Ouïr des cris, redouter une présence fuligineuse, subodorer l’alter en une solitude pourtant indéniable. Quel malheureux peut décemment s’enorgueillir de n’avoir jamais souffert ce doute sinueux pourvu par un éclat de voix incertain retentissant à nos tympans ; celui de notre prénom jeté comme d’ultimes étincelles, parées des derniers élans du désespoir ? Ainsi, uniment envahissent nos pensées, ost barbares, l’appréhension flanquée de sa géniture l’anxiété ; des harpies qui exhalent au travers de leur souffle méphitique leur essence même : ce terme banni, rebut de nos us et coutumes sempiternelles car craint : la peur.
Est-ce pour l’impavide raison qu’il en ressentait déjà les sarments dans ses pensées chaotiques que Guy de Maupassant se serait lancé dans la rédaction de cette nouvelle, de sorte à révéler au grand jour les affres d’un mal aisément identifiable mais abstrus à traiter : la folie lancinante, origine de transes démentielles et de tourments obsessionnels ? Le Horla, rédigé en mille huit cent quatre-vingt-sept, s’avère de ces œuvres où les notions de réalité et de fiction s’entremêlent habilement, en des hypotyposes si vivaces qu’il devient délicat de discerner où se situe le vrai par rapport au faux, autant en tant que lecteur qu’analyste ; tant les descriptions de démence se font ramifications en lesquelles patientent les rets de la conclusion hâtive. Un cauchemar parapsychique, simple délire romantique propre au siècle de Maupassant ? Essayons-nous si vous le voulez bien lecteur, à démêler ces quelques énigmes divagant au gré de l’écrivain.
Est-ce pour l’impavide raison qu’il en ressentait déjà les sarments dans ses pensées chaotiques que Guy de Maupassant se serait lancé dans la rédaction de cette nouvelle, de sorte à révéler au grand jour les affres d’un mal aisément identifiable mais abstrus à traiter : la folie lancinante, origine de transes démentielles et de tourments obsessionnels ? Le Horla, rédigé en mille huit cent quatre-vingt-sept, s’avère de ces œuvres où les notions de réalité et de fiction s’entremêlent habilement, en des hypotyposes si vivaces qu’il devient délicat de discerner où se situe le vrai par rapport au faux, autant en tant que lecteur qu’analyste ; tant les descriptions de démence se font ramifications en lesquelles patientent les rets de la conclusion hâtive. Un cauchemar parapsychique, simple délire romantique propre au siècle de Maupassant ? Essayons-nous si vous le voulez bien lecteur, à démêler ces quelques énigmes divagant au gré de l’écrivain.
La question du surnaturel
Une des genèses que l’on peut en premier lieu censément poser serait cette curiosité, mêlée à l’attrait primaire et au doute tremblant pour les inatteignables lisières de l’irréel. Lecteur tout autant que traducteur de l’œuvre poétique produite par l’américain Edgar Allan Poe –cet homme qui sut mieux que personne révéler l’aliénation en la faisant sœur de ce qu’il nommait un « esprit souterrain » propre à l’humain, et qu’il personnifiait souvent par son animal favori : le corbeau- qu’il admire, Maupassant se pose en une sorte d’égide impavide contre le placide hédonisme d’un courant littéraire alors en plein essor au cours des années 1880, celui du naturalisme, dont une des plus célèbres figures de proue est Emile Zola.
Or, pour l’auteur dont nous traitons en ce jour, ce mouvement intellectuel tout autant que de plume ne pourra révéler, dans les années incertaines encore à venir, que comme un poison inoculé dans les veines bleutées des Lettres Françaises, aussi prône-t-il dans toute son opiniâtreté d’homme pétri de convictions un nécessaire retour au surnaturel et ses égarements dont se délectent ceux qui possèdent un tant soit peu un imaginaire vivace et prolifique. Le surnaturel, celui qui s’évapore comme une senteur douçâtre d’éther, volatile dans son insaisissabilité exaspérante. Maupassant revendique ainsi un retour méticuleux à cette frayeur inspirée par l’irréel, qu’il considère à l’image d’un terreau fertile pour ses compatriotes écrivains, ainsi que pour leur renouvellement qu’il se plaisait à croire vital pour leur prééminence sur celles du reste de l’Europe. Nécessité est ici cependant de souligner une différence majeure pourtant souventes fois oubliée entre les deux idées d’anormal et de surnaturel, distinction qui commençait alors à se dessiner dans les balbutiements de ce qu’allait devenir la psychologie, à la fin du XIXème siècle. C’est à ce deuxième mot que l’auteur désire faire don de la précellence dans ses nouvelles écrites au cours de ces années prolifiques, aspirant comme il le soulignait en sa correspondance à « repeupler l’imagination des hommes en levant le voile des inconnus » ; révéler l’invisible, briguant presque que l’étrangeté se fasse commensal de la nouvelle génération de romanciers fleurissant come perce-neiges à l’aube du printemps à l’époque du début de sa rédaction de la toute première version du Horla (faut-il le rappeler, il existe en aujourd’hui deux, mais c’est bien sur l’ultime variation que nous nous concentrons pour cet article). Guy de Maupassant s’inscrit de fait dans la pleine continuité des hoirs du mouvement du romantisme ayant connu son apogée à la moitié du XIXème siècle, et qui dans toute son ingéniosité avait ravivé le goût et le penchant des lecteurs pour la peur, les figures fantastiques (remémorez-vous lecteur ainsi Châteaubriand, pour ce citer qu’une seule et unique plume française), et le style gothique qui continuera à s’affirmer à l’aube des années 1900 (une sujétion obtenue par l’œuvre d’Abraham Stoker : Dracula, tant de fois malmenée, brisée, mais nullement égalée).
Le narrateur éploré du Horla ne baptise-t-il pas à plusieurs reprises en l’œuvre ce démon persécuteur : « mon vampire », l’imaginant lui aspirer sa vie lors de son sommeil, l’auteur aspire au travers de ses insanités galopantes à révéler l’inconnu occulté derrière la vie apparente, notion reprise et développée plus tard par le père de la psychanalyse, Sigmund Freud dans son ouvrage L’Inquiétante Etrangeté publié en mille neuf cent dix-neuf.
Personnage que l’on pourrait qualifier d’à part entière de la nouvelle, la nuit est d’une obscurité des plus méprisables tant autant que dérisoire depuis qu’elle s’est vue dépeuplée de ses apparitions vaporeuses, une erreur, une scolie que l’écrivain entend réparer de son verbe, et il s’impose ainsi, la plume à la main tel un glaive, s’opposant au rationalisme rampant inéluctablement comme le liseron, et prône de revenir à « l’aimerais croire », une naïveté propice à l’imaginaire fantasmagorique. Car accepter le surnaturel, c’est accepter la peur du fugitif, du fugace qui donne des vertiges.
Sur l’angoisse
À plusieurs reprises, nous assistons aux terreurs nocturnes du personnage principal de la nouvelle, étouffant dans son sommeil, craignant le moindre souffle habitant sa maison. Une scène qui n’est pas sans rappeler le fameux tableau de l’artiste Füssli intitulé très justement « Le Cauchemar » (The Nightmare) :
Un incube écrasant la poitrine d’une femme alanguie, une jument aveugle surgissant de l’ombre (jument se disant « mare » en anglais, on peut donc y déceler un jeu de mot de la part du peintre). Est-ce un simple mauvais rêve, une paralysie du sommeil ? Mais le parallèle est possible avec l’œuvre de l’auteur français.
Soupçonné mais nullement avéré, croupissant enfoui dans les taches éparses d’obscurité, sournois car évoluant nuitamment, l’ennemi du narrateur est la personnification même de la peur de l’écrivain qui se révèle telle une assertion capable d’investir la nature elle-même, comme un mirage de fantasmagories bruissant dans les grincements d’une vieille maisonnée ou dans le souffle troublant nos oreilles sans qu’aucune brise ne soit perceptible. Car pauvres et déplorables êtres diurnes que nous sommes, l’espace nocturne demeure pour nous l’ennemi ontologique quand, repliés dans la vulnérabilité de nos draps et d’un sommeil fuyant, le banal se mue en atrocités de l’imaginaire, terre génitrice d’une angoisse latente envers ce qui n’est pas possible de connaître. Devenu hâve et pusillanime, notre bon sens nous fait défaut ; et où alors trouver égale violence envers le banal en des recueils sur l’aliénation considérée par le fou en devenir Maupassant ?
Ainsi que l’expose l’analyste André Fermigier : « le néant jouit de cette mesquine attraction, indicible et suave, à laquelle peu résistent ». Pour l’écrivain, s’opposant au grand aliéniste de son temps Charcot, la démence ne s’analyse pas car elle rompt, provoque le brisement des codes et des barrières du concevable ; et de la sorte d’instaure l’hégémonie de l’illimitation des fantaisies, où l’impossible devient évident, et le féérique se mue en palpable. Cependant une myriade de questions demeurent, égarées dans les nuées du délire dont est victime le narrateur compassé, guignant son ennemi intime à chaque minute, chaque instant de silence oppressant, ce Horla est-il comme de nombreuses études nous le laissent accroire, un surmoi freudien refoulé et enhardissant de fait toujours plus ses assauts ? Est-ce celui qui est hors-là, ou peut-être un hurlement du narrateur barguignant sur son propre rapport au réel : « hors de là ! Hors de chez moi, hors de moi » ? Mais il est autant irréfutable qu’insaisissable, ce sentiment dubitatif d’un regard insistant posé sur notre épaule, se délectant de sa nature évanescente et nourrissant de ses braises les flammes dévorantes de la psychose.
Pour Maupassant briguant le retour à « l’immémorial folklore du négatif », la vie n’est nullement, sous les bons auspices des scientifiques, le privilège de ce seul monde. Implacablement, l’invisible ne rime en aucun cas avec indicible pour l’auteur français, dont la folie n’est autre qu’un fil rouge, une constante littéraire pour lui ; sorte d’assuétude troublante, alimentant l’hypothèse que Le Horla se révélerait une sorte de mise en abyme de la propre déraison du romancier. Maupassant est-il aliéné et raconte ainsi son vécu ? L’a-t-il été et, en un accès de lucidité, une accalmie, exorcise-t-il ses diables sur le papier ? (Raconter pour conjurer, écrire de sorte à survivre. Toujours demeure dans la littérature une purgative notion de catharsis pour évacuer la névrose hallucinatoire.)
Mais larder ce démon d’attaques verbales acerbes ne suffit pas au personnage principal de la nouvelle, et il se voit progressivement absorbé par l’Autre (« Il est en moi, il devient mon âme » s’exclame un temps le narrateur), à l’image de son créateur. Le locataire noir du pauvre Guy l’aura malgré tout aidé à se projeter via l’aberration au-delà de l’habituel, don s’il n’est autre, que des Pythies antiques.
Pour aller plus loin ?
Outre les œuvres déjà évoquées dans le texte ci-dessus, je ne peux que vous conseiller de parcourir Le Double ou L’Idiot par Fiodor Dostoïevski, ainsi bien évidemment que toutes les autres nouvelles de Maupassant. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’elles sont collectées (du moins celles traitant des obsessions et de la folie) dans plusieurs éditions comme Folio Classique ou encore Gallimard. Bonne lecture !
Article très intéressant.
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