juste lorsqu’il affirmait que l’héroïne de ce roman épistolaire est sans nul doute possible : « le personnage le plus volontaire de toute la littérature française » ; ayant inspiré d’autres grands écrivains à l’image de Stendhal et son cher Julien Sorel, ou dans une moindre mesure, Fiodor Dostoïevski et sa famille Karamazov. Soulignons-ici que les deux exemples cités au milieu de tant d’autres prennent chacun le contrepied de Merteuil puisqu’ils sont des hommes, mais perclus tout autant qu’elle d’esprit revanchard et de volonté de sujétion d’autrui pour mieux se sentir puissant, que ce soit moralement ou au regard de l’échelle sociale. Cependant, une faiblesse peut-être, sa seule erreur qui enclenchera une succession d’évènements qui l’amèneront à tomber : à trop farouchement se refuser aux passions amoureuses, la Merteuil dût cependant y trouver un substitut, et ce mirage fut sa conviction seule, sa concupiscence de voir les hommes choir face à sa personne, qui finit par se muer en passion folle et qui, au bout du compte lui nuit ; l’amène à s’écarter de ses prévisions et finalement, la font perdre.
Restent les valeurs de souveraineté et d’affranchissement dont elle s’était présentée comme la plus pur personnification, inspirant peut-être d’autres personnes de son sexe à se retourner sur sa condition faire de mercuriales masculines et de prépotence qu’on leur a imposée sans qu’elles purent même les discuter.

dimanche 19 février 2012

Kazuo Ishiguro - Never let me go





Rares sont mes incursions dans la littérature dépassant la deuxième moitié du XXème siècle, et sur le nombre de deux cent cinquante-neuf œuvres lues, je ne pense point me fourvoyer en affirmant qu’une maigre vingtaine s’inscrit au-delà de l’année à mon sens charnière de 1950. Never Let Me Go fut publié au cours de l’an 2005, en premier lieu au Royaume-Unis, terre de cœur de l’auteur Kazuo Ishiguro, puis le livre s’est vu essaimé au travers du reste du globe, selon les aléas capricieux des éditions. Tel un fil de laine écarlate au creux de mes paumes m’ayant guidé vers un but précis et connu de lui seul, un autre roman m’amena à prendre le temps de parcourir cet opus : The Remains of the Day ; narrant du bout d’une plume pudique les doutes d’un majordome guindé, amené par les affres de l’âge à se questionner sur ses actes manqués. Dans le cas de l’œuvre qui nous occupe, malgré un style somme toute simple mais dont la grande maîtrise de ses trop rares élans lyriques à mon goût transparaît indubitablement, l’auteur propose une réflexion sobre et toute en retenue au sujet de thématiques tendant à glaner une importance considérable, au vue de notre actualité décadente ; ce tout en inscrivant son récit dans un cadre uchronique, ou la réécriture des avancées scientifiques permet le placement d’un sujet bioéthique on ne peux plus polémique, mais s’effaçant pourtant face à des préoccupations profondément morales. Demeure ainsi l’importance exigible de la mémoire permettant de se construire en tant qu’humain (trop humain ?) à part entière, les ravages d’une enfance volée, placée sous les auspices d’une éducation mensongère, la résignation face à un atavisme que l’on se voit irrémédiablement imposé.

Cires molles

Remonté à la manière d’une imposante pendule d’argent, un nom de lieu apparaît régulièrement dans le récit d’Ishiguro : le pensionnant de Hailsham, reliquaire des souvenirs de trois personnages que le lecteur se voit proposé de suivre sur une durée de trente ans, et dont les réminiscences nous seront transmises par le regard de l’une d’entre eux : la jeune Kathy H. Aussi étrange que cela puisse paraître, je fus en tant que lectrice saisie d’un malaise insondable à chaque évocation, ne serait-ce que succincte de cet internat, où le façonnement mécanique atteint une perfection effarante, abrogeant de facto l’humanité en devenir de ses petits élèves. C’est là que grandissent Tommy, Ruth et Kathy, principaux protagonistes de l’œuvre du romancier britannique. Amoncelant ses souvenirs diffus et en demi-teinte, Kath nous raconte, de sa parole à la richesse élégiaque bien trop peu exploitée, l’atmosphère de clair-obscur de son cadre de vie, la componction austère de ses différents enseignants, les murs aseptisés sur lesquels ses mains enfantines coururent pendant dix-huit longues années. Exempts d’une quelconque connaissance d’un probable monde extérieur, les enfants évoluent en sus en une parfaite autarcie, recevant une éducation stricte, tout en se voyant inculqué au cours de leur apprentissage qu’ils s’avèrent des créatures à part, spéciaux, les laissant accroire qu’ils se rapprochent de l’état de diamant brut n’attendant qu’à être polis pour pouvoir atteindre une perfectibilité dans leur existence jusqu’ici sommaire, et qu’on leur promet dès leur sortie de Hailsham. Cependant, la déconvenue face au vaste reste du monde se fait génitrice de doléance et d’exclusion, car cette éducation rigoriste martelée au fil d’une jeunesse démesurément protégée prohiba aux jeunes élèves un élément clé de leur développement : être, là où un enseignement reclus et abstrus leur fit entendre le parfait contraire, les plongeant dans une pure abnégation face à la notion d’identité même ; leur laissant pour seule éventualité celle de donner créance à seulement ce qu’on pouvait chercher à leur enseigner
Les personnages centraux ne font nullement exception à cette règle bien huilée, et les enfants furent pétris de valeurs dont la sécularité n’a d’égale que sa déficience désuète ; thème dont on constate l’importance lors d’une scène empreinte d’intimité violée par une voyeuse de prime abord involontaire, puis assumé, où Kathy enfant berce une poupée de chiffon dans ses bras innocents. Assistant à cette scène agneline, l’institutrice bégueule ayant fait involontairement irruption dans la sphère de l’enfance candide, fond en larme : sa seule possibilité d’exprimer à la petite créature se dressant non loin de sa personne qu’elle ne pourra jamais être mère, son chagrin prenant source dans son incroyance à ce qu’une femme ne peut nullement s’épanouir en la totale absence de maternité. L’héroïne et ses deux seuls amis se retrouvent ainsi, béjaunes et nus, lâchés au sein d’une société à laquelle ils vont se révéler inaptes à entendre un traite-mot, piégés dans une rigidité coudoyant la frustration d’une jeunesse volée dont ils n’ont pat tant que peu conscience, même si le traumatisme gît au fond de leur être. Aussi demeure en suspens cette question : comment apprendre à vivre à ses créatures labiles une existence habitée d’un quelconque sens lorsqu’on est un simple clone dont la seule utilité est de faire don de ses organes, un à un, jusqu’à ce que mort s’en suive ? Impossible, semble sous-entendre Kazuo Ishiguro dans un ton suintant la contrition la plus profonde, aussi dote-t-il ses personnages de quelques élans existentiels une fois ceux-ci  en dehors du pensionnat de Hailsham.
Face à un nihilisme ambiant qui les enveloppe sans qu’ils en aient réellement conscience, les trois anciens étudiants y répondent chacun à leur manière. Tommy et Ruth par le couple, l’amour. Kathy, par la solitude contemplative, l’introspection et l’empathie. Des questionnements qui ne lui permettent cependant pas de se révolter contre la brièveté programmée de leur existence, et le désabusement semble de ce fait faire corps avec Kathy, biffant ses maigres rêves, se laissant aller à marcher inlassablement  vers une fin prématurée que son conditionnement subit lors de ses premières années d’existence lui apprirent à accepter d’une résignation sans borne. Une attitude édifiante dévoilant avec pudeur une connivence malsaine avec l’idée de mort qui n’est, dans l’œuvre d’Ishiguro, nullement appréhendée comme avilissante, mais comme un objectif vers lequel Kathy chemine sans volonté d’y déroger, sans force pour fuir bien que d’autres sentes s’échappent à intervalles réguliers du chemin qu’elle emprunte dès le début du roman, censément, obstinément. Cette froideur face à un déterminisme effrayant sert le récit, marchant de concert avec une rigidité descriptive et une fixité narrative habitant chaque personnage évoluant entre les murs de l’internat anglais où l’ambiance terne permet au lecteur de s’imprégner d’une lenteur contemplative savamment calculée. Une lenteur qui peut justement nous amener à nous questionner sur la résignation des personnages principaux face à leur sort.

Absence d’être

Lapalissade ridicule que d’affirmer ici que tout un chacun est condamné à mourir ; ce qui pousserait l’humain lambda à vivre étant l’espoir illusoire que son existence, avec un peu de chance, connaîtra une longévité sereine- tout du moins davantage que celle d’autrui- si l’on parvient à échapper à la maladie, à l’accident, et à la pulsion suicidaire. Dénués de la moindre once de commisération, Tommy, Ruth et Kath briment leurs envies, marchent vers un néant proche, conscients comme ils le sont que leur espérance d’existence ne dépassera que rarement les trente-cinq ans. Réduits à ne servir nullement autre chose que d’une dérisoire forme humaine de soupape de sûreté des êtres sur lesquels ils ont été modelés, nos trois héros cheminent au cours de la dernière partie du roman vers une prise de conscience de l’absurdité de vie, et de l’égoïsme atterrant dont on fait preuve leur créateur au moment de leur « conception ». Aussi, comme l’expliquait le philosophe Albert Camus, il n’existe que deux issues à cette prise de conscience : le rétablissement ou le suicide. Or, il n’est aucun des élèves de Hailsham qui semblent habités d’une possible once de rébellion- même un tant soit peu fugitive- et nul grief n’est géniteur de bile noire courant dans leurs veines, qu’ils auraient pu à loisir retourner contre l’impavide sort. Règne ainsi cette notion d’acceptation pourtant inique, face au vide vertigineux figurant leurs perspectives. Nul avenir social, d’aucune procréation pouvant entériner leur mémoire (pour quelques dizaines d’années tout du moins, demeurons en cet instant pragmatiques), une espérance de vie par çà trop réduite de sorte à leur laisser l’illusion d’un accomplissement qui leur offrirait l’occasion d’une pérennité. Nille possibilité, si ce n’est l’indolence et l’apathie comme maigres réponses à un sort regrettable. Sont-ce là les ravages d’un embrigadement parfait menant à une observance pusillanime des personnages d’Ishiguro ? Ou n’existe-t-il après tout aucune remontrance à jeter à la face de l’hideur de l’existence ? Je ne saurais avancer qu’il existe une seule explication valable à ces nombreux questionnements face à la résignation des protagonistes, cependant l’aspect hautement fallacieux de toute cette force de l’écriture de la destinée semble un thème de prédilection pour l’auteur ; ou bien n’est-ce qu’un miroir poli, tendu au lecteur l’invitant au questionnement profond sur l’ambiante passivité de nos mondes actuels, où une forme pernicieuse de déterminisme moral et social semble avoir dévoré les notions mêmes d’espoir et de devenir. À aucun moment au long du roman, Kathy ne questionne le sens même de leur vie, l’utilité de leurs créations, le refus de la réalité est prégnant dans Never Let Me Go ; et de récusions, l’on n’en trouve aucune concernant leur droit à ne jamais faire don des composants de leur corps pour glaner la possibilité d’une vie « normale ». Seule récrimination pointant au travers des lignes de l’œuvre, est la scène où Tommy et Kath cherchent, hélas inutilement, à obtenir un sursis auprès de leur ancienne directrice de sorte à retarder de trois ou quatre années le début de leurs dons, prétextant un amour fort les unissant.
De vacillation, aucune. On ne s’interroge pas sur le sacrifice de soi pour un « possible » dont ils ne connaissent strictement rien. Rêve de beaucoup de rhéteurs et autres dirigeants, l’obéissance de ce que j’oserais appeler ces cobayes est parfaite. Glaner le cours de l’horloge, mais nullement l’existence. Attendre, au lieu de perpétuer. Ne demeure-t-il, en cette situation, que la déréliction, un abandon moral en lequel faire libation de ses déboires et désabusements dans l’attente d’une mort méthodique, progressive, avec pour unique dringuelle s’imaginer que l’on a probablement rendu la vie à une personne que les héros de peuvent nullement envisager, car ils ne le connaissent point, demeurant dans l’ordre fuligineux de l’hypothèse ? Là où l’empathie du lecteur est aiguillonnée, Kathy, Ruth et Tommy semblent incapable de la moindre révolte. Modelés ils furent par la soumission, asservis ils demeureront, dédaignant la réflexion sur une existence qui, de toute évidence, les dépasse et ne revêt aucun attrait pouvant dulcifier leur destin froid comme l’acier, comme le fer du scalpel appelé à plonger précautionneusement en leurs chairs vivaces. Ainsi, les survivances de leur passé à Hailsham reste toute ce à quoi ils peuvent se rattacher, en un ultime réconfort avant la mort établie ; cette pitié extrême restant, fébrile et froide comme un débris : les gérants du pensionnat les dotèrent d’au moins un « précédent » vers lequel se lover en mémoire, à ces êtres ne jouissant point du moindre avenir. 

Pour les curieux, une adaptation cinématographique de ce livre est sortie sur les écrans en 2010. Réalisé par Mark Romanek, le film met en scène Carrey Mulligan (Kathy), Keira Knightley (Ruth) et Andrew Garfield (Tommy).

dimanche 12 février 2012

Mrs Dalloway, lecture en demi-teinte




S’il m’était demandé de tenter de définir cette œuvre de Virginia Woolf en quelques mots, je crois que je ne pourrais faire meilleure utilisation des termes de « roman de la négation ». Et ce refus, enveloppant les phrases, débordant du papier même, arrive à un stade d’invasion tel que cette position de rejet outrancier parvient finalement à phagocyter un propos qui aurait pu pleinement aiguillonner mon intérêt que je sais vif pour les âmes torturées, les fantômes de poètes maudits et autres personnages de Plume arrachés bien trop tôt à la Terre par la Faucheuse, ou suicidés.

Nourrie, possédée comme je me révèle être par les délicieux récits des temps passés, j’eus il est vrai un imperceptible mais néanmoins révélateur mouvement de recul lorsque j’appris que, dans le cadre de mes études de langue, j’allais entreprendre selon la volonté de mon professeur de lettres une incursion brusque dans une ère de modernité forcée et artificiellement créée par des auteurs révoltés propre à ce début de XXème siècle, post-premier conflit mondial.
Aussi est-ce, non sans défiance, que je plongeais dans cette œuvre, acceptant de fait de laisser libre mon imaginaire de courir vers cette nébuleuse vibratile, animée du seul et unique pernicieux but d’annihilation du sacro-saint Précédent, choisissant d’une délibération affligeante la voie de la répulsion pour le passé.  Woolf en effet, drapée dans son désir fulgurant d’irrationalité, refuse les codes usités déjà des siècles auparavant, ne conservant que cette unique et désarmante négation des us et autres coutumes littéraires. L’auteure, obstinément, refuse de fournir une intrigue, ce que l’écrivaine définit de ses propres termes comme une « illusion réaliste » qui tendrait, non point à une composition empreinte de logique pour le récit, mais bien à le désacraliser en louvoyant entre les détails, au sens de la romancière, fluctuants. De nature fondamentalement incertaine… une mutabilité dont la seule dangereuse fonction serait de desservir l’acuité du lecteur. Pourtant, ô combien louable est cette intentionnalité portant à rendre palpable la myriade d’impressions épurées, éprouvées en quelques vingt-quatre heures au creux du quotidien d’une dame, où l’héroïne versatile : Clarissa Dalloway, se voit peu à peu enclavée, incluse malgré sa volonté quoi que vacillante, dans un espace réduit qu’est son « moi » intérieur, en un mouvement de révulsion presque épidermique à l’encontre du monde extérieur.
De cet enfermement teinté d’incroyance naît l’hyperesthésie du personnage principal, taraudée par ces cyclothymies qui auraient pu exacerber sa cognition, mais il n’en est rien ; et c’est en ces lignes que je me hasarderai à mes remontrances acerbes, mais accompagnées d’un goût amer d’incomplet, de gâchis irrattrapable. Woolf met en lumière dans les pages de Mrs. Dalloway un paradoxe antinomique évident, provoquant un vertige de l’être : la révélation nue de la successivité des « moi » diversifiés de façon égale aux différents états sentimentaux par lesquels une personne peut passer au cours d’une simple journée. Noble appert ainsi la motivation de dévoiler dans toute son impudeur cette pluralité des états de l’être, un « je » en ce sens que Virginia Woolf décrit comme une créature vivante mais malgré tout, dénuée de contours distincts ou précis. Elle se pose ainsi à la manière d’une peintre impressionniste, appliquant les couleurs au gré du temps changeant ou du sens capricieux du vent, plutôt que comme une adepte du classicisme ne déposant jamais la moindre teinte sur une toile avant d’y avoir tout tracé au dessin, au préalable. Le hasard, la spontanéité devient reine, abandonnant la minutie du travail préliminaire à toute conception littéraire, ou même ici pour filer la métaphore, picturale. Le moi apparaît ainsi comme fuligineux et tout autant incertain ; une forme de doute persistant que l’écrivaine tenta de retranscrire de par son style d’écriture, laissant libre cours à une porosité narrative mais en cela au détriment même des contours à mon sens nécessaires à toute construction d’une œuvre littéraire qui ne saurait faire sens sans ce cadre qui lui permet de faire corps avec ses profondes significations. Ainsi le lecteur se retrouve-t-il perdu au milieu d’un brouillamini sans fin, aux inepties galopantes rendues inévitables par cette volonté butée de ne plus faire la distinction entre l’action et l’introspection. De ce fait, la notion même de personnage se retrouve impérieusement contestée via des limites volontairement floutées et où, soufflet suprême, le logique ne fait plus sens.
Ses personnages, non plus aspirant au réel intrinsèque aux mots, et désormais encore moins  « ressemblant à un être vivant » deviennent tels des parcelles disjointes ; encore une fois, l’auteure réalise une forme de regrettable économie dans son récit. Or, cette parcimonie en vient à desservir son œuvre et à trop vouloir réduire à peau de chagrin la trame même du récit (si tant est qu’il en existe une quelconque pour Mrs. Dalloway), elle la tue, meurtrissant sa propre production intellectuelle ; le texte ici devient à mes yeux davantage glossolalie obscure que construction syntaxique. Alors revient, ritournelle exaspérante, cette notion de « trop », déstructurant le roman, conférant un poids de plomb à une narration réduite à son plus strict minimum, originellement pour servir le ressentit du personnage, mais œuvrant finalement à l’encontre aussi bien des caractères que du lecteur, découragé par ce non-sens placé sur un piédestal de fange et de bourbe. Clarissa Dalloway rejette le paraître pesant qui ne semble lui convenir nullement, et alors brouillant le linéament de par la non-volonté de puissance, elle fait le choix de l’aisé en refusant un quelconque distinguo entre l’affectif et le représentatif ; image pourtant fondamentale aux sociétés, plus encore sûrement à la précieuse mondanité londonienne, hantée en filigrane par son flegme légendaire. Par tous ces effets captieux aspirant à se placer, en définitive et plus que jamais, à contre-courant  des modes ayant précédé son époque, Virginia Woolf rendit malgré elle- je souhaite le croire- son œuvre inaccessible. Malgré mes déboires tout au long de cette lecture laborieuse aux écueils dont le tranchant n’égalait que le nombre, il m’est cependant nécessaire de saluer l’exceptionnelle fibre, la réceptivité à fleur de peau de l’écrivaine qui à mon sens, caractérise primordialement l’œuvre de cette femme, en déroulant avec une richesse rare une capacité paroxystique à l’introspection qui lui permit d’exploiter tout autant qu’aborder l’inintelligibilité éternelle des failles ontologiques humaines ; un talent aléatoirement exploité dans le roman qui nous occupe, tant l’impression de brouille et d’imperméabilité envahis le lecteur à la manière de flots furieux, immobilisant puis réduisant à néant l’intérêt du lecteur, car rigidifié par ce limon d’inutile faisant office de lit pour ce courant de conscience détestable.
Cette romancière aux élans nihilistes qui critiquait d’un ton vindicatif l’Ulysses de James Joyce en ces termes : « diffus et bourbeux ; prétentieux et poseur » dans son Journal d’un Ecrivain, aveuglée tant par sa confiance extrême en un talent indéniable que par sa haine de ce qu’elle nommait « l’abomination réaliste » des œuvres passées, ne semble pourtant nullement réaliser qu’elle tombe exactement dans les mêmes travers.

Serait-ce dont trop m’avancer si j’affirmais ce point : aux trois vexations Freudiennes, j’accolerais une quatrième purement Woolfienne et qui est, m’est avis, l’élément déclencheur de la rédaction de ce non-roman : sa brusque compréhension de son inutilité au monde ; et de cette subite destruction du nombrilisme fait roi, s’ajoute fugitive mais cependant certaine, un refus de volonté d’élévation nietzschéenne. Et que faire en cette situation, sinon se laisser porter par la lâcheté : le choix condamnable de se résoudre misérablement à ne plus exister que dans l’immédiateté de ses sensations ? Voilà une réduction de l’être que je ne puis concéder, marchant de paire avec une croyance en la pureté fondamentale de l’homme, notion discutable du reste.
Mrs. Dalloway reflète ainsi son époque, mais sa volonté de destruction du roman jugé arbitrairement passéiste du fait des ruptures historiques profondes survenues entre 1870 et 1920 la dessert, et la décrédibilise. Rompre avec le beau pour s’essayer à naïvement glorifier l’inutile, rendre plus palpables des sentiments maladroits au détriment du récit, tourne ce travail littéraire en une non-œuvre, tant elle s’est laissée dévorer par l’absolue négation de l’univers alentours à son auteure.

Pour aller plus loin : peut-être le dernier ouvrage en date de ma professeure de Lettres qui m’a appris, bien malgré elle, à détester Woolf : Anne-Marie Smith-Di Biasio : Virginia Woolf, La hantise de l’écriture. En vous souhaitant évidemment, de découvrir ses trésors cachés aux œuvres de Woolf que je ne suis point parvenue à apprécier. Pour les cinéphiles, il y a l’excellent film de Stephen Daldry : The Hours (faut-il le rappeler, premier titre envisagé par l’écrivaine pour son œuvre Mrs. Dalloway).

dimanche 5 février 2012

John Keats - Poèmes



Seul dans la splendeur

Je l’ai modelé, susurré, conçu en mon esprit telle une évidence dont je ne saurais pourtant nullement me détacher en cette heure ; car qui suis-je, vacillante parmi les improbables plumes en devenir, en ses hésitations stylistiques tendant vers des envolées étymologiques grandement empreintes de passéisme, pour m’attarder sur l’exceptionnelle évanescence des écrits poétiques ? Les mots sur lesquels je me suis décidée à m’attarder font d’autant plus figure de piliers culturels que leur auteur jouit en l’imaginaire de la Masse d’une aura divinisée par l’ahurissante pureté de sa production artistique. Ici dès lors s’enracine le paradoxe brillant dans l’évidence que de s’astreindre à la tentative de placer des termes à la logique essentiellement explicative sur une écriture muée en Olympe de l’argutie indicible, inanalysable dans sa dimension abscons,  tant ils paraissent fuligineux. Ainsi s’entérine ce questionnement : comment considérer la poésie, châsse d’égarements où les mots tout autant que leurs sens se voient transcendés par l’allégresse lyrique, inatteignable pour un lecteur se plaçant sous l’égide d’une logique définitivement à bannir de son esprit. Exercice périlleux certes, je ne puis que le concéder ; de ce fait je me place sciemment en connivence avec l’imaginaire.
Puis-je débuter en rendant hommage aux deux opus qui m’amenèrent à découvrir John Keats ? En premier lieu, ce fut le long-métrage réalisé par la talentueuse et non moins précautionneuse Jane Campion, intitulé Bright Star, vibrant hommage à un des poèmes les plus connus du jeune écrivain, quintessence de l’expressivité amoureuse et de cette félicité,  que ce sentiment seul parvient à charrier dans son sillage altier. Ensuite, je n’omets point les travaux de l’auteur Dan Simmons, féru de lyrisme et s’extasiant à chaque ligne dans son culte pour Keats, dont les deux romans de type space-opera : Hyperion et Endymion reprennent les titres des seules épopées rédigées par le jeune romantique, et dont le fantôme malheureux hante toute la trame de ces récits de science-fiction d’une complexité habilement travaillée. Nul besoin d’aucun autre élément pour aiguillonner, cajoler ma curiosité éveillée par le mysticisme prégnant ces œuvres, et habitée d’un état d’esprit sous la férule de cette recherche du neuf et de la découverte, je me procurais un mince recueil portant lui aussi comme titre le premier vers d’un poème, collection de quelques sonnets et de rares odes, sortes de cantilènes bruissant suavement au cœur des pages, libérés de tout carcan, ne tendant qu’à atteindre une forme mystérieuse de firmament  littéraire.


Bright star ! Would I were steadfast as thou art

C’est sous le joug d’une peine poignante que l’ont ne peut que constater, comme le veut un séculaire adage au cynisme révoltant, ô combien nombreux sont les artistes qui composent une constellation aux éclats flavescents de ceux dont la postérité ne s’avère capable d’entendre le talent qu’une fois passés dans l’autre monde ; quel satisfecit d’une ironie inacceptable ! Mais il faudrait en cet instant dulcifier mon propos, car peut-être une fois trépassé qui sait, le poète a-t-il seulement atteint cette absolution, enfin cette concorde avec la nature qu’il briguait tant ? Une revanche, sûrement, contre ceux dont il s’était attiré l’opprobre de par son incapacité à percevoir l’hideur des éléments alentours, seulement chantre des louanges que lui inspiraient la nature. Car c’est bien en Gaïa qu’il faut rechercher la source de ces hypotyposes impétueuses, l’essayiste Robert Davreux allant jusqu’à user du terme d’ « hyper-réceptivité ». À mon sens, Keats n’aurait point dérobé sa place, son rôle prépondérant au sein des métamorphoses Ovidiennes, car ce ne sont plus les termes languides d’un auteur que l’on rencontre au cours de la lecture, mais bien davantage les productions minutieuses d’une sorte de caméléon, faisant preuve d’une observance exacerbée aux codes de la poésie, tout en leur insufflant une nouvelle signification de par sa concupiscence émerveillée. L’imprégnation à son œuvre est ainsi rendue ardue par une ingéniosité méticuleuse, du fait de la capacité du poète à transfigurer son œuvre d’imaginaire. Au-delà du simple constat, Keats est géniteur, il crée ce que la Nature, malgré sa force démiurgique, n’est point parvenue à modeler seule. Œuvrant ainsi de pair avec Mère Terre, le jeune homme s’imprègne de son environnement avec une ardeur rare, ainsi se conférant un pouvoir d’adaptation aux éléments que son regard lui offre, ces perceptions indiquées par ces sens en émois. De sorte à être en mesure de lire John Keats, il m’apparaît d’une nécessité primordiale de posséder l’art de se défaire d’un atavisme ayant enseigné à tout lecteur la volonté du concret et du prosaïsme, pernicieux préceptes, doctrines de l’aveuglement ! Déposant les armes, le lecteur doit être en une disposition de sorte à s’offrir, et à l’image inspiratrice du poète, concéder aux mots de les laisser le vider des composants même de son identité pure, de manière à être à même de personnifier l’alentour.  L’égo n’étant plus, demeure le rôle unique de médiateur de la Nature, une implication de Pythie, que le jeune romantique accueillait, en chérissant cette magnificence, hoir de l’inspiration.

A thing of beauty is a joy for ever

Peut-être par une forme d’arrogance caractéristique à ceux qui manient le lyrisme d’une aisance insolente, l’auteur s’impose aux lecteurs à la manière de celui qui aurait fait sienne la mission de passer des lois extrasensorielles ; heureux dans la pétulance, il se veut interprète de règles qui dépassent l’être général, l’existentiel, et que celui qui découvre Keats n’est pas forcément à même d’entendre, puisqu’ayant antérieurement l’usage de porter au pinacle le sacrosaint rationnel. Entre le labile et la quintessence, le poète se veut intermédiaire. Il est une corde tendue sur le point de se briser, tant qu’un léger souffle de vent suffirait à la rupture des liens. Il se pose ainsi comme frémissant dans l’attente du prochain geste que lui offrira la nature ; comme un oiseau il garde les sens éternellement en éveil, aux aguets, et seul le silence peut lui paraître salvateur. Je le vois comme une cire molle que l’environnement peut marquer à sa guise de sa main invisible ; éveillé aux expériences presque folkloriques, ses vers deviennent prolongation d’une primauté éclatante. Je ne puis ainsi que conseiller aux lecteurs de John Keats de s’efforcer à se faire offrande à un ressenti plein, se plaçant bien au-delà du sensoriel, de sorte à pouvoir percevoir ce qui apparaît ardument accessible : l’éther. J’insisterais également sur un autre point, qui est celui de lire pleinement, c'est-à-dire nullement autrement que plongé dans la solitude, car c’est uniquement en présence de sa seule personne que l’on perçoit mieux, les opinions et influences extérieures étant réduites à néant.
Je considère que l’origine même de l’effarant talent du poète fut d’apprendre à se contenter du mystérieux, de l’incertain, et du profond questionnement face à l’insaisissabilité des choses ; de sorte qu’il maîtrise ainsi l’art de ne point tomber dans les pièges de la néfaste rationalité, qui nous habite pourtant tous. En ce sens, l’auteur parvenait à combattre ce qui est intelligible pour s’attacher au monde imaginaire, en ce qu’il possède de plus fou, de la même manière que le faible se soumet aux affres de l’alcool pour s’autoriser les bonheurs d’une folie occultée par l’ivresse. In vino veritas n’a jamais été aussi vrai, sauf que le délicieux poison de Keats n’est nullement une quelconque substance éthylique, mais bien l’inspiration pure venue de l’univers environnant sa feuille, sa plume, ses sentiments exacerbés.
Aussi lecteurs, plongez-vous dans ces vers qui justifient pleinement l’aura enveloppant aujourd’hui leur énonciateur, one whose name was writ in water.
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