lundi 26 mars 2012

William Golding - Sa Majesté des Mouches




Je souhaiterais revenir si vous m’y autorisez lecteur, sur un insidieux sujet qui vrille mes pensées, emplies d’un désarroi et d’une grande incompréhension, depuis l’âge où j’acquerrai les capacités nécessaires à la délicate pratique de l’analyse littéraire. Avec observance, pour en voir naître la désapprobation, je me remémorai une œuvre que mon enseignante en français me fit lire, au cours de ma classe de cinquième, ère charnière où l’on n’est point encore sorti de l’enfance et nullement entré dans l’adolescence. Ce roman, je ne puis récuser que son parcours m’alloua un souvenir des plus désagréables, survivance de mes indénombrables frayeurs et divagations, face à un bouquin qui, à mon sens, tend à l’aberration des plus grotesques lorsqu’on le donne à parcourir à des enfants dont l’âge ne dépasse que rarement les douze ans. Cet opus, je vous en livre ici le titre et l’auteur : Sa Majesté des Mouches, William Golding.
Récit pleinement ancré en son contexte historique (l’œuvre fut rédigée en mille neuf cent cinquante-quatre), presque une apocryphe, l’écrit pose au travers de ses lignes nombre de questionnements sempiternels tout autant qu’existentiels : tandis que les forces dominantes de la morale, de l’ordre, et l’ombre gardienne de l’Etat disparaissent, peut-on en inférer la manière dont évoluerait irrémédiablement la société et les individus qui la composent (de jeunes enfants âgés de douze et treize ans : Ralph et Jack)? Est-il de fait judicieux, par la suite, de donner à lire à de tous jeunes élèves un travail littéraire où la violence se fait régulière, décors banal, et au sein duquel des interrogations éminemment philosophiques se retrouvent confrontées à l’esprit critique du lecteur, malgré le manichéisme flagrant de ses deux personnages principaux ?

L’échec du Bien

Dès les premières lignes, la centralité du personnage de Ralph ne laisse plus de doute. Issu de la haute société britannique, l’enfant ne cache nullement son intention de suivre, tel un laquais affidé, le modèle de ses pères, de placer le groupe d’enfants survivants au crash d’un avion sous la férule de bonne augure qu’est la démocratie (terme s’il est nécessaire de le rappeler issu du grec ancien « dêmokratía », modelé sur les bases que sont demos et kratos signifiant respectivement « peuple » et « pouvoir »). Et c’est tout naturellement que le garçon applique (ou tout du moins le tente) ce qu’on lui a inculqué, cherche à se plier aux ramifications de ce système étatique en s’emparant d’un imposant coquillage, une conque, qui ormais cristallisera le pouvoir de prise de parole ; la capacité d’aliénation volontaire d’autrui par l’imposition du silence, représentation pitoyable autant qu’ubuesque de ce qui pourrait être un sceptre, ou une toute autre myriade d’objets englobant tout symbole d’autorité.
Espérant par la suite que cette omnipotence de la raison perdurera jusqu’à leur sauvetage de l’île déserte om ils se retrouvent bloqués, le peuple (figuré par les plus jeunes membres du groupe d’enfants), se range auprès de l’illusoire et spécieuse –car temporaire- sécurité représentée non point via les paroles de Ralph, mais bien rayonnant autour de la conque faisant office de don d’autorité qui ne tardera pas à être au centre de toutes les convoitises.
Attiré tel une phalène par l’éclat vacillant  de la bougie, le personnage de Piggy, rejeté pour sa laideur, son obésité et son intelligence, accepte cette vassalité modérée, car il a pleine conscience que son savoir peut représenter un avantage non négligeable pour l’établissement du jeune Ralph au sommet de cette hiérarchie précaire. De plus, le finaud Piggy porte des lunettes qui lui permettent d’allumer le feu, garant de la civilisation via l’assurance d’une consommation d’aliments cuits. Science et sagesse, aveugles, récusant un temps les risques intrinsèques à une vide isolée du reste du monde et coupée de ses archétypes et héros, s’agencent pour donner la sapience.
Troisième et ultime élément venant adorner un modèle périclitant irrémédiablement est le personnage de Simon. Téméraire et sensé, cet enfant s’avère l’unique être doué véritablement de raison sur l’île, éprouvant le besoin, la rapacité, de se défier du doute. Apprenant les peurs teintées de déraison de ses camarades au sujet d’un éventuel monstre rôdant au cœur de la forêt, univers sylvain et reliquaire de tous les tourments enfantins et leurs étaux, l’enfant défie l’inconnaissable et se pose de fait en chantre de la Vérité. Sourcilleux dans cette quête pour la restauration de la salvatrice raison, il ne tarde pas à découvrir que la pseudo-créature n’est autre que le cadavre méphitique, car en putréfaction, du pilote de l’avion dans lequel se trouvaient les garçons avant de s’écraser dans cet univers paradoxal, paradisiaque dans son environnement, menaçant car revêtu d’inconnu. Oubliant toute cautèle sous l’influence de la surprise et de son rôle de porteur de lumière, il court vers ses camarades qui, durant son absence, se sont livrés à une fête orgiaque et se fait tuer par ces derniers, car ayant négligé leur glissement progressif vers une régression et une turpitude propre aux êtres dénués de repères, ayant échoué à construire un alias simiesque de démocratie.
De sorte, Simon se mue en une sorte de martyr, terme non moins important puisque son étymologie se puise en le terme du grec « martus », qui signifie « témoin ». Le martyr n’est nullement, comme le sens commun le considère à tort, simplement comme celui qui est tué au nom d’une cause. Non, il est mis à mort car il s’avère celui « qui a vu », et Simon fut témoin que l’inexistence du monstre, or sa révélation tonitruante menaçait la détermination du violent Jack en passe d’établir sa domination sur les jeunes enfants. Tel un prophète biblique, ne serait-ce que de par le choix du nom par Golding : Simon provenant en effet du Sim’ôn en hébreu, pouvant se traduire par « dieu a entendu », et l’un des frères de Jésus était également nommé de la sorte. Ultime puissante symbolique serait qu’il est à l’origine du titre même de l’œuvre, puisque ce n’est nul autre que lui qui, effrayé, baptise la tête de cochon pourrissante servant d’idole au groupe de Jack « sa majesté des mouches », créant un lien avec la traduction de ce titre en hébreu : Belzébuth, dieu païen dans l’Ancien Testament, simple et repoussant démon dans le Nouveau. Impuissant face à la psychose des angoisses destructrices prisonnières des arcanes de l’esprit humain, Simon meurt, dernier rempart contre le Mal gangrénant l’île et confirme que l’Histoire ne serait qu’un éternel psittacisme où l’on doit tuer non point le Père, mais celui qui apporte la bonne nouvelle.

La loi du plus fort est toujours la meilleure

Jouant des hésitations et des kyrielles obscures de Ralph quant à la nécessité de refonder une démocratie en un sol pourtant hautement mouvant, le personnage de Jack finit par se détacher peu à peu dans le récit. Personnification de la violence et de l’envie dans leur parfaite globalité, le jeune homme récuse de façon épidermique toute forme d’ordre et d’équité un tant soit peu proposées par l’alliance de ses ennemis qui engendra la sapience contre laquelle il tend à se dresser à son tour. Aventureux dans la déraison, charismatique car animé de violence et d’une fougue courageuse, il personnifie le totalitarisme et la dérive du sens vers la soumission totale en échange d’une incertaine car uniquement promise sécurité. Servile et pleutre, l’on ne dénombre en effet plus les évènements qui poussèrent les peuples à sacrifier leur liberté en l’autel de la sûreté, de sorte à être rassurés contre un extérieur menaçant car mystérieux. De par ses rébellions madrées et sa concupiscence, Jack parvient sans l’ombre d’une quelconque peine à s’emparer du pouvoir sur l’île en se reposant sur les piliers traditionnels du fascisme : les mythes, les menaces ectoplasmiques ainsi que non clairement définies, les peurs hoirs de celles-ci, et la faiblesse exaltée par la force représentative d’un chef unique, puissant et faisant preuve d’une indicible brutalité à l’égard de ses vassaux qui lui remirent en main les clés de leurs droits intrinsèques car ils étaient en un état d’égarement plein, qui prohibe réflexions et reculs nécessaires pour entendre les véritables menaces. Les forces guerrières ne faisant nul cas des menaces d’aliénation et du bon sens, Jack apprend à exploiter cette naïveté de ces pions enfantins en accentuant la légende d’un monstre rôdant dans la forêt de l’île, jouant sur les peurs de l’altérité, d’un « autre » qui enserre dans les griffes de la crainte le sommeil des plus jeunes. Il profite par la suite de cette hégémonie parfaite, donnée en présent sacrificiel sur un plateau d’or, et ainsi décide de cristalliser leur peur via une idole pourrissante et ridicule, une tête de truie plantée au bout d’une pique (survivance de pratiques moyenâgeuses refoulées), très vite idolâtrée telle une divinité archaïque car elle aurait le pouvoir de défendre les jeunes naufragés d’une créature qu’ils craignent, mais peut-être pas autant que ce monstre-ci, bien réel, qui se décompose et attire les mouches tout comme la maladie, menaces iniques contre l’innocence enfantine, et pourtant bien plus réelle qu’un simple fantasme entretenu nuitamment par Jack, et ses sbires à la vacuité sans limite. Le plus puissant d’entre eux s’avère être Roger, second dans la hiérarchie, et figurant les ancestraux peuples barbares, la cruauté brute tout autant que pure, laissant libre champs à son sadisme jusque là inusité car repoussé par la société et les normes communément admises. Abolissant le droit et couvrant d’opprobre son ennemi viscéral Ralph,  Roger serait une sorte de main créée par le dictateur Jack, sa garde personnelle, son armée privée chargée de répandre la terreur en son nom. Figurant la brutalité retorse, il représente également toute fin de civilisation, écrase le plus maigre retour à une quelconque équité aspirée par les partisans faméliques de Ralph, toujours plus épars, se faisant de plus en plus rares car séduits par l’autorité pourtant abusive. L’on peut aisément conserver en mémoire l’acte de déchaînement de rage où Roger, d’un coup de pied, réduit à néant le château de sable construit sur la plage par un petit garçon ; une manière d’insinuer pour l’auteur qu’il n’est rien de plus aisé que de détruire la civilisation et sa branlante démocratie, qui reposeraient ainsi sur des bases mouvantes et traîtresses. Roger achève son acte de violence en lapidant le petit enfant, comme pour le dissuader à jamais de figurer une nouvelle fois un symbole de civilisation et d’ordre, une contestation du pouvoir absolu que Jack parvient à se bâtir en le maigre espace de quelques jours.

Sur ces ultimes constatations, je vous laisserai seul juge, lecteur, quant à l’utilisé d’imposer ce type de lecture à des jeunes enfants d’entre dix et douze ans. Quand bien même les protagonistes du roman partagent l’âge du lecteur, il ne me semble nullement judicieux de remettre cette œuvre entre les mains de jeunes personnes, dans le sens où la violence –qui doit servir le propos de Golding- ne pourra point être perçue correctement par des esprits juvéniles, choqués par des scènes de barbarie, et incapables encore d’entendre tous les enjeux de ce récit d’une incomparable richesse en terme de questionnement sociologique et philosophique.

lundi 19 mars 2012

Guy de Maupassant - Le Horla




Ouïr des cris, redouter une présence fuligineuse, subodorer l’alter en une solitude pourtant indéniable. Quel malheureux peut décemment s’enorgueillir de n’avoir jamais souffert ce doute sinueux pourvu par un éclat de voix incertain retentissant à nos tympans ; celui de notre prénom jeté comme d’ultimes étincelles, parées des derniers élans du désespoir ? Ainsi, uniment envahissent nos pensées, ost barbares, l’appréhension flanquée de sa géniture l’anxiété ; des harpies qui exhalent au travers de leur souffle méphitique leur essence même : ce terme banni, rebut de nos us et coutumes sempiternelles car craint : la peur.
Est-ce pour l’impavide raison qu’il en ressentait déjà les sarments dans ses pensées chaotiques que Guy de Maupassant se serait lancé dans la rédaction de cette nouvelle, de sorte à révéler au grand jour  les affres d’un mal aisément identifiable mais abstrus à traiter : la folie lancinante, origine de transes démentielles et de tourments obsessionnels ? Le Horla, rédigé en mille huit cent quatre-vingt-sept, s’avère de ces œuvres où les notions de réalité et de fiction s’entremêlent habilement, en des hypotyposes si vivaces qu’il devient délicat de discerner où se situe le vrai par rapport au faux, autant en tant que lecteur qu’analyste ; tant les descriptions de démence se font ramifications en lesquelles patientent les rets de la conclusion hâtive. Un cauchemar parapsychique, simple délire romantique propre au siècle de Maupassant ? Essayons-nous si vous le voulez bien lecteur, à démêler ces quelques énigmes divagant au gré de l’écrivain.

La question du surnaturel

Une des genèses que l’on peut en premier lieu censément poser serait cette curiosité, mêlée à l’attrait primaire et au doute tremblant pour les inatteignables lisières de l’irréel. Lecteur tout autant que traducteur de l’œuvre poétique produite par l’américain Edgar Allan Poe –cet homme qui sut mieux que personne révéler l’aliénation en la faisant sœur de ce qu’il nommait un « esprit souterrain » propre à l’humain, et qu’il personnifiait souvent par son animal favori : le corbeau- qu’il admire, Maupassant se pose en une sorte d’égide impavide contre le placide hédonisme d’un courant littéraire alors en plein essor au cours des années 1880, celui du naturalisme, dont une des plus célèbres figures de proue est Emile Zola.
Or,  pour l’auteur dont nous traitons en ce jour, ce mouvement intellectuel tout autant que de plume ne pourra révéler, dans les années incertaines encore à venir, que comme un poison inoculé dans les veines bleutées des Lettres Françaises, aussi prône-t-il dans toute son opiniâtreté d’homme pétri de convictions un nécessaire retour au surnaturel et ses égarements dont se délectent ceux qui possèdent un tant soit peu un imaginaire vivace et prolifique. Le surnaturel, celui qui s’évapore comme une senteur douçâtre d’éther, volatile dans son insaisissabilité exaspérante. Maupassant revendique ainsi un retour méticuleux à cette frayeur inspirée par l’irréel, qu’il considère à l’image d’un terreau fertile pour ses compatriotes écrivains, ainsi que pour leur renouvellement qu’il se plaisait à croire vital pour leur prééminence sur celles du reste de l’Europe. Nécessité est ici cependant de souligner une différence majeure pourtant souventes fois oubliée entre les deux idées d’anormal et de surnaturel, distinction qui commençait alors à se dessiner dans les balbutiements de ce qu’allait devenir la psychologie, à la fin du XIXème siècle. C’est à ce deuxième mot que l’auteur désire faire don de la précellence dans ses nouvelles écrites au cours de ces années prolifiques, aspirant comme il le soulignait en sa correspondance à « repeupler l’imagination des hommes en levant le voile des inconnus » ; révéler l’invisible, briguant presque que l’étrangeté se fasse commensal de la nouvelle génération de romanciers fleurissant come perce-neiges à l’aube du printemps à l’époque du début de sa rédaction de la toute première version du Horla (faut-il le rappeler, il existe en aujourd’hui deux, mais c’est bien sur l’ultime variation que nous nous concentrons pour cet article). Guy de Maupassant s’inscrit de fait dans la pleine continuité des hoirs du mouvement du romantisme ayant  connu son apogée à la moitié du XIXème siècle, et qui dans toute son ingéniosité avait ravivé le goût et le penchant des lecteurs pour la peur, les figures fantastiques (remémorez-vous lecteur ainsi Châteaubriand, pour ce citer qu’une seule et unique plume française), et le style gothique qui continuera à s’affirmer à l’aube des années 1900 (une sujétion obtenue par l’œuvre d’Abraham Stoker : Dracula, tant de fois malmenée, brisée, mais nullement égalée).
Le narrateur éploré du Horla ne baptise-t-il pas à plusieurs reprises en l’œuvre ce démon persécuteur : « mon vampire », l’imaginant lui aspirer sa vie lors de son sommeil, l’auteur aspire au travers de ses insanités galopantes à révéler l’inconnu occulté derrière la vie apparente, notion reprise et développée plus tard par le père de la psychanalyse, Sigmund Freud dans son ouvrage L’Inquiétante Etrangeté publié en mille neuf cent dix-neuf.
Personnage que l’on pourrait qualifier d’à part entière de la nouvelle, la nuit est d’une obscurité des plus méprisables tant autant que dérisoire depuis qu’elle s’est vue dépeuplée de ses apparitions vaporeuses, une erreur, une scolie que l’écrivain entend réparer de son verbe, et il s’impose ainsi, la plume à la main tel un glaive, s’opposant au rationalisme rampant inéluctablement comme le liseron, et prône de revenir à « l’aimerais croire », une naïveté propice à l’imaginaire fantasmagorique. Car accepter le surnaturel, c’est accepter la peur du fugitif, du fugace qui donne des vertiges.

Sur l’angoisse

À plusieurs reprises, nous assistons aux terreurs nocturnes du personnage principal de la nouvelle, étouffant dans son sommeil, craignant le moindre souffle habitant sa maison. Une scène qui n’est pas sans rappeler le fameux tableau de l’artiste Füssli intitulé très justement « Le Cauchemar » (The Nightmare) : 

Un incube écrasant la poitrine d’une femme alanguie, une jument aveugle surgissant de l’ombre (jument se disant « mare » en anglais, on peut donc y déceler un jeu de mot de la part du peintre). Est-ce un simple mauvais rêve, une paralysie du sommeil ? Mais le parallèle est possible avec l’œuvre de l’auteur français.
Soupçonné mais nullement avéré, croupissant enfoui dans les taches éparses d’obscurité, sournois car évoluant nuitamment, l’ennemi du narrateur est la personnification même de la peur de l’écrivain qui se révèle telle une assertion capable d’investir la nature elle-même, comme un mirage de fantasmagories bruissant dans les grincements d’une vieille maisonnée ou dans le souffle troublant nos oreilles sans qu’aucune brise ne soit perceptible. Car pauvres et déplorables êtres diurnes que nous sommes, l’espace nocturne demeure pour nous l’ennemi ontologique quand, repliés dans la vulnérabilité de nos draps et d’un sommeil fuyant, le banal se mue en atrocités de l’imaginaire, terre génitrice d’une angoisse latente envers ce qui n’est pas possible de connaître. Devenu hâve et pusillanime, notre bon sens nous fait défaut ; et où alors trouver égale violence envers le banal en des recueils sur l’aliénation considérée par le fou en devenir Maupassant ?
Ainsi que l’expose l’analyste André Fermigier : « le néant jouit de cette mesquine attraction, indicible et suave, à laquelle peu résistent ». Pour l’écrivain, s’opposant au grand aliéniste de son temps Charcot, la démence ne s’analyse pas car elle rompt, provoque le brisement des codes et des barrières du concevable ; et de la sorte d’instaure l’hégémonie de l’illimitation des fantaisies, où l’impossible devient évident, et le féérique se mue en palpable. Cependant une myriade de questions demeurent, égarées dans les nuées du délire dont est victime le narrateur compassé, guignant son ennemi intime à chaque minute, chaque instant de silence oppressant, ce Horla est-il comme de nombreuses études nous le laissent accroire, un surmoi freudien refoulé et enhardissant de fait toujours plus ses assauts ? Est-ce celui qui est hors-là, ou peut-être un hurlement du narrateur barguignant sur son propre rapport au réel : « hors de là ! Hors de chez moi, hors de moi » ? Mais il est autant irréfutable qu’insaisissable, ce sentiment dubitatif d’un regard insistant posé sur notre épaule, se délectant de sa nature évanescente et nourrissant de ses braises les flammes dévorantes de la psychose.
Pour Maupassant briguant le retour à « l’immémorial folklore du négatif », la vie n’est nullement, sous les bons auspices des scientifiques, le privilège de ce seul monde. Implacablement, l’invisible ne rime en aucun cas avec indicible pour l’auteur français, dont la folie n’est autre qu’un fil rouge, une constante littéraire pour lui ; sorte d’assuétude troublante, alimentant l’hypothèse que Le Horla se révélerait une sorte de mise en abyme de la propre déraison du romancier. Maupassant est-il aliéné et raconte ainsi son vécu ? L’a-t-il été et, en un accès de lucidité, une accalmie, exorcise-t-il ses diables sur le papier ? (Raconter pour conjurer, écrire de sorte à survivre. Toujours demeure dans la littérature une purgative notion de catharsis pour évacuer la névrose hallucinatoire.)
Mais larder ce démon d’attaques verbales acerbes ne suffit pas au personnage principal de la nouvelle, et il se voit progressivement absorbé par l’Autre (« Il est en moi, il devient mon âme » s’exclame un temps le narrateur), à l’image de son créateur. Le locataire noir du pauvre Guy l’aura malgré tout aidé à se projeter via l’aberration au-delà de l’habituel, don s’il n’est autre, que des Pythies antiques.

Pour aller plus loin ?

Outre les œuvres déjà évoquées dans le texte ci-dessus, je ne peux que vous conseiller de parcourir Le Double ou L’Idiot par Fiodor Dostoïevski, ainsi bien évidemment que toutes les autres nouvelles de Maupassant. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’elles sont collectées (du moins celles traitant des obsessions et de la folie) dans plusieurs éditions comme Folio Classique ou encore Gallimard. Bonne lecture !

lundi 12 mars 2012

William Blake - Poèmes





Sont-ce les ambitions démesurées qui octroient l’espérance de pouvoir effleurer l’éther du sublime ? En tous les cas, voilà une idée qui me plaît et ravive mes curiosités tout autant que mon appétence envers les Grandes Œuvres qui pavent d’or les voies de la littérature.
Artiste, graveur, écrivain, poète, et la providence seule, a pleine conscience que de nombreux autres épithètes pourraient lui être alloués, William Blake est de ces géants à la plume adamantine dont le talent résonne toujours au travers de nos âges, et censément nous pouvons annoncer que les avenirs séculaires évoqueront encore son nom. La précellence de sa notoriété revenant de prime abord à l’art de la gravure, dont seule une famélique part nous parvint, c’est en tant que maniant le lyrisme que j’eus le bonheur de le découvrir, ma curiosité sise dans les quelques apologues et autres odes dont il fit le généreux don à la postérité.
The Book of Thel, The Marriage of Heaven and Hell, The Everlasting Gospel, trois recueils bien minces, pour l’ambition d’une vie, réécrire les textes saints, les fuligineuses évangiles, tat de récits fantaisistes faits de rets et de subordination du faux qu’il aspirait à en livrer sa propre interprétation. Un solennel plaidoyer pour l’imagination et ses innombrables ramifications donc je vais tenter de vous parler en ces lignes.

The road of excess leads to the palace of wisdom

Sans même le frémissement d’une vacillation, je ne pourrais jamais tant vous recommander lecteurs, de lire la poésie de Blake dans le texte, et peu vous chaut si les méandres de la langue anglaise ne vous sont nullement familiers, de nombreuses éditions bilingues existent en les rayonnages de boiseries de toute bonne librairie ; de plus il appert que le lyrisme voluptueux  de la poésie de l’auteur suffira à vous imprégner de leur anagogique et sapience sens. Ardent lors de son processus de réinterprétation du sacro-saint, William Blake produit au fil de ses vers une nouvelle et sensitive bible, puis se mue en truchement d’une recomposition de la Torah, aspirant fou peut-être qu’il était à entendre pleinement, dans son entièreté perfectible la quête ultime de la création. Inférant un renversement de situation religieux, Blake s’inscrit dans une profonde transgression chrétienne, incapable qu’il est, mortel dans sa vicissitude, à entendre les arcanes de la vie, il se met au cœur de ses vers à apostropher, blâmer le Créateur, interrogeant ainsi le divin ; à l’image de Satan qui s’était lui-même livré à cette attitude transgressive dans Le Livre de Job, provocant un basculement abstrus où la divinité de jouit plus de la précellence, subissant les questions inquisitrices du poète tourmenté par ses visions illusoires d’un monde tout autant palpable puisque labile qu’il réfute de tout son être. Il subodore ainsi une quintessence de ce qu’il aspire à atteindre au travers la réinterprétation de la parole de dieu. Habité par les contrastes de ses vastes connaissances, le poète anglais se mue peu à peu, au fil du Livre de Thel, en une sorte de nouveau prophète en lequel dorment des questionnements incommensurables, car là où un prophète traditionnel accomplis sa parole ou un texte donné, William Blake lui, tant son propos s’avère prégnant, l’incarne et l’annonce au travers de proverbes tartaréens ponctuant les pages du Mariage du Ciel et de l’Enfer. Ces termes, annonciateurs de bouleversements adornent les pages, dérangeantes, car elles expriment pleinement une repoussante volonté de Mal ; une notion de mauvaiseté que l’on retrouve un demi-siècle plus tard chez le Comte de Lautréamont et ses Chants de Maldoror. Qu’est-ce, si ce n’est sans cautèle aucune ni brisement se livrer corps et âme à une volonté et une fascination paradoxalement agneline pour le néfaste ? Ce néfaste, intrinsèquement la transgression même de ce que toutes les religions tendent à nous enseigner depuis des ères antédiluviennes, au travers de leurs récits fantaisistes et criblés de bons esprits. Au cours de ma lecture du recueil de poèmes de l’écrivain, je me plaisais à laisser vagabonder mon imagination, retournant au XIXème siècle, me peignant Blake transformant ses vieilles bibles en vulgaires collections de palimpsestes, dans lesquels il aurait réécrit de sa plume acérée et noire ses propres termes, ses propres visions hallucinées dont suinte l’obliquité vers un esprit de contradiction inné qui s’aiguise au lieu de se corroder sous les affres des années, mirifiques témoins d’un esprit autant unique que pleinement révolutionnaire.
Cette inéluctable idée de Mal nous évoque sain plus clairement la préférence, le goût de l’auteur pour l’Ancien Testament, qui met en scène en un sabir étrange un dieu jaloux, violent et sanguinaire envers ses frêles adorateurs, avilissant à l’image d’un Seth égyptien qui tire son appétence pour le mauvais de sa frustration d’avoir été relégué aux aridités infinies des déserts brûlants, couleur safran. Aussi n’est-ce point surprenant de découvrir, survivance dans ces lignes inédites dans l’histoire des Lettres anglo-saxonnes cette fascination nitescente du poète pour John Milton, dont il disait dans tout le rayonnement de son admiration qu’il était du parti du Diable sans le savoir, puisque poète. Les artistes maniant le lyrisme seraient-ils ainsi chantres des enfers, comme il est ici insinué, de par leur capacité à voir au-delà du réel et des choses aisées à appréhender ? Milton, faut-il le rappeler auteur du Paradise Lost, est tenu en modèle absolu, et proche de la production poétique de William Blake ; même si le prédécesseur se veut interprète d’une vision du péché originel et de la faute d’Adam et Eve, le Diable demeure indéniablement le personnage central de son poème épique. Telle une assertion arcadienne apparaît de fait le but originel de l’écrivain : exprimer le Mal dans sa plénitude, puis fermer toute possibilité à ce dernier, puisque via la parole de l’auteur, tout aura été prononcé, exprimé (une notion évoquant les travaux ultérieurs du philosophe allemand Friedrich Nietzsche dans son opus Par delà Bien et Mal).

What is now proved was once imagin’d

Aux yeux de l’auteur, la transgression lyrique se fait réparation narcissique, une prééminence vitale à ses yeux. Au creux des textes collectés dans The Everlasting Gospel, Blake fait don de la subordination à la quête de l’innocence, ce thème universel qu’est cette pureté idyllique à retrouver car perdue au moment de la venue à la vie ; l’auteur s’efforce à retrouver cette énergie originelle du commencement même, qui évoque de fait une angoisse inepte face à la mort, illogique car enfantine. Cette idée Camusienne de la prise de conscience l’absurdité de l’existence à un stade où l’homme est encore à vitupérer sa faiblesse de réaction se retrouve tout au long de ses vers. Thème éminemment anglais que cette notion de « untouched », la splendeur immaculée de l’innocence qu’aucun élément putride de l’extériorité ne serait encore venue souiller, ce qui n’est pas sans nous évoquer le souvenir de la philosophie du penseur John Locke, voyant l’Humain à l’image d’une page blanche progressivement encrée au fil des expériences, idée à laquelle s’oppose cependant fermement Blake puisqu’il expose dans Le Livre de Thel la thématique insondable mais censée comme quoi l’Homme posséderait des capacités internes dès sa venue au monde, mais cependant brimée par cette fameuse expérience  avancée par Locke. Alors, dans la tentative de dépouiller la vérité même, Blake passe la totalité des éléments l’environnant au travers du filtre propitiatoire de l’imagination, seule capable de révéler l’être humain à lui-même ; car dans le monde des sens, le poète lui part en quête de l’Absolu via l’halluciné et l’incongru. Or, l’imaginaire, terreau fertile du rêve et des délires opiacés est le berceau de créatures chères au cœur de l’écrivain, forgeant comme un de ses thèmes de prédilection l’idée de monstruosité qui sert la pensée insensée du Mal. Le Monstre en effet, mot venant du latin « mostrar » qui signifie « montrer », est effectivement celui que la populace désigne du doigt, l’exposant au regard et à la lie de la foule, au vulgus mugissant, pour sa seule faute d’être né différent. Ici réside l’idée de la pièce maîtresse de William Blake, sa volonté de montrer le Mal, l’analyser de sorte à le dépouiller de son essence effrayante même. Dévoiler ce Mauvais, pour mieux appeler à ce qu’il disparaisse en un jour heureux, et exploiter cette hypothèse iconoclaste que de la source des sept cercles de l’Enfer peut au demeurant jaillir le Bien : encore une fois la transgression quotidienne et suprême ; et elle s’avère prodigieusement superbe. Or, côtoyer le mal n’est-il pas faire reculer le mystère rude de la vie, en éprouvant par le blâme les limites de la misérable condition humaine de par la folie sublime, celle au cœur de laquelle l’on dépose toute arme, et où l’on s’affranchit servilement de toute connaissance, toute convention, toute intuition ; ainsi donnant place aux ressentis par l’illusion et les hallucinations lyriques qui sont substantifiques moelles chez William Blake ?

lundi 5 mars 2012

Yukio Mishima, La Mer de la Fertilité : Neige de Printemps




Une incursion au sein de la littérature japonaise n’est jamais aventures aisée, tant le style et le propos fleurissant de manière presque anagogique, diffèrent du ton qui nous est commun. Aussi est-il à mon sens, hautement indispensable de s’astreindre à une démarche d’une nécessité primordiale que celle de se renseigner au préalable sur l’auteur, avant de se livrer au cheminement au travers des pages de La Mer de la Fertilité ; non point en recherchant qui était Yukio Mishima, mais bien en se questionnant sur l’existence de Kimitake Hiraoka, préfigurant la figure de papier volatile qui a dérobé au reste du monde l’être même, cédant le devant de la scène à l’alias.  M’intéressant avec une grande déférence à la culture japonaise ainsi qu’à son histoire,  lire Mishima était une forme de passage auquel je me pliais censément, même s’il ne m’échappe point que mes faméliques connaissances sur ce riche pays ne me permirent pas de saisir l’entièreté des paraboles et autres symboles ponctuant comme des rimes, des stances, ce récit dont je tiens pour assertion qu’il contient tout ce que le célèbre écrivain connaissait de l’existence ; malgré le caractère fortement désincarné des personnages ponctuant cette Mer de la Fertilité. Je m’attacherai en ce texte à ne point traiter de la totalité de la Mer, mais uniquement de son premier tome, Neige de Printemps, Haru No Yuki pour les amoureux de la langue maternelle de l’auteur, premier cycle de ce testament de l’artiste qui voyait et voulait cette œuvre littéraire insondable et emprise de sensitivité comme la seule survivance de ce qu’il souhaitait laisser de sa personne au monde.

Ce qui caractérise l'enfer, c'est qu'on y distingue tout.

Neige de Printemps, œuvre rédigée au cours de l’année mille neuf cent soixante-six, nous conte la brève vie du tout jeune Kiyoaki Matsugae, évoluant au beau milieu de l’ère Taishô (l’action débutant en octobre de l’an mille neuf cent douze), et de sa relation passionnée bien que vouée à l’échec avec la fille d’une famille aristocratique tombée dans la déchéance pécuniaire et la perdition de la richesse de son ascendance, plaçant leurs espoirs d’élévation malheureuse dans le mariage de leur enfant avec le fils de l’empereur, héritier du trône au chrysanthème ; en lui allouant tout le faix de leurs espérances de survivance au sein des méandres d’une société nipponne en pleine mutation, entre introspection et crainte de sombres augures au lendemain du conflit russo-japonais. Mais ne vous y méprenez cependant nullement lecteurs, à croire que cette œuvre retracera une illusoire tout autant que simple histoire d’amour teinte par les raies chamarrées de la volupté et de la sensitivité sujettes cependant aux haïssables vicissitudes, car il n’est point question pour Mishima de délivrer une intrigue aussi réduite. Les sentiments se font toile de fond au regard acéré que porte l’écrivain sur sa terre natale, sur l’Humanité ; jugement qui n’est qu’acrimonie, vitupérations et turpitudes pour cet homme empreint de valeurs pourtant malheureusement perdues bien que pouvant paraître arcadiennes pour le lecteur. Car inéluctablement, chaque minutieux choix du terme s’inscrit chez l’auteur dans une dimension des symboliques adamantines, où le hasard n’est point le bienvenu dans son ton aux élans thuriféraires dès qu’est seulement effleurée la délicieuse thématique des temps passés, des glorieuses années où l’honneur méritait son propre culte, et l’estime de ce qui est advenu valait un respect autant compassé qu’adorateur. Et ces images se rencontrent jusqu’au premier rapport du lecteur avec l’œuvre, qu’est le titre, premier pudique dévoilement d’un propos qui se voudra virulent dans son assuétude à scander des valeurs tendant à disparaître, les années suivant leur irrémédiable cours ; la neige, dotée de cet irréel pouvoir d’occulter momentanément la laideur du quotidien ou du décors grossier, un aspect tragiquement et somme toute transitoire, puisque c’est pour mieux en révéler toute l’hideur lorsque sera venu le temps pour elle de fondre. Quant au printemps, d’aucun ne saurait oublier cette saison des possibles, où l’espoir éclos à la manière de ces repousses encore fébriles dans leur dimension de nouveauté innocente, permettant le renouveau de la beauté, fraîche et vivace comme l’adolescence des deux amans protagonistes du roman qui nous occupe, pures jusqu’à l’arrivée de l’été qui tannera leur peau et brûlera leurs ailes de cire et de duvet clairsemé.

Quoi qu'il en soit de l'au-delà, en ce monde-ci il n'y a que l'accomplissement.

Le propos de Yukio Mishima se veut de sorte intrinsèquement politique, et ces ramifications que sont les aventures de ses personnages adornent le récit, mais ne le servent nullement : de sorte à s’effacer, en laissant entendre à ceux qui d’aventure liraient l’écrivain qu’ils ne sont que des scories servant servilement un discours hautement critique. Ainsi, l’auteur offre la prééminence à ses mécomptes face à un Japon au cœur duquel il se sent étranger, fantôme parmi les ectoplasmes labiles, lardés des flèches pernicieuses de l’influence extérieure, encore perçue par certains comme une souillure pour un pays qui demeura des siècles entiers totalement refermé sur lui-même (plus précisément au cours de la période Edo, courant de mille six cent quarante et un à mille huit cent cinquante-trois), ayant élevé l’autarcie au rang de précellence.  Insidieux, le modernisme est propitiatoire à la déchéance, comme en conclus Kiyoaki lors de ses incessants conflits avec la figure patriarcale de sa maison, hésitante entre la tradition architecturale profondément japonaise et les assauts répétés de l’occidentalisation via la technologie (phonographe, essor d’une certaine forme de presse…) et la décoration rapportée des voyages de ses parents aux Amériques. Les Etats-Unis, considérés comme les rets qui aidèrent à l’iniquité se répandant au Japon dès la fin du deuxième conflit mondial, Mishima modelant ainsi un pont temporel entre son œuvre et son époque. Car gît et grandit en l’esprit de l’écrivain cette prégnante obsession que tout citoyen japonais se doit de s’inspirer, tout au long des méandres de sa vie quotidienne, de ces valeurs prépotentes que devraient être honneur, dévouement, sacrifice et loyauté ; des termes faisant encore office de tradition au cours de l’ère meiji mais dont la magnificence, par la suite, ne cessa de péricliter au profit du lucre et du stupre apporté « d’ailleurs » par les conflits mondiaux et l’ouverture forcée du Japon voulue par le Commodore Matthew Perry, des évènements que Mishima récuse de tout son être, armé de cette pétulance qui lui est propre dès qu’il en va de la nitescence de sa nation tendant à s’obscurcir d’année en année. Comme tout un chacun en possède pleine connaissance, Kimitake Hiraoka ira jusqu’à élever comme parangon son ultime vœux, son seppuku qu’il avait déjà préfiguré dans le deuxième cycle de La Mer de la Fertilité : Chevaux Echappés (Honba) en mille neuf cent soixante-dix. Impavide et refoulant tout déshonneur, Mishima s’inscrit ainsi dans la continuité de ses modèles, les samourai ; rendant d’une certaine manière hommage et nombres louanges au légendaire Minamoto No Tametomo, qui fut selon les dires, le premier à avoir commis la toute première éventration après avoir, tout comme l’auteur au centre de notre propos, tenté un coup d’état. En signe de refus de l’infamie, de l’opprobre qui devait suivre son échec, les deux hommes séparés par dix siècles se livrèrent corps et âmes au Kanshi, forme de seppuku pratiqué par les vassaux de shogun, accompagnant de sorte leur critique du gouvernement par leur propre mise à mort. Incessamment, toujours,  cette fascination pour une grandeur passée que l’écrivain, opiniâtrement, refusait de voir tomber dans le giron de la mythologie, ou pis, de l’oubli.

Ainsi Yukio Mishima pointait du doigt les sybarites, la souillure de l’acceptation des influences extérieures, préférant se vouer entièrement à une cause (pour lui l’écriture et la restauration de la grandeur passée du Japon et du shogunat, des propos que l’on retrouve encore dans les pages de Chevaux Echappés via le personnage de Isao Iinuma.) illustrée par le lent chemin de croix de Kiyoaki Matsugae affrontant le froid et la neige pendant plusieurs semaines pour tenter de rendre visites à la seule femme qu’il ait aimé et qui fit choix de se retirer dans un monastère (encore une fois ici, le refus du pernicieux extérieur) ; une marche qui le fera tomber gravement malade, et le tuera à tout juste vingt ans. Sourcilleux, Matsugae accomplit dès lors son sacrifice à une cause suprême, une dévotion hantant les rêves de l’auteur. De fait, il appert que Neige de Printemps n’est autre que la première partie d’un testament en quatre parties, encore une fois un chiffre nullement choisi au hasard, quatre pouvant signifier la mort dans la tradition asiatique, une fin vue comme la quintessence des valeurs de l’écrivain japonais.
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