mardi 22 mai 2012

Johann Wolfgang Von Goethe - Les Souffrances du Jeune Werther




Alors que l’on a parcouru les épars décors de cette Terre seulement une poignée d’année, famélique chiffre que vingt-cinq, est-ce alors aberration ou vanité de scander que l’on peut entièrement connaître le sentiment d’amour ? Et pourtant, Johann Wolfgang Von Goethe (né en mille sept cent quarante-neuf et mort en mille huit cent trente-deux) s’avéra le plus mirifique des chantres de ce sentiment, exacerbé par sa jeunesse et son esprit vagabond de jeune romantique divinisant les élans passionnés et la légendaire pureté féminine. Les Souffrances du Jeune Werther (Die Leiden des jungen Werthers) demeure pourtant un simple premier jet, le balbutiement littéraire d’un écrivain aussi connu qu’un fantôme évanescent et susurré au cœur d’un feu glacé d’hiver. Edifiant récit auquel on ne peut que concéder de faire preuve d’un rayonnement exceptionnel de par la force de ses mots et éclats sentimentaux, l’œuvre qui nous occupe paraît en mille sept cent soixante-quatorze, et tel démiurge d’un mouvement à naître, le livre annonce avec force et fracas le Romantisme ; et ce de part l’altière mise en exergue des abrasifs émois tout autant que déboires d’une âme tourmentée par les fers rougis à blanc de cet enfer insoupçonné nommé Amour, laissant des plaies purulentes et béantes.

Cependant, une fois passé tout sentiment de peine et de commisération envers une des plus malheureuses plumes de langue germanique, l’on peut censément se questionner sur la genèse même de ce livre qui rayonne via sa dissemblance avec toute l’œuvre à venir du jeune Goethe. C’es pourtant la banalité sidérante d’un quantième chagrin amoureux porté tel un volumineux fardeau par l’auteur qui nourrira le texte de ces éclats et autres tonnants anathèmes vers le cruel sort et la frêle raison. Le béjaune Johann Wolfgang tombe en pamoison devant la délicate Charlotte Buff, rayonnement de la naissance de ces véritables amours et crépuscule de son entendement  pour plusieurs longs mois ; car le cynisme du destin fait que la jeune femme a déjà prononcé d’indéfectibles vœux d’engagement auprès d’un des plus proches amis de l’écrivain, la connivence et la tendre affection des deux fiancés ne souffrant nulle tentation ou défiance. Las, Johann baisse les armes face à ces sentiments fallacieux qui ne pourraient que le guider ers la sente obscure du désespoir et de la déraison, ne supportant plus de se voir lui-même extravaguer à connaître un quelconque espoir de voir la belle demoiselle tourner son regard vers lui. Mais l’expérience appesantissante ne demeurera nullement stérile d’un point de vue créatif, puisque son livre emblématique (une place qui plus tard lui sera âprement disputée par la pièce de théâtre Faust) se verra rédigé en à peine un mois ; le pauvre homme s’éjouissant que ses soupirs transis ne furent nullement totalement vains. Les Souffrances du Jeune Werther tendent cependant à s’éloigner partiellement de la vérité, l’écrivain faisant le choix délibéré de ne point dulcifier a peine, mais bien de la transposer tout en l’intensifiant et lui conférant des scènes et situations hautement dramatiques qui augmentent le désenchantement du héros, Goethe s’enclavant d’une certaine manière dans le personnage de Werther.

Au cœur de cette œuvre épistolaire, ce dernier tombe éperdument amoureux d’une seconde Charlotte dont la blanche main fut déjà placée dans la poigne d’acier d’un riche et austère homme, plus âgé qu’elle, pauvrette  à la beauté sans pareille, véritable personnification d’un idéal typiquement germanique de la délicatesse filiale et perspective promise de l’établissement d’un foyer stable, rassurant, et empreint de pureté. Une divine créature presque, auprès de laquelle le récit nous permet de suivre la maigre progression du désespéré Werther et les tergiversations de celui-ci, forcé à brimer ses sentiments, proches de la félicité lorsque la jeune fille lui sourit, fange glaciale lorsqu’elle évoque avec des yeux pétillants son proche mariage avec un bon parti. Avec candeur, puis profond désappointement, les dévastatrices passions de Werther ressemblent à s’y méprendre aux imperturbables saisons, fleurissant au printemps parfumé, flétrissant et mourant en hiver à l’image du pitoyable héros choisissant l’aisance du suicide à une vie de perpétuelle souffrance ; n’ayant nullement foi en un quelconque changement, une probable évolution de ses sentiments, dont le déclin aurait pu se produire au fil des mois, tu temps inexorable. Ces humeurs se retrouvent ainsi étroitement liées à l’évolution cyclique de la nature, qui tient une place prépondérante dans les pages de Goethe (comme le veut l'époque littéraire de l’Empfindsamkeit), dont les descriptions délicates se font  admiratives et mélancoliques selon les éclats orageux du personnage principal, se détériorant progressivement, comme les fleurs et les feuilles jaunissant, se craquelant au rythme du cœur du jeune homme. L’on en vient à se demander si ce n’est point la nature elle-même qui se plie à la rythmique de l’amour de Werther, jetant son chagrin à l’empyrée tout autant qu’au papier.

Aussi tonnant que le vers de l’auteur, le retentissement du roman fut incommensurable dans les contrées allemandes, et naquit une allégresse envers l’écrivain, une gloire qui traversa les frontières du pays pour atteindre les voisins Français et Britanniques ; une renommée qui ne se démentira dès lors plus, allant au contraire croissante au fil du temps. Tant de cajoleries de la part de son lectorat qui viendront enrichir et aider à la propagation de ses œuvres suivantes telles que Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister (mille sept cent quatre-vingt-seize), ou encore la pièce dont je vous parlais tantôt, le non moins célèbre Faust (mille huit cent huit). Quant à la déréliction et à l’acrimonie du misérable Werther, elles en viendront à dépasser le cadre du roman seul et en lui-même, jusqu’à devenir le personnage central d’innombrables autres créations et œuvres populaires, uniquement transmises par les insaisissables voies du bouche-à-oreille ; disséminant ainsi d’étranges idées à ses jeunes lecteurs. Tant et si bien que d’obscures conservateurs de la morale, aigres, contrits et aux divagations qui dépassent tout entendement en vinrent à  accuser Goethe de briguer secrètement une détestable perversion de la jeunesse, oubliant que la puissance de la littérature peut défaire toute pudibonderie, et l’œuvre fit date dans les Lettres Allemandes, inaugurant à elle seule une vibrante nouvelle vision  de la sensibilité même ; ou de la façon de considérer et aborder les éclats amoureux sans aigreur ni haine, tant elle est dispensatrice de possibilités d’élévation de l’esprit.

De fait, le mouvement littéraire germanique du Sturm und Drang (signifiant littéralement « Tempête et Elan ») venait de se découvrir son deuxième maître, aux côtés de Friedrich Von Schiller, en la plume et la personne du talentueux Johann Wolfgang Von Goethe, période de lettre qui se voulait en ferme et dédaignante opposition avec les Lumières dominant alors la production littéraire européenne, mouvance blâmable car elle élevait aux nuées les arguties inutilement compliquées de la Raison, un raisonnement devenu avec le temps bien plus assimilable à une adoration proche d’un culte ; et ce quand bien même le Sturm und Drang ne jouit pas de la primauté quant à cette farouche opposition, puisque le mouvement avait déjà été initié par la Pamela de Samuel Richardson (mille six cent quatre-vingt-neuf – mille sept cent soixante et un) et bien sûr par l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau : Julie, ou la Nouvelle Héloïse, initiant une très brève mode des romans par lettre, qui ne survivra malheureusement pas au faix du Romantisme, en passe de voir le jour. Ainsi, marchant en les mêmes pas que les deux auteurs cités précédemment, Goethe semble vouloir, par l’expression du déplaisir, du désabusement et de la déconvenue amoureuse, à malgré tout envisager les élans du cœur avec le plus grand des sérieux, ainsi qu’à critiquer un univers aux dringuelles bien maigres qui semble tendre à nourrir les déceptions et chagrins de ses lecteurs, n’obéissant nullement à leurs plus secrets désirs. Selon Goethe lui-même, le désarroi générationnel suffit à faire la gloire de son livre, la jeunesse de son époque ne reconnaissant plus jusqu’à ses propres fondements. De fait devenait-il pleinement autorisé de décrire, de parler de ses doléances sentimentales, de ses exigences irréelles, de ses passions âpres qu’on s’astreignait auparavant à brimer autant que faire se pouvait ; l’âme soupirante n’ayant nulle place dans une société guindée qui, heureusement jetait ses derniers feux. Laissons plutôt davantage de place à la concorde des cœurs, aux terribles déchirements des esprits qui alimentèrent  les lettres de ce temps de leurs probables plus rayonnants et délicats ouvrages. Un éclat si aveuglant que ses émules se comptèrent par la suite par dizaines. Nous pourrions citer quelques noms à l’image de ceux de Alexandre Pouchkine (La Fille du Capitaine, ou encore Eugène Onéguine), Chateaubriand et son René, son Attala, ou encore Senancour avec Oberman. Peu importe ici si le récit diffère dans sa forme ou dans sa surface, l’avatar de Werther demeure indéniable.

Salué, imité, inspirant, Les Souffrances du Jeune Werther restera un ouvrage dont la beauté et la force ne peuvent censément se démentir. 

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