dimanche 5 février 2012

John Keats - Poèmes



Seul dans la splendeur

Je l’ai modelé, susurré, conçu en mon esprit telle une évidence dont je ne saurais pourtant nullement me détacher en cette heure ; car qui suis-je, vacillante parmi les improbables plumes en devenir, en ses hésitations stylistiques tendant vers des envolées étymologiques grandement empreintes de passéisme, pour m’attarder sur l’exceptionnelle évanescence des écrits poétiques ? Les mots sur lesquels je me suis décidée à m’attarder font d’autant plus figure de piliers culturels que leur auteur jouit en l’imaginaire de la Masse d’une aura divinisée par l’ahurissante pureté de sa production artistique. Ici dès lors s’enracine le paradoxe brillant dans l’évidence que de s’astreindre à la tentative de placer des termes à la logique essentiellement explicative sur une écriture muée en Olympe de l’argutie indicible, inanalysable dans sa dimension abscons,  tant ils paraissent fuligineux. Ainsi s’entérine ce questionnement : comment considérer la poésie, châsse d’égarements où les mots tout autant que leurs sens se voient transcendés par l’allégresse lyrique, inatteignable pour un lecteur se plaçant sous l’égide d’une logique définitivement à bannir de son esprit. Exercice périlleux certes, je ne puis que le concéder ; de ce fait je me place sciemment en connivence avec l’imaginaire.
Puis-je débuter en rendant hommage aux deux opus qui m’amenèrent à découvrir John Keats ? En premier lieu, ce fut le long-métrage réalisé par la talentueuse et non moins précautionneuse Jane Campion, intitulé Bright Star, vibrant hommage à un des poèmes les plus connus du jeune écrivain, quintessence de l’expressivité amoureuse et de cette félicité,  que ce sentiment seul parvient à charrier dans son sillage altier. Ensuite, je n’omets point les travaux de l’auteur Dan Simmons, féru de lyrisme et s’extasiant à chaque ligne dans son culte pour Keats, dont les deux romans de type space-opera : Hyperion et Endymion reprennent les titres des seules épopées rédigées par le jeune romantique, et dont le fantôme malheureux hante toute la trame de ces récits de science-fiction d’une complexité habilement travaillée. Nul besoin d’aucun autre élément pour aiguillonner, cajoler ma curiosité éveillée par le mysticisme prégnant ces œuvres, et habitée d’un état d’esprit sous la férule de cette recherche du neuf et de la découverte, je me procurais un mince recueil portant lui aussi comme titre le premier vers d’un poème, collection de quelques sonnets et de rares odes, sortes de cantilènes bruissant suavement au cœur des pages, libérés de tout carcan, ne tendant qu’à atteindre une forme mystérieuse de firmament  littéraire.


Bright star ! Would I were steadfast as thou art

C’est sous le joug d’une peine poignante que l’ont ne peut que constater, comme le veut un séculaire adage au cynisme révoltant, ô combien nombreux sont les artistes qui composent une constellation aux éclats flavescents de ceux dont la postérité ne s’avère capable d’entendre le talent qu’une fois passés dans l’autre monde ; quel satisfecit d’une ironie inacceptable ! Mais il faudrait en cet instant dulcifier mon propos, car peut-être une fois trépassé qui sait, le poète a-t-il seulement atteint cette absolution, enfin cette concorde avec la nature qu’il briguait tant ? Une revanche, sûrement, contre ceux dont il s’était attiré l’opprobre de par son incapacité à percevoir l’hideur des éléments alentours, seulement chantre des louanges que lui inspiraient la nature. Car c’est bien en Gaïa qu’il faut rechercher la source de ces hypotyposes impétueuses, l’essayiste Robert Davreux allant jusqu’à user du terme d’ « hyper-réceptivité ». À mon sens, Keats n’aurait point dérobé sa place, son rôle prépondérant au sein des métamorphoses Ovidiennes, car ce ne sont plus les termes languides d’un auteur que l’on rencontre au cours de la lecture, mais bien davantage les productions minutieuses d’une sorte de caméléon, faisant preuve d’une observance exacerbée aux codes de la poésie, tout en leur insufflant une nouvelle signification de par sa concupiscence émerveillée. L’imprégnation à son œuvre est ainsi rendue ardue par une ingéniosité méticuleuse, du fait de la capacité du poète à transfigurer son œuvre d’imaginaire. Au-delà du simple constat, Keats est géniteur, il crée ce que la Nature, malgré sa force démiurgique, n’est point parvenue à modeler seule. Œuvrant ainsi de pair avec Mère Terre, le jeune homme s’imprègne de son environnement avec une ardeur rare, ainsi se conférant un pouvoir d’adaptation aux éléments que son regard lui offre, ces perceptions indiquées par ces sens en émois. De sorte à être en mesure de lire John Keats, il m’apparaît d’une nécessité primordiale de posséder l’art de se défaire d’un atavisme ayant enseigné à tout lecteur la volonté du concret et du prosaïsme, pernicieux préceptes, doctrines de l’aveuglement ! Déposant les armes, le lecteur doit être en une disposition de sorte à s’offrir, et à l’image inspiratrice du poète, concéder aux mots de les laisser le vider des composants même de son identité pure, de manière à être à même de personnifier l’alentour.  L’égo n’étant plus, demeure le rôle unique de médiateur de la Nature, une implication de Pythie, que le jeune romantique accueillait, en chérissant cette magnificence, hoir de l’inspiration.

A thing of beauty is a joy for ever

Peut-être par une forme d’arrogance caractéristique à ceux qui manient le lyrisme d’une aisance insolente, l’auteur s’impose aux lecteurs à la manière de celui qui aurait fait sienne la mission de passer des lois extrasensorielles ; heureux dans la pétulance, il se veut interprète de règles qui dépassent l’être général, l’existentiel, et que celui qui découvre Keats n’est pas forcément à même d’entendre, puisqu’ayant antérieurement l’usage de porter au pinacle le sacrosaint rationnel. Entre le labile et la quintessence, le poète se veut intermédiaire. Il est une corde tendue sur le point de se briser, tant qu’un léger souffle de vent suffirait à la rupture des liens. Il se pose ainsi comme frémissant dans l’attente du prochain geste que lui offrira la nature ; comme un oiseau il garde les sens éternellement en éveil, aux aguets, et seul le silence peut lui paraître salvateur. Je le vois comme une cire molle que l’environnement peut marquer à sa guise de sa main invisible ; éveillé aux expériences presque folkloriques, ses vers deviennent prolongation d’une primauté éclatante. Je ne puis ainsi que conseiller aux lecteurs de John Keats de s’efforcer à se faire offrande à un ressenti plein, se plaçant bien au-delà du sensoriel, de sorte à pouvoir percevoir ce qui apparaît ardument accessible : l’éther. J’insisterais également sur un autre point, qui est celui de lire pleinement, c'est-à-dire nullement autrement que plongé dans la solitude, car c’est uniquement en présence de sa seule personne que l’on perçoit mieux, les opinions et influences extérieures étant réduites à néant.
Je considère que l’origine même de l’effarant talent du poète fut d’apprendre à se contenter du mystérieux, de l’incertain, et du profond questionnement face à l’insaisissabilité des choses ; de sorte qu’il maîtrise ainsi l’art de ne point tomber dans les pièges de la néfaste rationalité, qui nous habite pourtant tous. En ce sens, l’auteur parvenait à combattre ce qui est intelligible pour s’attacher au monde imaginaire, en ce qu’il possède de plus fou, de la même manière que le faible se soumet aux affres de l’alcool pour s’autoriser les bonheurs d’une folie occultée par l’ivresse. In vino veritas n’a jamais été aussi vrai, sauf que le délicieux poison de Keats n’est nullement une quelconque substance éthylique, mais bien l’inspiration pure venue de l’univers environnant sa feuille, sa plume, ses sentiments exacerbés.
Aussi lecteurs, plongez-vous dans ces vers qui justifient pleinement l’aura enveloppant aujourd’hui leur énonciateur, one whose name was writ in water.

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