lundi 12 mars 2012

William Blake - Poèmes





Sont-ce les ambitions démesurées qui octroient l’espérance de pouvoir effleurer l’éther du sublime ? En tous les cas, voilà une idée qui me plaît et ravive mes curiosités tout autant que mon appétence envers les Grandes Œuvres qui pavent d’or les voies de la littérature.
Artiste, graveur, écrivain, poète, et la providence seule, a pleine conscience que de nombreux autres épithètes pourraient lui être alloués, William Blake est de ces géants à la plume adamantine dont le talent résonne toujours au travers de nos âges, et censément nous pouvons annoncer que les avenirs séculaires évoqueront encore son nom. La précellence de sa notoriété revenant de prime abord à l’art de la gravure, dont seule une famélique part nous parvint, c’est en tant que maniant le lyrisme que j’eus le bonheur de le découvrir, ma curiosité sise dans les quelques apologues et autres odes dont il fit le généreux don à la postérité.
The Book of Thel, The Marriage of Heaven and Hell, The Everlasting Gospel, trois recueils bien minces, pour l’ambition d’une vie, réécrire les textes saints, les fuligineuses évangiles, tat de récits fantaisistes faits de rets et de subordination du faux qu’il aspirait à en livrer sa propre interprétation. Un solennel plaidoyer pour l’imagination et ses innombrables ramifications donc je vais tenter de vous parler en ces lignes.

The road of excess leads to the palace of wisdom

Sans même le frémissement d’une vacillation, je ne pourrais jamais tant vous recommander lecteurs, de lire la poésie de Blake dans le texte, et peu vous chaut si les méandres de la langue anglaise ne vous sont nullement familiers, de nombreuses éditions bilingues existent en les rayonnages de boiseries de toute bonne librairie ; de plus il appert que le lyrisme voluptueux  de la poésie de l’auteur suffira à vous imprégner de leur anagogique et sapience sens. Ardent lors de son processus de réinterprétation du sacro-saint, William Blake produit au fil de ses vers une nouvelle et sensitive bible, puis se mue en truchement d’une recomposition de la Torah, aspirant fou peut-être qu’il était à entendre pleinement, dans son entièreté perfectible la quête ultime de la création. Inférant un renversement de situation religieux, Blake s’inscrit dans une profonde transgression chrétienne, incapable qu’il est, mortel dans sa vicissitude, à entendre les arcanes de la vie, il se met au cœur de ses vers à apostropher, blâmer le Créateur, interrogeant ainsi le divin ; à l’image de Satan qui s’était lui-même livré à cette attitude transgressive dans Le Livre de Job, provocant un basculement abstrus où la divinité de jouit plus de la précellence, subissant les questions inquisitrices du poète tourmenté par ses visions illusoires d’un monde tout autant palpable puisque labile qu’il réfute de tout son être. Il subodore ainsi une quintessence de ce qu’il aspire à atteindre au travers la réinterprétation de la parole de dieu. Habité par les contrastes de ses vastes connaissances, le poète anglais se mue peu à peu, au fil du Livre de Thel, en une sorte de nouveau prophète en lequel dorment des questionnements incommensurables, car là où un prophète traditionnel accomplis sa parole ou un texte donné, William Blake lui, tant son propos s’avère prégnant, l’incarne et l’annonce au travers de proverbes tartaréens ponctuant les pages du Mariage du Ciel et de l’Enfer. Ces termes, annonciateurs de bouleversements adornent les pages, dérangeantes, car elles expriment pleinement une repoussante volonté de Mal ; une notion de mauvaiseté que l’on retrouve un demi-siècle plus tard chez le Comte de Lautréamont et ses Chants de Maldoror. Qu’est-ce, si ce n’est sans cautèle aucune ni brisement se livrer corps et âme à une volonté et une fascination paradoxalement agneline pour le néfaste ? Ce néfaste, intrinsèquement la transgression même de ce que toutes les religions tendent à nous enseigner depuis des ères antédiluviennes, au travers de leurs récits fantaisistes et criblés de bons esprits. Au cours de ma lecture du recueil de poèmes de l’écrivain, je me plaisais à laisser vagabonder mon imagination, retournant au XIXème siècle, me peignant Blake transformant ses vieilles bibles en vulgaires collections de palimpsestes, dans lesquels il aurait réécrit de sa plume acérée et noire ses propres termes, ses propres visions hallucinées dont suinte l’obliquité vers un esprit de contradiction inné qui s’aiguise au lieu de se corroder sous les affres des années, mirifiques témoins d’un esprit autant unique que pleinement révolutionnaire.
Cette inéluctable idée de Mal nous évoque sain plus clairement la préférence, le goût de l’auteur pour l’Ancien Testament, qui met en scène en un sabir étrange un dieu jaloux, violent et sanguinaire envers ses frêles adorateurs, avilissant à l’image d’un Seth égyptien qui tire son appétence pour le mauvais de sa frustration d’avoir été relégué aux aridités infinies des déserts brûlants, couleur safran. Aussi n’est-ce point surprenant de découvrir, survivance dans ces lignes inédites dans l’histoire des Lettres anglo-saxonnes cette fascination nitescente du poète pour John Milton, dont il disait dans tout le rayonnement de son admiration qu’il était du parti du Diable sans le savoir, puisque poète. Les artistes maniant le lyrisme seraient-ils ainsi chantres des enfers, comme il est ici insinué, de par leur capacité à voir au-delà du réel et des choses aisées à appréhender ? Milton, faut-il le rappeler auteur du Paradise Lost, est tenu en modèle absolu, et proche de la production poétique de William Blake ; même si le prédécesseur se veut interprète d’une vision du péché originel et de la faute d’Adam et Eve, le Diable demeure indéniablement le personnage central de son poème épique. Telle une assertion arcadienne apparaît de fait le but originel de l’écrivain : exprimer le Mal dans sa plénitude, puis fermer toute possibilité à ce dernier, puisque via la parole de l’auteur, tout aura été prononcé, exprimé (une notion évoquant les travaux ultérieurs du philosophe allemand Friedrich Nietzsche dans son opus Par delà Bien et Mal).

What is now proved was once imagin’d

Aux yeux de l’auteur, la transgression lyrique se fait réparation narcissique, une prééminence vitale à ses yeux. Au creux des textes collectés dans The Everlasting Gospel, Blake fait don de la subordination à la quête de l’innocence, ce thème universel qu’est cette pureté idyllique à retrouver car perdue au moment de la venue à la vie ; l’auteur s’efforce à retrouver cette énergie originelle du commencement même, qui évoque de fait une angoisse inepte face à la mort, illogique car enfantine. Cette idée Camusienne de la prise de conscience l’absurdité de l’existence à un stade où l’homme est encore à vitupérer sa faiblesse de réaction se retrouve tout au long de ses vers. Thème éminemment anglais que cette notion de « untouched », la splendeur immaculée de l’innocence qu’aucun élément putride de l’extériorité ne serait encore venue souiller, ce qui n’est pas sans nous évoquer le souvenir de la philosophie du penseur John Locke, voyant l’Humain à l’image d’une page blanche progressivement encrée au fil des expériences, idée à laquelle s’oppose cependant fermement Blake puisqu’il expose dans Le Livre de Thel la thématique insondable mais censée comme quoi l’Homme posséderait des capacités internes dès sa venue au monde, mais cependant brimée par cette fameuse expérience  avancée par Locke. Alors, dans la tentative de dépouiller la vérité même, Blake passe la totalité des éléments l’environnant au travers du filtre propitiatoire de l’imagination, seule capable de révéler l’être humain à lui-même ; car dans le monde des sens, le poète lui part en quête de l’Absolu via l’halluciné et l’incongru. Or, l’imaginaire, terreau fertile du rêve et des délires opiacés est le berceau de créatures chères au cœur de l’écrivain, forgeant comme un de ses thèmes de prédilection l’idée de monstruosité qui sert la pensée insensée du Mal. Le Monstre en effet, mot venant du latin « mostrar » qui signifie « montrer », est effectivement celui que la populace désigne du doigt, l’exposant au regard et à la lie de la foule, au vulgus mugissant, pour sa seule faute d’être né différent. Ici réside l’idée de la pièce maîtresse de William Blake, sa volonté de montrer le Mal, l’analyser de sorte à le dépouiller de son essence effrayante même. Dévoiler ce Mauvais, pour mieux appeler à ce qu’il disparaisse en un jour heureux, et exploiter cette hypothèse iconoclaste que de la source des sept cercles de l’Enfer peut au demeurant jaillir le Bien : encore une fois la transgression quotidienne et suprême ; et elle s’avère prodigieusement superbe. Or, côtoyer le mal n’est-il pas faire reculer le mystère rude de la vie, en éprouvant par le blâme les limites de la misérable condition humaine de par la folie sublime, celle au cœur de laquelle l’on dépose toute arme, et où l’on s’affranchit servilement de toute connaissance, toute convention, toute intuition ; ainsi donnant place aux ressentis par l’illusion et les hallucinations lyriques qui sont substantifiques moelles chez William Blake ?

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