samedi 7 janvier 2012

William Faulkner - The Sound and The Fury



Je considère The Sound an The Fury comme l’œuvre la plus personnelle de William Faulkner, une forme de « confiteor » où l’auteur américain exorcise ses addictions à l’alcool, et ses déconvenues face à l’évolution autodestructrice des états du sud des Etats-Unis face à leur brusque perte d’influence, héritée de la fin de la guerre de Sécession. Par honte, ou peut-être est-ce par répulsion, Faulkner impose une distance nécessaire entre la réalité crue et son propos, en situant l’action de son roman dans la région de Yoknapatawpha, un Mississippi fantasmé et un déguisement grossier autant que peu crédible, dû aux souvenirs bien trop vivaces de l’écrivain qui y passa la plus grande partie de sa vie.

Il s’octroie ainsi, d’une certaine manière, le droit d’y jeter d’un trait de plume le vice et la fureur dans ses formes les plus pures, primaires, brutes. Et c’est alors qu’un souvenir s’impose de lui-même, une évidence refait surface au sein d’une lointaine lecture d’un auteur faisant figure de pilier au cœur des Lettres anglophones : William Shakespeare ; il y puise son titre, s’inspirant d’une impérieuse tirade de Lady Macbeth : « Life's but a walking shadow, a poor player that struts and frets his hour upon the stage and then is heard no more: it is a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing. » Une phrase où les flots de sa colère folle vibrent et bouleversent le spectateur, une démence exprimée de sorte à occulter à autrui une angoisse obsédante et hautement pernicieuse : celle de l’impuissance humaine face à la déréliction de l’honneur, lorsque l’Homme a vendu son âme au démon de la violence. S’il n’était qu’un unique fil rouge à mettre en exergue au cœur de cette œuvre, je choisirai de faire ressortir celui de la destruction de l’être et des rapports humains, causée par la peur déraisonnée, mais obsédante.

Comme le soulignait Jean-Paul Sartre dans un article au Times : « rien n’arrive, tout est arrivé. » Le lecteur se trouve ainsi au beau milieu d’un champ de ruines fumantes, seuls les débris épars et déchiquetés laissent entrevoir la férocité de la tempête qui vient tout juste de passer. Or l’incompréhension dominera tout du moins au long du premier chapitre de l’œuvre, rédigé du point de vue de Benjamin Compson, que je regarde comme la masse conglobée de toute la colère, la rancœur teintée de frustration de la famille habitant le centre de l’œuvre. Benji, sorte d’histrion autiste de vingt-sept ans, traverse les années en se comportant avec l’indigence d’une bête ; il est une forme de personnification de l’infamie poursuivant, telle une Erinye furieuse, les Compson. Or, là où Faulkner le présente dans un premier temps comme une créature repoussante dans toute l’ampleur de sa bestialité, il est à mon sens, pauvre être plongé dans la velléité et dans l’impossibilité de réaliser le monde alentour ; personnifiant ainsi toute l’acrimonie de ses deux frères aînés, Jason et Quentin. Car contrairement à l’animal fait homme (ou peut-être est-ce le contraire ?), eux dans tout le chagrin de leur condition humaine, sont labiles, sujets aux affres du temps ; pire, ils en ont pleine conscience, quand les journées glissent sur Benjamin, inapte à une quelconque lucidité.
Là où le second né de la fratrie, Jason, envisage le cours de l’horloge sous un aspect purement pécuniaire, l’aîné Quentin souffre d’une oppression incommensurable face à la fuite des heures. Parce que le malheur d’un homme est d’être temporel, la poussière humaine décide de marcher contre les brusques bourrasques de vent qui le poussent vers le néant. Refusant farouchement de se voir avili par la temporalité, il brise de son talon la montre de son grand-père, réduisant à rien la notion d’hérédité, d’atavisme, et de mortalité. Pourtant, son tic-tac le poursuit, au cœur des arcanes de son esprit malmené par des pensées contraires, tiraillé et torturé par la névrose. L’auto-conviction  ne plante cependant nullement ses graines dans un terreau fait de roche et de cendre. Et, de sorte à placer un point final à ses errances morales tout autant que physiques face à l’hideur d’un quotidien qu’il rejette de tout son être, celui qui s’était un temps cru supérieur à la chronologie, emprunte le chemin de la lâcheté en choisissant le suicide.

La notion de temps revêt donc un rôle de clé de voûte au fil des quatre chapitres de l’œuvre, et William Faulkner semble prendre grand plaisir à torturer deux de ses principaux personnages en paraissant leur dire que leurs angoisses sont parfaitement fondées, et les conforte insidieusement dans cette idée en optant pour le style littéraire du « stream of consciousness », comme le résultat d’un accord tacite entre le réel figuré par l’écrivain et l’imaginaire, sa création, sa chose. Nous voici donc arrivés au seul point me dérangeant dans ce riche roman : le choix de l’écriture, la décision de l’auteur de laisser courir ses mots à l’image d’un torrent furieux, roulant en son lit des galets acérés qui écorchèrent tout ce à quoi j’étais habituée. En effet, The Sound and The Fury fut mon premier contact avec le courant de conscience (je vous vois déjà bondir ! Mais à ceux qui m’admonesteront en me jetant à la face : « vous n’avez pas lu l’Ulysses de James Joyce ! », je leur rétorquerai : « vous non plus ! ») Envahie par une grande surprise, je compris progressivement que ce type d’écriture déconcertant était géniture de ce sentiment de révolte de l’auteur lui-même. Révolte contre l’effondrement de ses chers états du sud des USA, aigreur face à ces aspects autobiographiques qui teintèrent involontairement son récit, fureur –encore elle- face à son impuissance à se libérer de son addiction à l’alcool qu’il a transposée dans le personnage de Jason Compson père, et qui est très probablement à l’origine de l’implosion de cette famille condamnée à l’effondrement par la haine viscérale et le refus à s’abandonner à cette faiblesse nommée amour. Je fus aiguillonnée, choquée, mais surtout terriblement intriguée par cette plume criante de nihilisme, suintant la révolte. Malgré mes efforts, je me trouvai cependant dans l’incapacité de m’ouvrir à cet iconoclasme stylistique, et je me mis à envisager des plus sérieusement que Faulkner souffrait d’une forme rare d’amnésie qui avait uniquement ôté de sa mémoire la manière d’user de toute forme de ponctuation. J’ai pleine conscience que l’écriture se voulait le reflet de cette colère intrinsèque et qui transcende jusqu’à la plume, mais à mon sens, il n’était nullement nécessaire de décider de biffer arbitrairement une des bases de l’écriture. Rédiger, c’es transcender la parole, chercher à la sublimer, alors pourquoi avoir choisi, armé d’une délibération déconcertante, une déconstruction aussi inutile que repoussante, qui de prime abord pourrait servir le récit, mais après lecture plus poussée, le dessert totalement ?

Je considère que le véritable défi fût été de s’efforcer à révéler, dénuder les névroses et doutes extrêmes des différents personnages en usant d’un registre de langage des plus soutenus, et tenter de faire passer les terreurs et les haines via le verbe et non point par le massacre déchaîné de la syntaxe. Les déconcertassions se révèlent si brusques, déboussolant telles un soufflet, qu’il devient aisé pour le lecteur de se retrouver dans une perte complète de compréhension, qui comble de malheur! pourrait faire naître la possibilité de lui donner envie de refermer l’ouvrage avant ses ultimes termes. Il appert ainsi évident d’affirmer que parcourir cette œuvre nécessite d’emblée un caractère persévérant. Pour permettre au lecteur de se retrouver dans cet enchevêtrement, cette anarchie de phrasés amputés (qui atteint son apogée lors du deuxième chapitre narré par Quentin Compson, où le cours des hypotyposes atteint une violence rare, jusqu’aux ultimes mots de cette partie quand un brusque changement intervient, comme un sursaut de pudeur : la mort de Quentin est cachée), seules quelques majuscules distillées avec parcimonie permettent de reprendre le cours du récit, entrecoupé par les sursauts d’angoisse des différents narrateurs ; mais comme le veut le séculaire adage : la peur n’évite pas le danger, et la prise de conscience de ce risque planant sur la dynastie Compson ne permettra cependant à aucun de ses enfants de la sauver de l’infamie et de l’iniquité. Le personnage de Jason, suintant le lucre, la faiblesse et la boisson par tous les pores de son épiderme, achèvera même de saborder le navire en se vautrant dans son caractère aboulique et veule, après que les rats (en la personne de la sœur Candace) aient d’abord fui l’embarcation en perdition.
Ainsi, nonobstant les errances stylistiques de l’auteur que de nombreux critiques ont tout de même trouvé dignes d’applaudissements, l’on peut affirmer que The Sound and The Fury fait partie de ces grands romans des disparates Lettres américaines. En guise de lectures complémentaires si le cœur vous en dit, je ne puis que conseiller Absalon! Absalon!, qui revient au cœur du foyer Compson, creusant encore un peu plus la psychologie de deux des enfants de cette famille damnée et abandonnée des bons auspices de la providence.

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